Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°23/03220

La cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 4 septembre 2025, s’est prononcée sur la reconnaissance du caractère professionnel d’un malaise cardiaque mortel et sur le respect du principe du contradictoire par la caisse primaire d’assurance maladie lors de l’instruction de ce sinistre.

Un salarié, inspecteur au sein d’une société, a été victime le 28 novembre 2018 d’un malaise cardiaque avec vertige vagal sur son lieu de travail, à l’issue d’une formation professionnelle. Le certificat médical initial a fait état d’une « dissection aortique de type 1 ». Le salarié est décédé deux jours plus tard, le 30 novembre 2018. La caisse a, par deux décisions du 22 mars 2019, pris en charge l’accident et le décès au titre de la législation sur les risques professionnels.

La société employeur a contesté ces décisions devant la commission de recours amiable puis devant le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise. Cette juridiction, par jugement du 27 octobre 2023, a déclaré opposables à la société les décisions de prise en charge et l’a déboutée de ses demandes. La société a interjeté appel de ce jugement.

Devant la cour, la société a soulevé deux séries de moyens. Elle a d’abord reproché à la caisse de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire en ne lui communiquant ni le certificat médical de décès ni l’avis du médecin conseil. Elle a ensuite contesté le caractère professionnel du malaise, soutenant que la dissection aortique relevait d’une pathologie préexistante liée à l’hypertension du salarié, cause totalement étrangère au travail. À titre subsidiaire, elle a demandé la désignation d’un expert médical.

La cour devait déterminer si la caisse avait respecté ses obligations procédurales lors de l’instruction du sinistre et si l’employeur rapportait la preuve d’une cause totalement étrangère au travail de nature à renverser la présomption d’imputabilité.

La cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle a retenu que la caisse avait respecté le principe du contradictoire et diligenté une instruction régulière. Sur le fond, elle a jugé que le malaise survenu au temps et au lieu du travail bénéficiait de la présomption d’origine professionnelle et que la société n’établissait pas l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

L’arrêt présente un intérêt certain en ce qu’il rappelle les obligations procédurales de la caisse lors de l’instruction d’un accident mortel (I) et précise les conditions du renversement de la présomption d’imputabilité en présence d’un état pathologique préexistant (II).

I. Le respect des garanties procédurales lors de l’instruction d’un accident mortel

La cour apporte des précisions sur l’étendue des obligations de communication de la caisse (A) avant de circonscrire le champ d’application des dispositions relatives à l’avis médical préalable (B).

A. L’étendue de l’obligation de communication des pièces du dossier

L’employeur reprochait à la caisse de ne pas lui avoir transmis le certificat médical de décès ni l’avis du médecin conseil. La cour rappelle le cadre normatif applicable, issu des articles R. 441-11, R. 441-13 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction issue du décret du 29 juillet 2009.

La cour relève que « le 5 mars 2019, la société a demandé à la caisse de lui transmettre les éléments administratifs du dossier » et qu’elle « ne conteste pas avoir reçu les pièces du dossier par courrier du 14 mars 2019 qui comportait la déclaration d’accident du travail, l’enquête administrative incluant le certificat médical initial, le bulletin d’hospitalisation, la photocopie du livret de famille et l’acte de décès ainsi que le détail de l’échange historisé ».

L’arrêt énonce un principe pragmatique : « Il n’apparaît pas de certificat médical de décès dans le dossier. Il ne peut être fait grief à la caisse de ne pas communiquer des pièces inexistantes. » Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle l’obligation de communication ne porte que sur les éléments effectivement détenus par l’organisme.

Concernant la fiche de liaison médico-administrative portant la mention « FAIT NOUVEAU », la cour observe que « le service médical a reçu le dossier le 29 janvier 2019, date à laquelle la caisse a informé la société » du décès. Elle en déduit logiquement que « le décès de la victime peut être considéré comme un fait nouveau par rapport à l’accident » sans qu’il soit établi que le médecin conseil aurait changé d’avis après un premier examen.

B. L’inapplicabilité de l’article R. 434-1 à l’instruction du caractère professionnel

La société invoquait l’article R. 434-1 du code de la sécurité sociale pour soutenir que la caisse aurait dû solliciter l’avis du contrôle médical. La cour rejette ce moyen par une analyse textuelle rigoureuse.

