Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/04120

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Rendue par la cour d’appel de Versailles le 4 septembre 2025, la décision confirme, en dernier ressort, une ordonnance de référé qui avait refusé d’enjoindre la communication d’une grille salariale et de nombreuses données relatives aux rémunérations. Le litige opposait un syndicat représentatif à trois sociétés constituant une unité économique et sociale, au sujet de la loyauté des négociations annuelles obligatoires conduites pour 2024, et sollicitées par anticipation pour 2025. Le syndicat soutenait que l’absence de certains éléments, notamment une grille de salaires classant les diplômes et l’ancienneté par échelon, empêchait une négociation « en toute connaissance de cause » et caractérisait un trouble manifestement illicite.

Les faits sont simples. Des réunions de négociation se sont tenues entre décembre 2023 et mars 2024, suivies de demandes précises d’informations adressées par courriels, auxquelles l’employeur a partiellement répondu. Le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé, faute de trouble manifeste, et a rejeté l’ensemble des demandes. En appel, les conclusions des sociétés ayant été déclarées irrecevables en cours d’instance, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 472 du code de procédure civile, « il n’est fait droit à la demande que dans la mesure où elle est régulière, recevable et bien fondée », et contrôle la pertinence des motifs initiaux au regard des seuls éléments produits par l’appelant.

La question posée est nette. L’absence de communication d’une grille de salaires détaillée et d’éléments spécifiques sur certaines catégories de personnels, au-delà des données globales communiquées par emploi et grade, caractérise-t-elle un trouble manifestement illicite lors de la NAO, justifiant des injonctions sous astreinte en référé ? La cour répond par la négative, après avoir rappelé le cadre légal de la loyauté des négociations et de l’office du juge des référés.

L’arrêt énonce d’abord les bornes de l’intervention d’urgence. Le juge des référés ne peut faire cesser un trouble manifestement illicite que si la violation de la règle de droit est évidente. La cour reprend la définition selon laquelle « Le trouble manifestement illicite s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit », et ajoute qu’« Il appartient à la partie qui s’en prévaut d’en faire la démonstration avec l’évidence requise devant le juge des référés ». Elle articule ensuite cette exigence probatoire avec l’article L. 2242-6 du code du travail, dont elle cite l’énoncé suivant : « L’employeur doit également leur avoir communiqué les informations nécessaires pour leur permettre de négocier en toute connaissance de cause ». Elle admet, dans la foulée, que « L’absence de communication par l’employeur des informations nécessaires […] est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite ». Elle examine enfin si, au cas d’espèce, ces « informations nécessaires » comprenaient la grille salariale réclamée et les données additionnelles visant des populations particulières.

I. Sens de la décision : la loyauté d’information cantonnée aux « informations nécessaires »

A. Le périmètre des informations nécessaires et la BDESE comme référentiel
La cour commence par apprécier la nature des documents exigés, avec une sévérité méthodologique. Elle relève que la grille de salaires/recrutement demandée « n’est pas mentionnée dans les articles R. 2312-8 et suivants » décrivant le contenu légal de la BDESE. Elle note en outre « il n’est pas justifié d’un accord d’entreprise différent » venant élargir ce périmètre. Le raisonnement infère que cette grille, bien qu’utile à la discussion des parcours et des niveaux d’entrée, n’est pas, en soi, un document légalement requis pour caractériser la loyauté de la négociation. L’arrêt souligne enfin que des données fines par emploi et par grade avaient été transmises, ce qui, à ses yeux, satisfait l’exigence d’information en l’absence de texte imposant davantage.

Ce faisant, la cour ne confond pas l’intérêt d’une grille normative, souvent employée pour objectiver les recrutements, avec l’exigence légale d’information. Elle contrôle la nécessité juridique, non l’opportunité syndicale, et refuse d’ériger une pratique antérieure alléguée en obligation. Elle confirme donc qu’« aucune violation évidente de la règle de droit n’était caractérisée » s’agissant de la non-remise de la grille.

B. La protection des données sensibles et la limitation fonctionnelle du champ des NAO
L’arrêt poursuit en distinguant plusieurs catégories d’informations. Pour les éléments relatifs aux associés, la motivation retient que la rémunération est « gérée au niveau du groupe sur une enveloppe dissociée » de celle des autres salariés, et que certaines demandes sont « information confidentielle qui ne sera pas communiquée ». Elle admet, de plus, un risque de ré-identification pour de petits effectifs, de nature à justifier la réserve opposée. À défaut de contestation sérieuse sur ces points, la cour juge qu’« aucune violation évidente de la règle de droit n’apparaît constituée ».

La même logique conduit à écarter les demandes visant des listes historiques de non-augmentations ou un niveau de détail excédant les données déjà fournies sur la masse salariale et les promotions. La cour constate en effet que des réponses avaient été apportées aux questions posées et que l’appelant n’en démontrait pas l’insuffisance juridique. Dans cette configuration probatoire, l’exigence de loyauté, bien rappelée par « L’employeur doit également leur avoir communiqué les informations nécessaires », ne se transforme pas en droit à toute information utile, indépendamment du cadre légal et conventionnel.

II. Valeur et portée : une conception rigoureuse du trouble et une méthode de contrôle pragmatique

A. Une motivation conforme au droit positif et à l’office du juge des référés
La solution apparaît d’abord cohérente avec l’office du juge de l’évidence. En rappelant que le trouble suppose une « violation évidente de la règle de droit », la cour verrouille la tentation d’instrumentaliser le référé pour suppléer des carences perçues de dialogue social dès lors qu’un socle d’informations substantielles a été transmis. La référence structurante à la BDESE, en l’absence d’accord élargi, confère un ancrage positif et prévisible au contrôle de la loyauté d’information.

La décision se montre également attentive à la proportionnalité. Elle admet le principe selon lequel le défaut d’informations nécessaires « est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite », mais confronte l’allégation au corpus transmis, aux risques de confidentialité, et au niveau pertinent d’organisation (UES versus groupe). Ce calibrage ménage l’effectivité de l’article L. 2242-6, sans imposer par voie d’urgence des obligations non prévues par les textes ou manifestement sensibles.

B. Incidences pratiques pour la négociation collective en UES et pour la preuve syndicale
La portée de l’arrêt intéresse concrètement les NAO conduites au niveau d’une UES. La cour valide une ligne selon laquelle le périmètre des informations nécessaires s’apprécie à l’aune des données effectivement détenues au niveau de l’entité négociatrice, du contenu de la BDESE, et des stipulations conventionnelles applicables. Le rattachement de certaines enveloppes au groupe, lorsqu’il est avéré, justifie une information partielle si l’UES ne gouverne ni les attributions ni les critères de distribution.

La décision rappelle aussi l’exigence probatoire pesant sur le demandeur en référé. Il lui appartient d’établir l’insuffisance concrète des réponses, en démontrant des manquements déterminés portant sur des éléments indispensables à l’appréciation des salaires effectifs. À défaut, « il appartient à la partie qui s’en prévaut d’en faire la démonstration avec l’évidence requise », et la voie de l’urgence échoue. Le message est clair : la loyauté d’information n’autorise pas un droit général d’accès à tout référentiel interne si d’autres jeux de données permettent déjà une négociation éclairée.

En définitive, cette décision précise la frontière entre l’exigence d’informations « nécessaires » et la revendication d’outils de gestion internes, en centrant l’analyse sur la BDESE, le niveau pertinent d’organisation et la protection des données sensibles. Elle conforte une conception exigeante du trouble manifestement illicite, strictement cantonné aux violations évidentes et démontrées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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