Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/02089

La cour d’appel de Versailles, 4 septembre 2025, statue en procédure accélérée au fond sur le droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes. Le litige naît de sanctions disciplinaires, d’une procédure de licenciement envisagée, et d’une alerte déclenchée par des élus du comité social et économique. Une autorisation administrative de licenciement a été refusée, puis un contentieux s’est ouvert devant la juridiction prud’homale selon la voie de l’article L. 2312-59 du code du travail.

Devant la juridiction de première instance, la demande d’injonction de produire de nombreux documents a été déclarée irrecevable, tandis que le reste était rejeté. En appel, l’employeur a opposé l’incompétence de la formation accélérée et a contesté la recevabilité de plusieurs prétentions. Les appelants ont soutenu la compétence du juge pour enjoindre une enquête, statuer sur l’incident documentaire et allouer des dommages et intérêts pour exécution déloyale, entrave et atteinte à l’intérêt collectif.

La question portait sur l’étendue de l’office du juge statuant selon l’article L. 2312-59, spécialement quant à la compétence pour connaître des demandes connexes, l’articulation entre mesures de cessation et production de pièces, ainsi que la place des réparations pécuniaires. La cour rejette les exceptions d’incompétence, confirme l’irrecevabilité de l’injonction de produire sous astreinte, ordonne une enquête conjointe, refuse l’astreinte, et écarte les demandes indemnitaires comme prématurées à ce stade. Elle énonce notamment: « Par conséquent, la demande d’enquête, expressément prévue dans ces conditions, entre dans le champ d’application des dispositions susmentionnées, la juridiction prud’homale statuant selon la procédure accélérée au fond. L’exception d’incompétence formée par l’employeur doit donc être rejetée. »

I. L’assise de compétence et la délimitation de l’office du juge

A. La compétence du juge pour l’enquête et les demandes connexes

La cour confirme que la procédure accélérée au fond couvre la demande d’enquête née d’une divergence sur la réalité de l’atteinte. Elle rappelle, en des termes généraux et clairs, la vocation de ce cadre procédural à traiter la cessation des atteintes alléguées. Ainsi est-il jugé que « Par conséquent, la demande d’enquête, expressément prévue dans ces conditions, entre dans le champ d’application des dispositions susmentionnées, la juridiction prud’homale statuant selon la procédure accélérée au fond. L’exception d’incompétence formée par l’employeur doit donc être rejetée. » La cohérence s’étend à l’action syndicale, consacrée sur le terrain de l’ordre public social, la cour ajoutant que « Par conséquent, l’exception d’incompétence doit être rejetée du fait que l’action du syndicat repose sur la violation d’une règle d’ordre public social destinée à protéger les salariés, la circonstance qu’une seule salariée serait concernée par cette violation étant sans incidence sur le droit d’agir du syndicat. »

La solution rejoint la logique du « bloc de compétence » lorsque les prétentions se rattachent à l’atteinte et à sa cessation. La cour admet d’ailleurs la compétence pour statuer sur la demande indemnitaire en principe, en relevant que « la demande de dommages et intérêts s’inscrivant dans la demande de réparation d’un droit protégé par l’article L. 2312-59 du code du travail ou par l’utilisation abusive de celui-ci, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer dans le cadre d’une procédure accélérée au fond. » Cette affirmation structure l’office, sans préjuger de l’opportunité d’indemniser immédiatement.

B. L’irrecevabilité de l’injonction de produire sous astreinte

La cour circonscrit l’outil probatoire invoqué à l’objet propre de l’article L. 2312-59. L’injonction large de communication, distincte de mesures propres à faire cesser l’atteinte, est jugée sans rapport utile avec l’office du juge dans ce cadre. Elle confirme l’irrecevabilité de la demande documentaire, réservant d’autres voies, qu’elles soient de droit commun probatoire ou d’autres procédures adaptées.

La solution s’explique par la finalité fonctionnelle du texte, qui autorise « toutes mesures propres à faire cesser » l’atteinte, non une collecte générale d’informations. Elle évite une dénaturation de la procédure accélérée en instrument de discovery, en privilégiant des mesures ciblées. Cette délimitation n’interdit pas, si la cessation l’exige concrètement, des injonctions ponctuelles proportionnées; elle refuse ici une réquisition massive indéterminée, détachée du but immédiat de cessation.

II. Portée pratique: contrôle du sérieux de l’enquête et temporisation des réparations

A. L’exigence d’une enquête effective et proportionnée

La cour contrôle le sérieux de l’enquête déclarée par l’employeur et constate un dispositif insuffisant. Elle relève la brièveté de l’échange, l’absence d’auditions, et l’absence d’éléments préparatoires communiqués. Elle tranche en ces termes: « Ainsi, il ressort de ces éléments, que les membres du CSE à l’origine de l’alerte ont invoqué des faits, qu’un entretien de seulement trente minutes a été tenu avec les trois membres du CSE et une responsable des ressources humaines, sans audition de témoins et sans production d’éléments complémentaires avant l’entretien, de sorte que l’employeur n’a pas sérieusement diligenté d’enquête au sens des dispositions de l’article L. 2312-59 du code du travail. »

Elle ordonne alors la conduite d’une enquête conjointe avec les élus ayant déclenché l’alerte, sans assortir la mesure d’une contrainte pécuniaire immédiate. La motivation est sobre: « Il n’y a pas lieu d’assortir cette mesure d’une astreinte. » Cette calibration privilégie l’effectivité du processus d’investigation tout en laissant ouverte une contrainte ultérieure si une carence persistante se confirmait. Elle maintient l’équilibre entre l’exigence d’une enquête réelle et la proportionnalité des moyens.

B. La temporalité des demandes indemnitaires: compétence admise, octroi différé

La cour distingue soigneusement la compétence de l’opportunité d’allouer une réparation pécuniaire. Elle juge compétente en principe au titre du droit protégé et des abus éventuels, mais refuse de statuer avant l’éclairage de l’enquête ordonnée. Cette méthode évite de figer un contentieux indemnitaire sans base factuelle consolidée, tout en préservant les droits de chacun à un examen au fond ultérieur.

La voie retenue ménage la cohérence avec l’objet de la procédure accélérée, centrée sur la cessation. Elle limite le risque de contradiction avec d’autres processus en cours, notamment administratifs ou internes, et empêche une double qualification prématurée d’entrave. La prudence affichée répond à une exigence de rigueur probatoire, sans neutraliser l’efficacité protectrice, l’injonction d’enquêter étant immédiatement exécutoire et susceptible de déboucher sur des suites adaptées.

En définitive, la décision trace une ligne utile: compétence large pour ordonner l’enquête et connaître des prétentions liées, rejet des exceptions, irrecevabilité des demandes documentaires générales, injonction d’enquêter sans astreinte initiale, et report des réparations pécuniaires à l’issue d’investigations sérieuses. Elle articule de manière convaincante la finalité de cessation posée par l’article L. 2312-59 et l’économie contentieuse, à la fois sobre et efficace.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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