Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°22/03498

Rendue par la cour d’appel de Versailles le 4 septembre 2025, la décision tranche une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir d’un employeur contre la prise en charge d’une rechute. Un salarié avait déclaré en 2014 une maladie professionnelle, prise en charge par la caisse, puis une rechute le 8 février 2019, également prise en charge le 26 mars 2019. Saisie après un rejet de la commission de recours amiable, la juridiction de première instance avait déclaré opposable la décision de prise en charge de la rechute. La cour est également informée qu’entre-temps, dans les rapports employeur/salarié, la cour d’appel de Paris a jugé le 20 septembre 2024 que la maladie n’avait pas de caractère professionnel. L’employeur interjette appel et soutient, notamment, l’extension d’une jurisprudence favorable relative à l’intérêt moral. La caisse oppose l’irrecevabilité, en invoquant l’absence d’incidence financière d’une rechute sur le compte employeur.

La question est de savoir si l’employeur conserve un intérêt à agir, financier ou moral, contre la décision de prise en charge d’une rechute, alors que la réglementation écarte toute imputation financière et que la qualification professionnelle de la maladie a été écartée dans la relation employeur/salarié. La cour répond par la négative et infirme le jugement, retenant que « En application de l’article 31 du code de procédure civile, l’employeur n’a pas d’intérêt à agir, apprécié concrètement dans le présent litige. » Elle souligne que « La décision de la caisse relative à la rechute n’a pas de conséquence financière pour l’employeur » et que « De plus, l’employeur n’a plus d’intérêt moral à agir dès lors qu’il a été définitivement jugé que la maladie […] n’a pas de caractère professionnel dans les rapports caisse/employeur. »

I. Le sens de la solution: la restriction de l’intérêt à agir en présence d’une rechute

A. L’absence d’incidence financière et sa traduction contentieuse

La cour replace la fin de non-recevoir dans le cadre de l’article 31 du code de procédure civile, qui requiert un intérêt légitime, actuel et concret. Elle s’appuie sur le régime spécifique des rechutes, issu de l’article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, pour constater l’absence d’impact financier direct. La motivation est nette et vise l’objet précis de la décision contestée, circonscrite à la rechute et à ses effets budgétaires.

Le raisonnement est linéaire. L’intérêt à agir n’est pas abstrait, il se mesure aux conséquences juridiques et économiques de la décision administrative. La cour retient ainsi, de manière décisive, que « La décision de la caisse relative à la rechute n’a pas de conséquence financière pour l’employeur. » La charge probatoire de l’intérêt, précisément envisagé, n’est pas satisfaite, ce qui rend inutile l’examen du fond.

B. La neutralisation de l’intérêt moral et la distinction avec la jurisprudence de 2009

L’employeur invoquait la jurisprudence de la deuxième chambre civile, qui admet un intérêt moral autonome. L’arrêt de 2009 énonce que « Même si aucune somme n’est mise à sa charge à la suite de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie d’un de ses salariés par une [5], l’employeur a intérêt à pouvoir faire établir que cette décision, qui porte sur les conditions de travail et les risques professionnels au sein de son entreprise, n’a pas été prise conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale. » Il ajoute encore: « Encourt donc la cassation l’arrêt qui, pour déclarer un employeur irrecevable en son recours pour défaut d’intérêt à agir, retient qu’il n’avait strictement aucun intérêt à invoquer l’inopposabilité à son égard des décisions de prise en charge de la maladie professionnelle dès lors que les dépenses avaient été inscrites sur un compte spécial et que les frais engagés étaient ainsi mutualisés. »

La cour d’appel opère une double mise à distance. D’abord, elle précise l’objet du litige, qui concerne une rechute et non la reconnaissance initiale, et juge que « Dans ce contexte, la jurisprudence précitée n’est pas applicable dès lors qu’elle est relative à la prise en charge par la caisse d’une maladie professionnelle alors que le présent litige concerne la prise en charge d’une rechute. » Ensuite, elle constate que le fond du lien de causalité professionnel a été écarté entre l’employeur et le salarié, ce qui éteint l’intérêt moral résiduel. Cette articulation confère à la fin de non-recevoir une base à la fois textuelle et contextuelle.

II. Valeur et portée: une appréciation concrète de l’intérêt, aux frontières d’un principe prétorien

A. Une cohérence méthodologique avec l’article 31 du code de procédure civile

La solution s’inscrit dans la logique d’un contrôle concret de l’intérêt à agir. Elle évite une approche de principe déconnectée de l’économie propre aux rechutes. L’arrêt illustre la hiérarchie des intérêts invoqués: l’intérêt financier est exclu par le texte spécial; l’intérêt moral s’apprécie à l’aune des circonstances procédurales et des décisions définitives déjà rendues dans un autre cadre.

L’économie générale demeure mesurée. Le juge du fond ne nie pas l’existence théorique d’un intérêt moral, il le circonscrit au cas où la contestation conserve une utilité juridique identifiable. Ici, la combinaison du régime des rechutes et de l’arrêt antérieur écarte toute utilité. La phrase « En application de l’article 31 du code de procédure civile, l’employeur n’a pas d’intérêt à agir, apprécié concrètement dans le présent litige » marque cette fidélité à la lettre du texte.

B. Une portée pragmatique, mais un dialogue nécessaire avec la jurisprudence antérieure

La distinction opérée préserve l’équilibre du contentieux des risques professionnels. Elle réduit les recours qui ne modifient ni la tarification ni la situation juridique des rapports déjà tranchés. Elle confère aux décisions définitives un effet asséchant sur l’intérêt moral, ce qui renforce la sécurité juridique et la stabilité des situations acquises.

Cette orientation appelle néanmoins un dialogue avec la jurisprudence de 2009, dont l’énoncé était général. Le passage précité affirme un intérêt à « pouvoir faire établir » l’inconformité de la décision, même sans charge financière. La décision commentée le restreint à l’hypothèse de la reconnaissance initiale, là où la rechute relève d’une logique médico-administrative sans effet tarifaire. La portée pratique est claire: les employeurs ne sauraient, en matière de rechute, mobiliser un intérêt moral autonome lorsque la cause professionnelle a été écartée dans leurs rapports avec le salarié.

Le choix est assumé et se comprend par le prisme de l’utilité du recours. L’absence d’impact financier, conjuguée à l’autorité de la qualification antérieure, neutralise l’intérêt. La cohérence interne est préservée. Reste que l’articulation avec l’énoncé de 2009 pourrait susciter, en d’autres espèces, une clarification de la haute juridiction sur l’extension ou la limitation du principe d’intérêt moral aux rechutes. L’arrêt verse ainsi un élément de distinction significatif dans la construction du contentieux de la prise en charge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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