Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/03919

La cour d’appel de Versailles, 4 septembre 2025, se prononce sur un litige relatif à la renégociation d’un crédit immobilier. Des emprunteurs avaient sollicité plusieurs simulations auprès de leur établissement bancaire, puis déclaré accepter des conditions correspondant à une quatrième proposition. L’établissement avait toutefois transmis un avenant reprenant la première proposition, que les emprunteurs ont refusé. Déboutés en première instance par le tribunal judiciaire de Versailles le 29 mars 2024, ils interjetaient appel pour obtenir des dommages et intérêts au titre d’un gain escompté et d’un préjudice moral.

La question centrale porte sur la qualification juridique des échanges de courriels et leur aptitude à former un contrat en dépit du formalisme gouvernant la renégociation des crédits immobiliers. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les « propositions » transmises par l’établissement constituaient une offre engageante au sens des articles 1113 et 1114 du code civil, ou une simple invitation à négocier, au regard notamment de l’article L.313-39 du code de la consommation. La cour répond par la négative, jugeant que les messages ne satisfaisaient ni au formalisme consumériste ni à l’exigence d’une volonté claire de se lier. Elle affirme ainsi: « Les dispositions de ce texte s’imposant à la banque, ce courrier électronique ne constitue pas une offre de prêt »; et, plus loin, « c’est la volonté d’être lié qui doit être exprimée, et non celle de ne pas l’être ». En conséquence, « Aucun contrat n’ayant été conclu la responsabilité contractuelle de la banque ne peut pas être engagée » et, faute de manquement établi dans la phase précontractuelle, la responsabilité délictuelle est également écartée. La décision confirme donc le rejet des demandes indemnitaires, y compris la demande nouvelle de préjudice moral en appel.

I — La qualification des échanges et l’exigence d’un avenant conforme

A — Le cadre normatif et l’intention de se lier

Le raisonnement s’ouvre par le rappel combiné du droit commun des contrats et du droit spécial de la consommation. L’article 1114 du code civil impose qu’une offre comprenne les éléments essentiels et « exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ». Cette exigence subjective est déterminante, car elle distingue l’offre de la simple invitation à négocier, surtout lorsque les échanges s’inscrivent dans une démarche de simulation. La cour souligne que les messages utilisent le vocabulaire de la « proposition » ou de la « simulation », sans marque d’engagement. Elle insiste en des termes nets: « c’est la volonté d’être lié qui doit être exprimée, et non celle de ne pas l’être ».

À cette exigence s’ajoute le formalisme propre à la renégociation des crédits immobiliers. L’article L.313-39 du code de la consommation requiert un avenant, support durable, échéancier détaillé, TAEG et délai de réflexion. L’office du texte est protecteur et ordonnateur du processus. La cour énonce que « Les dispositions de ce texte s’imposant à la banque, ce courrier électronique ne constitue pas une offre de prêt », fermant la voie à une formation contractuelle par la seule acceptation de courriels techniques, même précis, lorsque l’instrumentum légal fait défaut.

B — L’application aux faits et la dénégation de l’offre

La solution procède d’une lecture concrète des échanges. Les demandes successives des emprunteurs, les variantes chiffrées, et les réponses rapides de l’établissement caractérisent une phase exploratoire. La cour y voit une « invitation à entrer en négociation » et le dit explicitement: « Ainsi, les propositions émises successivement par la banque ne constituaient qu’une invitation à entrer en négociation ». L’absence d’indices d’une volonté de se lier, dans la formulation, la structuration des messages et la référence persistante aux « propositions », confirme l’inaptitude des courriels à opérer rencontre d’une offre et d’une acceptation au sens des articles 1113 et 1114.

Le rappel du mécanisme consumériste parachève l’analyse. Faute d’avenant conforme, aucune rencontre de consentements ne pouvait être opérante, quand bien même les paramètres économiques auraient été arrêtés dans l’esprit des emprunteurs. La cour neutralise par là toute tentation de suppléer le formalisme par la substance économique de l’échange, préservant la cohérence de la police spéciale du crédit.

II — Responsabilités écartées et portée pratique

A — L’inefficacité des fondements contractuel et délictuel

La conséquence directe de la déqualification est parfaitement assumée: « Aucun contrat n’ayant été conclu la responsabilité contractuelle de la banque ne peut pas être engagée ». Le fondement délictuelle est ensuite discuté sous l’angle des négociations. La liberté de négocier commande, sous réserve de la bonne foi, que l’initiative, le déroulement et la rupture ne lient pas par eux-mêmes. La cour constate l’absence de preuve d’un accord effectif sur un avenant conforme, et l’absence de manquement caractérisé à la bonne foi. Elle conclut sobrement: « En l’absence de faute prouvée, la responsabilité délictuelle de la banque ne peut pas non plus être engagée ».

Cette double exclusion assainit les frontières entre l’obligation de conclure, qui n’existe pas, et l’obligation de négocier loyalement, qui n’a pas été méconnue. Elle évite de transformer des simulations, rapides et évolutives par nature, en offres fermes, et de faire de la phase précontractuelle une source automatique de réparation de gains espérés.

B — Conséquences pour la pratique de la renégociation

La portée pratique est nette. D’abord, la solution consacre la prééminence du formalisme de l’article L.313-39, qui demeure la voie exclusive de modification d’un crédit immobilier. Les acteurs doivent sécuriser le passage des simulations à l’avenant, sans ambiguïté lexicale ni hiatus dans les pièces obligatoires. Ensuite, la qualification de « proposition » protège contre une cristallisation prématurée du consentement, mais commande une pédagogie accrue pour éviter les malentendus sur le caractère non engageant des échanges préparatoires.

La décision trace également une ligne d’équilibre en matière de responsabilité. Elle n’exclut nullement qu’une faute de négociation puisse être retenue en cas de comportement contradictoire, de rétention d’information décisive, ou de revirement déloyal après un accord abouti. Elle rappelle cependant que la preuve doit être précise, et que le juge n’entend pas substituer la réparation délictuelle à l’exigence d’un avenant régulier. L’approche, respectueuse du droit positif, sécurise la pratique bancaire, tout en invitant les emprunteurs à exiger, tôt, un formalisme clair lorsque le consensus économique se dessine.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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