Cour d’appel de Versailles, le 4 septembre 2025, n°24/06837

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 4 septembre 2025 illustre les difficultés contentieuses que soulève la persistance de nuisances olfactives entre locaux commerciaux mitoyens. Le litige opposait une banque propriétaire d’un local commercial à ses voisins, un couple de bailleurs et leur locataire exploitant un restaurant de type restauration rapide. La banque se plaignait de fortes odeurs de friture émanant du restaurant voisin et affectant ses locaux.

Les faits remontaient à plusieurs années. Une première expertise judiciaire avait été ordonnée en 2021. Par ordonnance du 25 avril 2022, le juge des référés avait condamné in solidum le locataire exploitant et le bailleur à mettre en conformité le mur séparatif afin de le rendre étanche à l’air et aux fumées. Une procédure de liquidation d’astreinte avait ensuite été engagée. Par arrêt du 11 janvier 2024, la Cour d’appel de Versailles avait infirmé le jugement du juge de l’exécution, considérant que les travaux prescrits avaient été réalisés.

Par assignation du 24 juin 2024, la banque avait à nouveau saisi le juge des référés, sollicitant la condamnation in solidum des défendeurs à réaliser des travaux de mise en conformité. Par ordonnance du 7 octobre 2024, le juge des référés du Tribunal judiciaire de Chartres avait déclaré la banque irrecevable en ses demandes. La banque avait interjeté appel.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les demandes de la banque se heurtaient à l’autorité de la chose jugée attachée aux précédentes décisions. Il convenait ensuite d’apprécier si les conditions du référé étaient réunies pour ordonner de nouveaux travaux.

La cour infirme l’ordonnance déférée. Elle déclare les demandes recevables et condamne le locataire à faire réaliser des travaux d’étanchéité sur la partie non traitée de la cloison séparative.

L’arrêt mérite attention en ce qu’il précise les contours de l’autorité de la chose jugée en matière de référé (I), avant de caractériser les conditions du trouble manifestement illicite justifiant une nouvelle injonction (II).

I. L’appréciation de l’autorité de la chose jugée au provisoire

La cour procède à une analyse rigoureuse de la fin de non-recevoir opposée par les intimés (A), avant d’admettre l’existence de circonstances nouvelles (B).

A. Le rappel du régime de l’autorité de la chose jugée des ordonnances de référé

La cour rappelle le principe selon lequel les ordonnances de référé, si elles n’ont pas l’autorité de la chose jugée au principal, sont revêtues de cette autorité au provisoire. Elle précise que « le juge des référés ne saurait remettre en cause ce qu’il a lui-même précédemment décidé qu’en cas de circonstances nouvelles ». Cette formulation reprend une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

L’examen de l’identité de parties, d’objet et de cause ne s’impose qu’au préalable. La cour souligne que l’autorité de la chose jugée « est relative à ce qui a été tranché dans le dispositif ». Cette précision revêt une importance particulière. Les intimés soutenaient que l’autorité de la chose jugée s’étendait aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif. La cour écarte implicitement cette argumentation en se concentrant sur le dispositif des décisions antérieures.

L’analyse des décisions précédentes révèle que l’ordonnance du 25 avril 2022 avait condamné les défendeurs à mettre en conformité « le mur séparatif entre les deux lots ». L’arrêt du 11 janvier 2024 avait quant à lui rejeté la demande de liquidation d’astreinte au motif que les travaux avaient été réalisés. Aucune de ces décisions n’avait statué sur la totalité de la cloison séparative.

B. La reconnaissance de circonstances nouvelles

La cour relève que la demande de la banque, « certes mal rédigée », devait être comprise comme tendant à la réalisation de travaux « de même nature que ceux visés dans la première ordonnance, mais à un autre endroit du mur séparatif ». Cette interprétation téléologique de la demande permet d’écarter la fin de non-recevoir.

