Cour d’appel de Versailles, le 5 septembre 2025, n°24/02929

Rendue par la cour d’appel de Versailles le 5 septembre 2025, la décision tranche un contentieux de surendettement marqué par des étapes procédurales contrastées. Après une recevabilité initiale en 2021 et un jugement de 2022 admettant la bonne foi de la débitrice, la commission a imposé en 2022 un rétablissement personnel sans liquidation. Saisie d’un recours, la juridiction de 2024 a retenu la mauvaise foi et prononcé la déchéance du bénéfice de la procédure. L’appel porte sur l’autorité attachée au premier jugement quant à la bonne foi, sur l’existence d’éléments nouveaux justifiant une nouvelle appréciation, et sur les conditions d’un rétablissement personnel sans liquidation avec effacement des dettes non pénales.

Les prétentions étaient opposées. L’appelante sollicitait l’infirmation, la reconnaissance de sa recevabilité et la confirmation d’un effacement total, soutenant que nulle dissimulation volontaire ne pouvait lui être imputée. Les intimés demandaient la confirmation de la mauvaise foi, l’exclusion de certaines créances de l’effacement au titre du caractère prétendument pénal, ou à tout le moins le renvoi en mesures de redressement. La question de droit portait d’abord sur la portée de l’autorité de la chose jugée de la décision de 2022 sur la bonne foi, à la lumière de l’office du juge saisi des mesures imposées. Elle visait ensuite la caractérisation d’une situation irrémédiablement compromise et la qualification des créances au regard de l’article L. 711-4 du code de la consommation. La cour retient l’autorité du jugement de 2022, constate l’absence d’élément nouveau, écarte la mauvaise foi, constate une incapacité de remboursement durable, et prononce un rétablissement personnel sans liquidation avec effacement des dettes non pénales.

I. Autorité de la chose jugée et contrôle de la bonne foi

A. Force relative de la décision de recevabilité et office du juge des mesures

La cour fixe d’abord le cadre. Elle rappelle que « Sous cette réserve, le jugement rendu sur la recevabilité du débiteur a donc autorité de la chose jugée. » L’affirmation s’inscrit dans l’économie des articles 480 du code de procédure civile et 1355 du code civil, et dans l’articulation spécifique des articles L. 711-1 et L. 732-12 du code de la consommation. L’autorité existe, mais demeure relative lorsque le juge des mesures imposées contrôle la persistance des conditions de la procédure.

Ce contrôle suit une ligne jurisprudentielle claire que la cour formule ainsi : « Autrement dit, si par un jugement définitif, le juge a déjà statué sur la bonne foi du débiteur au sens de l’article L. 711-1 du code de la consommation, il doit apprécier la valeur des éléments nouveaux et la persistance ou non de la mauvaise foi précédemment retenue, le cas échéant (2e Civ., 8 janvier 2015, pourvoi n° 13-26.710). » Le rappel conjugue explication et exigence probatoire. La bonne foi, condition de recevabilité, ne se réexamine qu’au prisme d’éléments postérieurs ou ignorés, d’une densité suffisante pour déplacer l’autorité attachée au premier jugement. Cette construction ménage la stabilité procédurale sans priver le juge d’un pouvoir de rectification encadré.

B. Exigence d’éléments nouveaux et censure de la requalification en mauvaise foi

Appliquant ce schéma, la cour censure la démarche du premier juge. Elle énonce que « Le simple exercice d’un recours, même à l’initiative de la débitrice, à l’encontre des mesures imposées ne peut suffire à caractériser cet élément nouveau pour retenir la mauvaise foi de cette dernière. » La phrase est nette : un comportement processuel ordinaire ne vale pas fait nouveau. La juridiction d’appel prolonge : « C’est donc à tort que le premier juge les a examinés une nouvelle fois pour en tirer des conséquences différentes. » La réitération de griefs identiques, déjà tranchés, ne saurait justifier une réévaluation autonome de la bonne foi.

