Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°23/07597

Par arrêt du 4 septembre 2025, la cour d’appel de Versailles confirme le rejet d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription, dans un contentieux d’aggravations successives d’un dommage corporel. Le litige oppose une victime d’un accident ancien à l’assureur, qui invoque l’expiration du délai décennal pour l’aggravation de 2004, tandis que la victime soutient l’impossibilité d’agir, la continuité des préjudices et une renonciation de l’assureur à la prescription.

Les faits sont anciens et évolutifs. Blessée en 1984, la victime a connu plusieurs aggravations, retenues notamment en 2004, 2014 et 2018. Une série d’expertises judiciaires et amiables a jalonné la période 2017 à 2022, la dernière expertise amiable fixant l’aggravation du 18 février 2004, consolidée au 30 juin 2004. L’assignation au fond est intervenue en novembre 2022, après diverses offres amiables d’indemnisation émises par l’assureur.

La procédure a connu un premier temps devant le juge des référés, puis devant le juge de la mise en état, saisi par l’assureur d’une exception de prescription visant l’aggravation de 2004. Par ordonnance du 10 octobre 2023, le juge a écarté la prescription. En appel, l’assureur sollicite l’infirmation et le débouté des prétentions relatives à cette aggravation, tandis que la victime requiert la confirmation et l’allocation de frais irrépétibles.

La question de droit portait sur le point de départ et le régime de la prescription des actions en responsabilité pour dommage corporel en cas d’aggravation, l’éventuelle suspension pour impossibilité d’agir, l’effet non interruptif d’une procédure amiable et, surtout, l’existence d’une renonciation tacite à une prescription acquise par des offres réitérées d’indemnisation. La cour confirme le rejet de la fin de non-recevoir, écarte le report du point de départ lié à la connaissance, retient l’absence d’impossibilité d’agir et reconnaît une renonciation non équivoque à la prescription par l’assureur.

I. Le point de départ de la prescription en matière de dommage corporel

A. L’affirmation d’un point de départ fixe, distinct de la connaissance
La cour distingue nettement le régime spécial de l’article 2226 du code civil du droit commun de l’article 2224. Elle énonce que la prescription décennale court « à compter de la date du dommage initial ou aggravé », sans dépendre de la connaissance. Elle ajoute de manière formelle: « Il est donc exclu de considérer que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité afférente à un dommage corporel doit être fixé à la date à laquelle la victime avait connaissance de la consolidation de son état ». Elle souligne encore que « la loi prévoit un point de départ fixe en distinguant le dommage initial et l’aggravation », et rappelle l’autonomie de chaque aggravation dans la liquidation.

Cette lecture ferme neutralise l’argument tiré d’une prétendue « continuité de préjudices ». La cour note que la succession d’aggravations n’autorise pas à déplacer le point de départ rattaché à l’aggravation de 2004. Le choix d’un point de départ fixe renforce la sécurité juridique et harmonise la pratique, en évitant la variabilité liée aux connaissances médicales évolutives du demandeur.

B. L’écartement des causes de report et de l’interruption par reconnaissance
La cour examine l’article 2234 du code civil et rappelle que l’impossibilité d’agir suppose « un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ». Elle relève qu’aucune ignorance légitime n’est caractérisée, la période d’arrêt de travail de 2004 suffisant à permettre d’agir utilement. L’argument d’une suspension pour incertitude médicale est donc écarté, en cohérence avec le point de départ fixe retenu.

La cour réaffirme ensuite que « la mise en œuvre d’une procédure amiable d’indemnisation n’est pas constitutive d’une reconnaissance de responsabilité interruptive ». Les offres amiables n’interrompent donc pas la prescription sur le terrain de la reconnaissance du droit, ce que conforte une jurisprudence constante. Cette précision méthodique prépare l’analyse, distincte, de la renonciation à une prescription déjà acquise.

II. La renonciation tacite à une prescription acquise par les offres d’indemnisation

A. Les critères de la renonciation et la neutralité de la procédure d’offre
S’appuyant sur les articles 2250 et 2251, la cour rappelle que « la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription ». Elle admet qu’une offre d’indemnisation peut caractériser cette volonté, y compris lorsque l’offre intervient dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985. La singularité de l’affaire tient à la réitération d’offres, distantes dans le temps, après l’acquisition du délai afférent à l’aggravation de 2004.

La cour neutralise l’objection tirée du caractère obligatoire de l’offre. Elle cite l’article R. 211-40 du code des assurances selon lequel « l’offre précise, le cas échéant, les limitations ou exclusions d’indemnisation retenues par l’assureur, ainsi que leurs motifs ». La procédure d’offre n’interdit pas de réserver la prescription ; elle n’oblige pas davantage à proposer une indemnisation complète. Le choix de proposer, sans réserve, révèle ici une intention claire.

B. La portée contentieuse pour les aggravations successives et la pratique assurantielle
Les pièces montrent deux séquences déterminantes. D’abord, une expertise contradictoire en 2015 mentionne l’aggravation de 2004, consolidée en 2004, suivie d’une offre du 16 novembre 2015: « Aggravation du 18 février 2004, consolidée le 31 juillet 2004 : […] nous vous faisons part de notre offre d’indemnisation ». Ensuite, après l’expertise amiable de 2022 fixant la consolidation au 30 juin 2004, une nouvelle proposition est formulée: « nous sommes en mesure de vous présenter une offre définitive d’indemnisation […] en tenant compte de votre droit à indemnisation à hauteur de 75 % ». La cour en déduit que « Il découle de ces propositions réitérées d’indemnisation […] une volonté sans équivoque » de renoncer à la prescription acquise.

Cette solution, sobre et exigeante, distingue utilement non-interruption par reconnaissance et renonciation postérieure. Elle sécurise les stratégies procédurales en matière d’aggravations successives. Les victimes peuvent opposer des offres claires, non réservées, pour neutraliser une prescription autrement acquise. Les assureurs, quant à eux, doivent articuler les réserves utiles au moment de l’offre, à défaut de quoi une renonciation tacite pourra être retenue malgré la caducité du droit d’agir.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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