Les éléments produits postérieurement à l’ordonnance du 25 avril 2022 caractérisent des circonstances nouvelles. La cour vise expressément les constats de commissaire de justice des 6 octobre 2022 et 22 février 2024, ainsi que le rapport d’expertise amiable du 5 février 2025. Ce dernier document établit que « la zone de travaux traités par l’exploitant s’avère efficace » mais que « les pénétrations s’effectuent désormais toujours par le plénum mais au droit de la salle de restaurant au niveau du comptoir ».

La découverte d’une nouvelle source de nuisances, distincte de celle traitée par les travaux antérieurs, constitue une circonstance nouvelle au sens de l’article 488 du Code de procédure civile. Cette solution apparaît conforme à la finalité du référé, qui vise à apporter une réponse rapide à une situation évolutive.

II. La caractérisation du trouble manifestement illicite

La cour établit l’existence d’un trouble anormal de voisinage (A), avant de déterminer les modalités de sa cessation (B).

A. La qualification du trouble anormal de voisinage

La cour rappelle les conditions du référé fondé sur l’article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile. Le trouble manifestement illicite est défini comme « toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ». Elle ajoute que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », un tel trouble étant « susceptible de constituer un trouble manifestement illicite ».

La cour précise que « le trouble anormal de voisinage étant indépendant de la notion de faute, le juge doit en toute hypothèse rechercher si le trouble allégué dépasse les inconvénients normaux du voisinage ». Cette affirmation s’inscrit dans une jurisprudence constante. L’appréciation s’effectue concrètement selon les circonstances de temps et de lieu.

Les constats de commissaire de justice établissent la réalité des nuisances olfactives. Le constat du 22 février 2024 mentionne la présence d’odeurs de friture dans plusieurs bureaux et jusque dans le hall d’entrée de l’agence bancaire. Le rapport d’expertise amiable confirme que « l’origine de ces troubles anormaux de voisinage sont liés à la présence d’une cloison séparative rapportée et ajustée aux structures béton hétérogènes » et que « la cause technique est un défaut d’étanchéité de cette cloison séparative ».

La cour conclut qu’« il est donc établi que des nuisances olfactives persistent dans l’agence bancaire, ce qui constitue un trouble anormal de voisinage caractérisant un trouble manifestement illicite ». La persistance des nuisances malgré les travaux antérieurs suffit à caractériser l’anormalité du trouble.

B. La détermination du débiteur de l’obligation de faire

La cour condamne le seul locataire exploitant à réaliser les travaux. Elle écarte la condamnation in solidum sollicitée par la banque à l’encontre des bailleurs. Cette solution repose sur une analyse des stipulations du bail commercial.

Le contrat prévoit que le bailleur assume les grosses réparations de l’article 606 du Code civil. La cour relève que « l’étanchéité du mur ne constitue pas des grosses réparations au sens de l’article 606 du code de procédure civile, qui dispose que les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières ». Cette qualification exclut la responsabilité des bailleurs au titre des travaux d’étanchéité.

Le bail stipule également que le locataire s’engage à « ne rien faire qui puisse apporter un trouble de jouissance aux voisins ». Cette clause contractuelle fonde la condamnation du seul locataire. La cour ordonne la réalisation des travaux « par un professionnel bénéficiant d’une assurance décennale, visant à mettre en œuvre une paroi étanche sur toute la cloison séparant les deux locaux ».

L’astreinte est fixée à 200 euros par jour de retard, soit le même montant que celui retenu dans l’ordonnance initiale du 25 avril 2022. Le délai accordé est de deux mois à compter de la signification de l’arrêt. La cour précise que l’astreinte courra pendant trois mois, limitant ainsi dans le temps la mesure de contrainte.

En revanche, la cour rejette la demande relative à la réglementation incendie, faute d’éléments probants. Elle refuse également d’ordonner un avis de conformité des travaux. Ces rejets partiels témoignent d’une appréciation mesurée des pouvoirs du juge des référés, qui ne saurait statuer au-delà de ce que l’évidence commande.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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