Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°22/03690

Par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 4 septembre 2025, la chambre sociale statue sur un licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle, contesté au regard de griefs de harcèlement moral, de manquements à l’obligation de sécurité et d’exécution déloyale. La salariée, embauchée en 2010 comme attachée commerciale, a été licenciée en décembre 2017 au vu d’une baisse de résultats alléguée, d’un prétendu défaut d’activité sur un secteur dédié et d’un manque d’implication. Le conseil de prud’hommes avait retenu une cause réelle et sérieuse et rejeté les autres demandes. En appel, la salariée sollicite l’infirmation, la reconnaissance de l’absence de cause et des dommages, tandis que l’employeur conclut à la confirmation. La question porte d’abord sur la caractérisation d’agissements répétés de harcèlement et, subsidiairement, sur la preuve d’une insuffisance objectivée, propre à fonder une cause réelle et sérieuse. La cour confirme le rejet des demandes liées au harcèlement, à la sécurité et à la loyauté contractuelle, mais infirme sur le bien‑fondé du licenciement et alloue une indemnisation encadrée par l’article L. 1235‑3.

I. L’exigence probatoire en matière de harcèlement et de manquements corrélatifs

A. La présomption de harcèlement et son contrôle resserré par la cour

La cour rappelle la norme légale en citant que « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Elle reprend également la règle de partage probatoire selon laquelle « il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement ». Elle constate, dans un premier temps, que « il résulte de ces éléments que la salariée présente des faits, y compris la dégradation de son état de santé, qui pris dans leur ensemble, laissent présumer un harcèlement moral ». Cependant, l’analyse concrète isole finalement un seul fait personnellement imputable, à savoir une convocation inopinée sur un trajet retour, de sorte que « ce seul fait ne permet pas d’établir que la salariée a subi des agissements de harcèlement moral qui seraient à l’origine d’une dégradation de son état de santé ».

Ce raisonnement manifeste une articulation rigoureuse entre l’admission d’une présomption initiale et sa réfutation au fond, au prisme de l’exigence de répétition et d’objectivation des atteintes. La cour écarte des attestations jugées trop générales et refuse de tenir pour déterminante une dégradation de santé lorsque le lien causal reste indéterminé. La solution s’inscrit dans une lecture exigeante du faisceau d’indices, qui préserve la spécificité de l’office du juge en matière de faits complexes et limite les effets d’une simple concomitance temporelle.

B. L’obligation de sécurité et l’exécution de bonne foi, appréciées à l’aune de l’information de l’employeur

Sur la sécurité, la cour énonce que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs […] l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention […], et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ». Elle relève ensuite l’absence d’alerte pendant l’exécution du contrat et en déduit que « par conséquent, l’employeur n’étant pas informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, n’a pas méconnu son obligation de sécurité ».

Concernant la loyauté, la cour rappelle le principe selon lequel « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Elle vérifie alors, pièces à l’appui, que les réunions hebdomadaires relevaient du pouvoir de direction, que les prétendues astreintes n’étaient pas établies et que les demandes de reporting demeuraient usuelles. Aucun système de pression caractérisé n’est retenu. Cette motivation traduit l’inflexion bien connue de l’obligation de sécurité vers une obligation de moyens renforcée, centrée sur la prévention, et lie l’éventuelle responsabilité à une information préalable suffisamment précise de l’employeur.

II. Le contrôle de la cause réelle et sérieuse au prisme des preuves de l’insuffisance

A. Résultats et activité sectorielle: l’insuffisance non objectivée par des éléments vérifiables

La cour rappelle la définition opératoire: « l’insuffisance professionnelle qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu’elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié ». Or, l’employeur produisait un tableau de tendances relatif à quelques mois, exprimé en pourcentages, sans assise sur le chiffre d’affaires en valeur, ni preuve de périmètre constant. La cour constate d’ailleurs que « il ressort de ce tableau que celui-ci montre une tendance mensuelle […] de façon globale, sans préciser les éléments constituant le chiffre d’affaires ». Elle en déduit que « ce premier grief n’est donc pas établi ».

Le reproche d’inaction sur un secteur géographique connaît le même sort, la cour relevant des démarches commerciales effectives et une progression locale du chiffre d’affaires. Elle tranche alors que « ce second grief n’est donc pas établi, la salariée ayant effectué un travail commercial sur la Normandie ». La motivation valorise des éléments vérifiables, comme les séries longues de chiffres d’affaires, les transferts de portefeuille et les rapports d’activité, et refuse les extrapolations issues d’indicateurs partiels. La portée pratique est nette: l’employeur doit consolider la mesure de performance, expliciter les périmètres et démontrer l’inefficience malgré l’accompagnement.

B. L’implication isolée et la réparation encadrée par le barème légal

Reste un reproche d’implication lié à des réunions tardives et à des retards ponctuels dans des réponses clients. Après mise en perspective des contraintes et des diligences, la cour retient l’existence d’un seul grief résiduel, insuffisant pour emporter la cause réelle et sérieuse: « ce seul grief ne permet pas de caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement ». Sur les conséquences, elle affirme la pleine applicabilité du barème légal: « il n’y a pas lieu d’écarter les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail […] et […] les stipulations de l’article 24 de la Charte sociale européenne n’ont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ». Elle rappelle ensuite que « en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, la salariée justifiant de plus de sept ans d’ancienneté a droit à des indemnités […] comprises entre trois et huit mois de salaire brut ».

L’indemnisation allouée s’inscrit dans cette fourchette et emporte le remboursement partiel des allocations de chômage, conformément au mécanisme légal. La décision confirme une ligne désormais consolidée sur l’opposabilité du barème et illustre un contrôle substantiel de la preuve en matière d’insuffisance, combinant exigence d’objectivation et proportionnalité de la sanction. Elle invite enfin à une gestion documentaire rigoureuse de la performance, depuis la définition des objectifs jusqu’au suivi contradictoire des moyens et résultats.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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