Elle relève que « cet article se situe dans la partie ‘Prestations’ relative à l’indemnisation de l’incapacité permanente et aux dispositions communes relatives à l’attribution d’une rente ». La conséquence s’impose : « Il ne saurait s’appliquer à l’instruction d’un accident mortel en vue de déterminer le caractère professionnel de l’accident et du décès. »

Cette distinction entre la phase de reconnaissance du caractère professionnel et celle de l’indemnisation des séquelles traduit une lecture cohérente de l’architecture du code de la sécurité sociale. L’avis médical prévu à l’article R. 434-1 intervient pour l’évaluation du taux d’incapacité permanente, non pour l’appréciation du lien de causalité entre le travail et le décès.

La cour conclut que « la caisse a respecté le principe du contradictoire et diligenté une instruction régulière », rejetant ainsi le premier moyen de l’employeur.

II. La permanence de la présomption d’imputabilité face à un état pathologique préexistant

L’arrêt rappelle les conditions d’application de la présomption d’origine professionnelle (A) avant de préciser l’exigence probatoire pesant sur l’employeur qui entend la renverser (B).

A. L’application de la présomption aux circonstances de l’espèce

La cour rappelle le principe fondamental posé par l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale : « l’accident survenu au temps et au lieu du travail est présumé être un accident du travail, sauf à établir que la lésion a une cause totalement étrangère au travail ».

L’employeur contestait la réunion des conditions de temps et de lieu. La formation s’étant achevée à 16 heures et le malaise survenu à 16h20, la société soutenait que le salarié n’était plus au travail. La cour écarte cette argumentation en relevant que l’employeur avait lui-même déclaré des horaires de travail s’étendant jusqu’à 17 heures.

Elle ajoute, au regard des témoignages recueillis, que « la victime a pris du temps à ranger ses affaires avant d’aller aux toilettes puis de revenir dans la salle ». La cour en déduit que « la victime était donc toujours dans les liens de subordination, dans la salle de formation et les locaux de l’employeur le temps de rassembler ses affaires et d’être prête à partir ».

L’arrêt précise que « ce malaise, ayant entraîné la mort de la victime survenue dans ces circonstances constitue un accident, par son caractère soudain, et bénéficie de la présomption d’origine professionnelle », citant un arrêt de la deuxième chambre civile du 7 avril 2022. La cour ajoute une précision importante : « Le caractère normal des conditions de travail de la victime le jour des faits est, à cet égard, indifférent. »

B. L’échec de l’employeur à démontrer une cause totalement étrangère au travail

L’employeur produisait un avis médical du docteur mandaté à cet effet, daté du 28 août 2023, concluant que « chez un homme de 59 ans, hypertendu, à l’issue d’une formation sans effort particulier, le travail n’a joué aucun rôle dans la survenue d’une dissection aortique, affection intercurrente ».

La cour critique la méthode de raisonnement de l’expert : « le docteur se contente d’en conclure que le travail n’est pas la cause dans la survenue de la pathologie alors qu’en présence d’une présomption d’imputabilité, il convient de rapporter la preuve de la cause totalement étrangère au travail ».

Cette distinction entre l’absence de rôle causal du travail et l’existence d’une cause totalement étrangère est fondamentale. La présomption légale impose à l’employeur une charge probatoire renforcée : il ne suffit pas d’établir que le travail n’est pas la cause de la lésion, encore faut-il démontrer positivement que cette lésion procède d’une cause totalement étrangère.

La cour relève par ailleurs une contradiction dans l’argumentation médicale : « le docteur évoque le stress de l’hypertension. Le stress, lié au travail, peut donc être une cause d’hypertension accélérant l’élargissement de l’aorte et l’affaiblissement de la paroi. » Elle observe également que le salarié « était suivi et prenait un traitement qui réduisait donc son hypertension ».

La demande d’expertise est rejetée au motif que, « en l’absence d’autopsie et d’éléments complémentaires en possession de la caisse, la victime étant décédée très peu de temps après la découverte des symptômes, une expertise paraît inutile ». Cette solution confirme que l’expertise ne saurait pallier la carence probatoire de l’employeur lorsque les éléments médicaux disponibles ne permettent pas d’établir une cause totalement étrangère au travail.

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Hassan KOHEN
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