Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/02093

Cour d’appel de Versailles, 4 septembre 2025. Un salarié, chauffeur-livreur, victime d’un accident du travail, a saisi en référé le conseil de prud’hommes pour obtenir la remise de bulletins de paie et d’une attestation destinée à l’assurance maladie, ainsi qu’un rappel de salaires. Le premier juge a ordonné la remise de certains documents sous astreinte et rejeté la demande de rappel. L’employeur a relevé appel. L’intimé n’a pas constitué avocat et l’arrêt a été rendu par défaut.

Les prétentions étaient classiques en matière de documents sociaux obligatoires. L’employeur soutenait l’envoi postal régulier des bulletins et la réalisation de l’attestation sur la plateforme dédiée. Le salarié invoquait l’absence de réception utile et les effets concrets de ce défaut sur ses indemnités journalières. En appel, il n’était plus demandé de rappel de salaires, faute de moyens articulés par l’appelant sur ce chef.

La question tranchée tenait, d’une part, aux pouvoirs du juge des référés prud’homal pour ordonner des obligations de faire sous astreinte, d’autre part, à la charge et au niveau de preuve exigés pour établir la remise effective des documents sociaux. Il s’agissait encore de circonscrire l’objet du litige dévolu à la cour. La cour a infirmé l’astreinte relative au bulletin de mars 2024, mais confirmé l’astreinte ordonnée pour l’attestation de salaire, et n’a pas statué sur le rappel de salaires.

I. Pouvoirs du juge des référés et cadre normatif applicable

A. Les critères de l’intervention en référé

La cour rappelle la triple assise textuelle gouvernant l’office de la formation de référé prud’homale. Elle cite d’abord l’article R. 1455-5 du code du travail, selon lequel « dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ». Elle souligne également l’article R. 1455-6, qui autorise, « même en présence d’une contestation sérieuse », des « mesures conservatoires ou de remise en état » pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Enfin, l’article R. 1455-7 admet qu’« dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision […] ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

Ce rappel ordonne le raisonnement: la remise de documents sociaux, dès lors qu’elle répond à une obligation légale certaine, peut être enjointe sous astreinte, sauf contestation sérieuse ou preuve de diligence suffisante. La qualification opérée détermine l’exigence probatoire attendue de l’employeur et la pertinence d’une astreinte immédiate.

B. Les obligations légales de remise et la charge de la preuve

La cour vise, à propos du bulletin de paie, l’article L. 3243-2 du code du travail. S’agissant de l’attestation destinée à l’assurance maladie, elle vise l’article R. 323-10 du code de la sécurité sociale, qui impose un envoi à la caisse, préférablement par voie électronique, ou à défaut une remise papier au salarié. Elle pose nettement la règle de preuve en ces termes: « Il appartient à l’employeur de justifier qu’il a satisfait à son obligation de remise de ces documents. »

Cette affirmation articule le contrôle de la cour. Pour les bulletins, la preuve d’expédition et de réception peut résulter d’attestations internes croisées, d’une pratique régulière et de la concordance d’adresses, si l’ensemble convainc de l’exécution. Pour l’attestation, en revanche, la preuve attendue porte sur le dépôt effectif auprès de l’organisme social à la date utile, au besoin par accusé de transmission électronique fiable.

II. Application aux pièces produites et portée de la décision

A. La remise du bulletin de paie et l’infirmation partielle

La cour retient la valeur des pièces produites par l’employeur: attestations du prestataire paie, de la secrétaire en charge des envois postaux, et de salariés confirmant une pratique d’acheminement régulier. Elle juge que cet ensemble probatoire, cohérent et précis, établit la délivrance du bulletin de paie de mars 2024. Elle en déduit que l’astreinte prononcée à ce titre n’avait pas lieu d’être, le défaut allégué n’étant plus caractérisé au jour où la mesure était sollicitée.

Cette appréciation s’inscrit dans le cadre de l’article R. 1455-5, la contestation apparaissant résorbée par les diligences avérées. Elle s’accorde avec l’exigence de ne pas mobiliser l’astreinte pour consacrer un doublon probatoire lorsque l’obligation est démontrée. La cour précise, par ailleurs, que « En conséquence, la cour n’a pas à statuer sur la demande de rappel de salaires. » L’effet dévolutif se trouve ainsi strictement circonscrit par les moyens de l’appelant.

B. L’attestation destinée à l’assurance maladie et la confirmation de l’astreinte

La solution est opposée pour l’attestation de salaire. La cour constate l’absence de preuve antérieure au 9 juillet 2024 d’un dépôt électronique, ou d’une attestation émanant de l’organisme social. Elle énonce que « Cependant, à défaut de preuve de dépôt par voie électronique ou d’attestation de la sécurité sociale antérieurs au 9 juillet 2024, il n’est pas justifié que la société a établi dès le mois de mars 2024 l’attestation prévue par l’article R. 323-10 du code de la sécurité sociale et qu’elle l’a adressée au salarié à cette époque. » Cette formulation retient un défaut d’exécution à la date utile, malgré une régularisation ultérieure.

La confirmation de l’astreinte se justifie alors, soit au titre d’une obligation non sérieusement contestable au sens de l’article R. 1455-7, soit comme mesure propre à faire cesser un trouble manifestement illicite, conforme à l’article R. 1455-6. La solution prévient la privation d’indemnités journalières, laquelle caractérise le dommage imminent imputable au retard de l’employeur. Elle réaffirme, en pratique, la nécessité de conserver une preuve datée de transmission électronique et l’exigence d’une traçabilité fiable des envois.

Cette décision présente une portée mesurée mais utile. Elle confirme la possibilité d’infirmer une astreinte lorsque la preuve d’exécution est rapportée de manière crédible et suffisante. Elle renforce, surtout, la vigilance attendue pour l’attestation d’assurance maladie, document conditionnant un droit à prestations. En fixant avec sobriété le standard probatoire, la cour sécurise les pratiques RH dans l’urgence du référé et aligne l’injonction sur la finalité protectrice des textes rappelés.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture