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La Cour d’appel de Versailles, par un arrêt du 8 septembre 2025, a confirmé l’irrecevabilité d’une action en responsabilité délictuelle pour cause de prescription. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient le point de départ du délai de prescription quinquennale en matière d’actions personnelles.
Un établissement public propriétaire d’un ensemble immobilier avait confié des travaux de modification du système de production d’eau chaude à une entreprise. Dans ce cadre, un adoucisseur d’eau avait été installé puis mis en service par le fournisseur en juillet 2013. Les travaux furent réceptionnés en janvier 2014. Un dégât des eaux survint en août 2014 à la suite de la rupture d’une pièce du système. Une expertise judiciaire fut ordonnée en octobre 2014. Le fournisseur de l’adoucisseur, non assigné initialement par le maître d’ouvrage, fut appelé aux opérations d’expertise à la demande d’un assureur par ordonnance du 15 décembre 2014. L’expert déposa plusieurs notes, dont une première le 16 février 2015 évoquant la responsabilité potentielle du fournisseur, avant de rendre son rapport définitif en décembre 2020.
Le maître d’ouvrage assigna le fournisseur en indemnisation le 21 septembre 2021. Le juge de la mise en état déclara l’action irrecevable pour prescription, retenant comme point de départ la note de l’expert du 16 février 2015. Le maître d’ouvrage interjeta appel, soutenant qu’il n’avait eu connaissance du fait générateur et du lien de causalité qu’à compter d’une note de synthèse du 24 janvier 2020. Le fournisseur sollicita la confirmation de l’ordonnance.
La question posée à la Cour d’appel de Versailles était celle de la détermination du point de départ du délai de prescription quinquennale : ce délai court-il à compter de la date à laquelle le demandeur a eu connaissance des éléments suffisants pour exercer son action, ou seulement à compter du dépôt du rapport définitif de l’expert ?
La cour confirme l’ordonnance déférée. Elle retient que le maître d’ouvrage a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action à compter du 16 février 2015, date de la première note de l’expert évoquant la responsabilité du fournisseur. L’action engagée le 21 septembre 2021 était donc prescrite.
Cet arrêt mérite attention en ce qu’il précise les conditions d’appréciation du point de départ de la prescription en cas d’expertise judiciaire (I), tout en illustrant les conséquences de l’absence d’interruption du délai à l’égard d’un défendeur non assigné par le demandeur principal (II).
I. L’appréciation du point de départ de la prescription en présence d’une expertise judiciaire
La cour retient une interprétation stricte de la connaissance des faits permettant d’agir (A), écartant ainsi la thèse d’un point de départ différé au rapport définitif (B).
A. La connaissance suffisante des faits dès les premières investigations expertales
L’article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». La cour applique ce texte avec rigueur en retenant la date de la première note de l’expert comme point de départ.
L’arrêt relève que dès le 16 février 2015, l’expert avait écrit que « le technicien CILLIT n’a fait aucune remarque sur la non-conformité du raccordement de l’adoucisseur d’eau au réseau aux exigences du constructeur » et que « dans cette hypothèse, le technicien CILLIT serait le dernier à avoir assemblé le raccordement non-conforme aux exigences du constructeur CILLIT ». Ces éléments suffisaient à identifier le responsable potentiel et le fait générateur du dommage.
La cour retient également que l’expert « affermit sa position dans sa note de synthèse n°2 du 8 juin 2015 ». Cette formulation révèle que la juridiction considère la première note comme déjà suffisamment explicite pour faire courir le délai. La note ultérieure ne constitue qu’une confirmation, non une révélation.
B. Le rejet de la thèse d’un point de départ différé au rapport définitif
Le maître d’ouvrage soutenait n’avoir eu connaissance du fait générateur et du lien de causalité qu’à compter d’une note de synthèse du 24 janvier 2020. La cour écarte cet argument de manière catégorique.
L’arrêt observe que l’appelant « ne prétend pas avoir eu cette connaissance à compter du dépôt du rapport définitif de l’expert » et « ne peut soutenir n’avoir eu une connaissance de ces faits qu’à compter d’une note de synthèse du 24 janvier 2020, qui n’est d’ailleurs pas produite au présent litige ». L’absence de production de ce document affaiblit considérablement la position du demandeur.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de retarder le point de départ de la prescription jusqu’au rapport définitif lorsque des éléments antérieurs permettaient déjà d’identifier le responsable et la cause du dommage. Le demandeur ne peut attendre passivement la clôture des opérations d’expertise pour agir.
II. Les conséquences de l’absence d’interruption du délai de prescription
L’arrêt rappelle l’effet relatif de l’assignation en référé sur l’interruption de la prescription (A), ce qui conduit à l’irrecevabilité définitive de l’action (B).
A. L’effet relatif de l’assignation en référé expertise
La cour souligne qu’« aucune interruption ou suspension du délai de prescription ne peut être retenue en faveur de l’OPH, la société BTW n’ayant pas été attraite par lui en référé ». Cette précision est déterminante.
L’article 2241 du code civil prévoit que la demande en justice interrompt le délai de prescription. Toutefois, cet effet interruptif ne bénéficie qu’à celui qui a formé la demande et ne joue qu’à l’égard du défendeur visé par cette demande. Le maître d’ouvrage avait certes saisi le juge des référés pour obtenir une expertise, mais il n’avait pas assigné le fournisseur à cette occasion.
L’arrêt relève que « la société BTW n’avait pas été assignée en référé expertise par l’OPH, elle l’a été à la demande de la société Axa France Iard ». L’assignation émanant d’un tiers, fût-il partie aux opérations d’expertise, ne produit aucun effet interruptif au profit du maître d’ouvrage. Cette solution procède d’une application rigoureuse du principe de l’effet relatif des actes de procédure.
B. L’irrecevabilité pour prescription de l’action tardive
La cour en déduit que « l’action engagée pour la première fois le 21 septembre 2021 par l’OPH à l’encontre de la société BWT était prescrite, donc irrecevable ». Plus de six ans s’étaient écoulés depuis la première note de l’expert, alors que le délai de prescription quinquennale était expiré.
L’article 122 du code de procédure civile qualifie la prescription de fin de non-recevoir. La cour confirme cette irrecevabilité « sans examen au fond », ce qui prive définitivement le demandeur de toute possibilité d’obtenir réparation auprès de ce défendeur.
Cette décision illustre les dangers d’une stratégie contentieuse attentiste. Le maître d’ouvrage, en s’abstenant d’assigner lui-même le fournisseur en référé puis en attendant le rapport définitif pour agir au fond, s’est exposé à la prescription. La connaissance de l’identité du responsable potentiel et des faits générateurs dès 2015 faisait courir un délai que seule une assignation au fond aurait pu interrompre utilement.