La cour précise le seuil probatoire en matière de dol ou de dissimulation. Elle énonce que « La mauvaise foi ne peut résulter de faits dont la preuve de l’imputabilité au débiteur n’est pas suffisamment rapportée. » La formule recentre l’analyse sur l’élément intentionnel et l’imputation certaine. Elle trace aussi une frontière utile entre imprévoyance et fraude : « Ne caractérise pas davantage la mauvaise foi l’imprévoyance consistant à dépenser les sommes reçues dans le cadre de l’exécution provisoire d’un jugement dont appel, qu’il faut rembourser à la suite de l’infirmation dudit jugement. » Le rappel est salutaire en droit du surendettement, où le temps procédural et l’exécution provisoire créent des flux financiers réels mais réversibles. La cour conclut ici sans équivoque : « Dans ces conditions, il ne peut être question d’une insolvabilité organisée. » L’invocation abstraite d’un « train de vie » ou d’une « dissipation » ne suffit pas sans indices concordants, datés et rapportés.

II. Rétablissement personnel sans liquidation et portée de l’effacement

A. Constat d’une situation irrémédiablement compromise et d’une capacité nulle

Une fois la bonne foi réaffirmée, la cour examine la capacité réelle de remboursement. Elle rappelle que « Le reste à vivre s’impose à la commission, comme au juge en cas de contestation, qui doit vérifier, même d’office, que le débiteur dispose de la part des ressources nécessaire aux dépenses courantes du ménage au jour où il statue. » Le contrôle est in concreto, centré sur les charges effectives et les barèmes, et non sur des capacités théoriques déconnectées de la situation personnelle.

La méthode est précisée : « Le juge comme la commission doivent toujours rechercher la capacité réelle de remboursement du débiteur eu égard à ses charges particulières. » La cour confronte revenus constants, charges récurrentes et absence d’actif. Elle retient l’ancienneté de la précarité, l’état d’invalidité, l’âge, et l’absence de perspective de retour à meilleure fortune. Elle constate enfin l’inadéquation d’une liquidation, au regard de la nature des biens : « En outre, il ressort du dossier que son patrimoine n’est constitué que de biens meublants ou dépourvus de valeur marchande, dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale. » Le choix du rétablissement personnel sans liquidation s’impose dès lors, comme voie ultime et proportionnée.

B. Étendue de l’effacement et exclusion limitée aux dettes pénales

La cour règle ensuite la qualification des créances au regard de l’article L. 711-4 du code de la consommation. Le rappel légal est ferme : seules les réparations pécuniaires allouées à la suite d’une condamnation pénale, ainsi que les amendes, échappent à l’effacement, sauf accord du créancier. Il s’ensuit que des créances de restitution nées de l’exécution provisoire de décisions civiles infirmées, ou d’un décompte erroné ultérieurement corrigé, ne relèvent pas de cette exclusion.

La motivation est explicite : « Il ne s’agit nullement de dommages-intérêts alloués, par une juridiction civile ou pénale, en réparation d’une infraction pénale, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’exclure lesdites créances de la mesure d’effacement. » La solution clarifie l’office du juge face aux tentatives de requalification « pénale » de dettes civiles de restitution. Elle évite un contournement du régime d’effacement par un simple étiquetage contentieux, et confirme que la cause de l’obligation, non son contexte conflictuel, gouverne l’exclusion.

La portée de l’arrêt est double. Sur la valeur, il consolide la protection procédurale de la bonne foi en exigeant de véritables éléments nouveaux, et il distingue nettement l’imprévoyance de la fraude. Sur l’efficacité, il sécurise la trajectoire de dossiers durablement déficitaires en rappelant la centralité du reste à vivre et en délimitant strictement les créances exclues. L’ensemble contribue à une application cohérente du droit du surendettement, respectueuse de l’équilibre entre sécurité des créanciers et redressement des débiteurs de bonne foi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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