Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/02901

Rendue par la Cour d’appel de Versailles le 4 septembre 2025, la décision porte sur l’étendue de la réparation complémentaire due à la victime d’un accident du travail, à la suite d’une rechute rattachée à une faute inexcusable déjà reconnue. Les faits utiles tiennent à un accident initial en 2009, une consolidation en 2011, un taux d’incapacité porté à 20 %, puis une rechute déclarée en 2012 et consolidée en 2020 avec retour à l’état antérieur.

La procédure est nourrie. Après reconnaissance de la faute inexcusable et majoration maximale de la rente en 2015, puis diverses expertises, le pôle social a, en 2021, alloué une indemnité au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées, tout en rejetant l’incidence professionnelle et le préjudice esthétique. En appel, la victime sollicitait l’indemnisation de la perte de chance de promotion, de la perte d’emploi, de la perte de droits à retraite et d’un préjudice esthétique. La caisse concluait à la réduction des montants et rappelait les limites imposées par la rente majorée.

La question de droit est double. D’une part, déterminer si la rechute ouvre un droit autonome à des chefs de préjudices complémentaires au sens des articles L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale. D’autre part, préciser lesquels restent absorbés par la rente majorée ou déjà indemnisés au titre de l’accident initial. La cour confirme le rejet des demandes complémentaires, retenant, notamment, que « la perte ou la diminution de chance de promotion professionnelle a déjà été pris en compte en 2015 » et que « la perte des droits à la retraite […] ne peut pas donner lieu à une réparation distincte » en présence d’une rente majorée.

I. La délimitation de la réparation complémentaire après rechute

A. L’exigence d’un préjudice distinct et prouvé

La cour rappelle d’abord la lettre des articles L 452-2 et L 452-3, en ce qu’ils ouvrent la réparation des préjudices personnels non couverts par la rente, dont l’incidence sur la carrière. Toutefois, elle pose une exigence probatoire claire en énonçant que « il appartient à [la victime] d’établir qu’il a subi un tel dommage et que celui-ci n’a pas déjà été indemnisé ». L’arrêt opère ici une distinction nette entre le droit à réparation de principe et la preuve d’un préjudice réellement nouveau.

Au soutien du rejet de l’incidence professionnelle, la motivation s’appuie sur l’expertise judiciaire la plus récente. La cour cite le rapport selon lequel « la perte ou la diminution de chance de promotion professionnelle a déjà été pris en compte en 2015 », s’agissant des limitations fonctionnelles de la main dominante dans un emploi manuel. L’argumentation écarte les certificats isolés et anciens, jugés insuffisamment circonstanciés, et privilégie l’expertise actualisée et contradictoire. L’articulation probatoire est cohérente : si la rechute ne fait qu’exprimer une aggravation transitoire revenue à l’état antérieur, l’incidence professionnelle ne se singularise pas et n’appelle pas de double indemnisation.

B. L’absorption par la rente majorée de certains postes

La décision étend cette logique à deux chefs classiquement discutés. S’agissant des droits à la retraite, la cour reprend la solution de principe selon laquelle « la perte des droits à la retraite de la victime qui bénéficie d’une rente majorée est indemnisée par application des dispositions du livre IV, de sorte qu’elle ne peut pas donner lieu à une réparation distincte ». Le rappel de la chambre mixte du 9 janvier 2015 (n° 13-12.310) conforte l’assise normative, en fermant la voie à une demande autonome sur le fondement de l’article L 452-3.

La même absorption vaut pour la perte d’emploi. L’arrêt énonce qu’« il résulte d’une jurisprudence constante […] que la rente majorée versée à la victime […] compense son incapacité à occuper un emploi » (2e Civ., 4 avril 2012 ; Ch. mixte, 9 janvier 2015). En rattachant la perte d’emploi à l’incapacité indemnisée par la rente, la cour neutralise les demandes d’indemnité complémentaire au titre d’un poste économique déjà couvert. Cette cohérence d’ensemble conduit également au rejet du préjudice esthétique, dès lors que, selon l’expert, « il n’existe pas de préjudice esthétique » nouveau et que « [celui-ci] a déjà été pris en compte en 2015 ».

II. Portée et appréciation de la solution

A. Un alignement ferme sur la jurisprudence de la Cour de cassation

La solution s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle antérieure, en circonscrivant la réparation complémentaire aux seuls préjudices personnels distincts de l’incapacité indemnisée par la rente. La référence à la chambre mixte du 9 janvier 2015, relative tant aux droits à la retraite qu’à l’économie générale de la réparation complémentaire, clarifie le périmètre des postes réparables sous L 452-3. L’arrêt commenté prolonge cette rigueur en rappelant que, pour la perte d’emploi, « [a]insi ce préjudice […] est déjà indemnisé par la rente majorée ». Le dispositif, qui confirme le jugement et rejette la demande dédiée, prévient le risque de double indemnisation et consolide la lisibilité des chefs de préjudice.

L’approche probatoire retenue appelle également l’adhésion. En présence d’un retour à l’état antérieur à la consolidation de la rechute, l’absence d’éléments médicaux nouveaux justifie le refus d’ouvrir des postes déjà liquidés lors de l’accident initial. Le juge d’appel valorise les expertises récentes, contradictoires et motivées, au détriment de documents laconiques, évitant ainsi une inflation de micro-postes difficilement objectivables.

B. Conséquences pratiques et discussion critique

La portée pratique est nette pour les contentieux de la rechute en présence d’une faute inexcusable. Les demandes d’incidence professionnelle, de perte d’emploi ou de droits à retraite exigent la démonstration d’un préjudice distinct, non couvert par la rente majorée, et médicalement caractérisé par des séquelles nouvelles. À défaut, la réparation est bornée aux postes personnels authentiquement autonomes, tels que des souffrances nouvelles ou un déficit fonctionnel temporaire documenté.

Cette rigueur, protectrice contre le double paiement, peut toutefois susciter une interrogation dans les hypothèses de trajectoires professionnelles précaires. Lorsque l’inemployabilité concrète découle d’un marché du travail dégradé, la rente, calculée sur l’incapacité, ne reflète pas toujours l’ampleur de la perte d’employabilité. La cour préfère la sécurité juridique à une individualisation économique accrue, ce que souligne le rejet des prétentions sans élément médical nouveau et la reprise de la formule experte selon laquelle « il n’existe pas de préjudice esthétique » au stade de la rechute. La solution, fidèle à la jurisprudence de principe, oriente les plaideurs vers un dossier probatoire resserré sur l’altération objectivable des séquelles, seule à même d’ouvrir, sous L 452-3, une réparation complémentaire après rechute.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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