Cour d’appel de Versailles, le 9 septembre 2025, n°24/04723

Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée sur les conditions dans lesquelles un établissement de crédit peut poursuivre les héritiers d’un emprunteur décédé en remboursement d’un prêt de regroupement de crédit. Cette décision traite de la recevabilité de l’action du créancier contre les héritiers n’ayant pas encore formellement accepté la succession, ainsi que des modalités de la déchéance du terme et de l’obligation solidaire des héritiers.

En l’espèce, une banque avait consenti à une personne un prêt de regroupement de crédit d’un montant de 31 000 euros, remboursable en 180 mensualités. L’emprunteuse est décédée quelques mois après la conclusion du contrat, sans avoir souscrit d’assurance décès. Les échéances du prêt n’ont plus été honorées après le décès. La banque a alors assigné les trois enfants de la défunte en paiement du solde du prêt, soit une somme d’environ 30 000 euros.

Le Tribunal de proximité de Colombes, par jugement du 24 mai 2024, a déclaré irrecevables les demandes de la banque. Les premiers juges ont retenu que les héritiers n’avaient pas encore accepté la succession, qu’aucun acte de notoriété n’avait été dressé, et que la banque n’avait pas sommé les héritiers de prendre position sur la succession conformément à l’article 771 du Code civil.

La banque a interjeté appel de ce jugement. Elle soutenait que la sommation de prendre parti n’est pas un préalable obligatoire à la poursuite des héritiers et que ceux-ci, saisis de plein droit en application de l’article 724 du Code civil, pouvaient être poursuivis sans formalité particulière. Les intimés soutenaient pour leur part que n’ayant pas accepté la succession, ils n’étaient liés par aucune obligation à l’égard de la banque, créancière de la succession et non de chacun d’eux.

La question posée à la cour était double. D’une part, un créancier peut-il poursuivre les héritiers légaux d’un emprunteur décédé sans que ceux-ci aient préalablement accepté la succession ou aient été sommés d’opter ? D’autre part, dans l’affirmative, quelles sont les conditions de validité de la déchéance du terme et de l’engagement solidaire des héritiers ?

La Cour d’appel de Versailles infirme le jugement de première instance et condamne solidairement les trois héritiers au paiement de la somme de 30 194,51 euros avec intérêts au taux contractuel. La cour juge que « l’héritier désigné par la loi, saisi de plein droit des biens, droits et actions du défunt, peut être poursuivi par les créanciers de la succession, sauf à lui à renoncer à celle-ci ». Elle considère par ailleurs que la banque ne pouvait se prévaloir de la déchéance du terme faute de mise en demeure préalable régulière, mais prononce la résiliation judiciaire du contrat pour inexécution.

L’intérêt de cet arrêt réside dans la clarification apportée sur la situation des héritiers face aux créanciers du défunt avant toute option successorale, ainsi que dans l’articulation entre les clauses contractuelles d’exigibilité anticipée et la protection des héritiers débiteurs. Il convient d’examiner successivement la recevabilité de l’action du créancier contre les héritiers non acceptants (I), puis les conditions de mise en œuvre de sa créance (II).

I. La recevabilité de l’action du créancier contre les héritiers saisis de plein droit

La cour consacre le principe de la saisine héréditaire comme fondement suffisant de l’action du créancier (A), écartant ainsi l’exigence d’une sommation préalable d’opter (B).

A. La saisine héréditaire, fondement autonome de l’action en paiement

La Cour d’appel de Versailles rappelle le mécanisme de la saisine héréditaire prévu par l’article 724 alinéa 1er du Code civil, selon lequel « les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ». Cette saisine opère de manière automatique et immédiate au jour du décès, sans qu’aucune formalité ne soit requise. Elle s’applique aux héritiers du premier ordre, à savoir les enfants et leurs descendants en application de l’article 734 du même code.

La cour énonce qu’« il est de jurisprudence constante que l’héritier désigné par la loi, saisi de plein droit des biens, droits et actions du défunt, peut être poursuivi par les créanciers de la succession ». Cette formulation reprend la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation, notamment dans ses arrêts du 7 juin 2006 et du 12 juin 2024. La saisine emporte transmission universelle du patrimoine du défunt, y compris de son passif. Le créancier héréditaire dispose donc d’un droit d’action contre l’héritier saisi, indépendamment de toute manifestation de volonté de ce dernier.

La cour précise toutefois les limites de cette action en indiquant que l’héritier peut y échapper « sauf à lui à renoncer à celle-ci ou à démontrer qu’il est primé par des héritiers plus proches ou qu’il est exclu par un légataire universel ». L’héritier poursuivi conserve ainsi des moyens de défense tenant à sa qualité même d’héritier ou à l’exercice de son option successorale. En l’espèce, les intimés n’avaient ni renoncé à la succession, ni démontré être primés par d’autres héritiers. La cour relève au contraire qu’ils avaient « procédé à la mise en vente du bien immobilier dépendant de la succession », manifestant ainsi un comportement d’héritier acceptant.

B. L’absence d’exigence d’une sommation préalable d’opter

Les intimés invoquaient l’article 771 du Code civil qui permet à tout créancier de sommer l’héritier de prendre parti sur la succession. Ils soutenaient que cette sommation constituait un préalable obligatoire à toute action en paiement. Le tribunal de première instance avait accueilli cette argumentation en considérant que l’absence de sommation faisait « obstacle à considérer les consorts comme ses débiteurs ».

La Cour d’appel de Versailles rejette cette analyse. Elle affirme qu’« il n’est donc pas imposé au créancier poursuivant les héritiers de démontrer que ces derniers ont accepté la succession, ni de leur faire sommation d’exercer leur option ». Cette solution se justifie par la distinction entre la saisine et l’option successorale. La saisine confère à l’héritier une qualité qui lui permet de représenter le défunt dans les rapports juridiques. L’option successorale, en revanche, détermine l’étendue définitive de son engagement patrimonial.

Le créancier n’a pas à attendre que l’héritier exerce son option pour agir. La sommation de l’article 771 du Code civil constitue une simple faculté offerte au créancier qui souhaite fixer la situation juridique de l’héritier, non une condition de recevabilité de son action. L’héritier assigné conserve la possibilité de renoncer à la succession pour échapper à la condamnation, cette renonciation pouvant intervenir tant que la succession n’a pas été acceptée.

La solution retenue protège les intérêts du créancier en lui évitant de devoir accomplir des formalités supplémentaires avant d’agir. Elle présente toutefois un risque pour l’héritier qui, poursuivi avant d’avoir pu apprécier l’état de la succession, peut se trouver condamné sans avoir eu le temps de renoncer.

II. Les conditions de mise en œuvre de la créance contre les héritiers

La cour examine les modalités d’exigibilité de la créance en sanctionnant l’irrégularité de la déchéance du terme (A), avant de faire application de la clause d’indivisibilité stipulée au contrat (B).

A. L’exigence d’une mise en demeure préalable à la déchéance du terme

La banque prétendait que la déchéance du terme lui était acquise du fait des impayés intervenus après le décès de l’emprunteuse. La cour rejette cette prétention en relevant que « le contrat de prêt n’exclut pas expressément l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme ».

Les articles 1224 et 1225 du Code civil, issus de la réforme du droit des contrats de 2016, encadrent les conditions de la résolution pour inexécution. Appliqués au contrat de prêt, ils imposent que la déchéance du terme, lorsqu’elle est prévue par le contrat, soit précédée d’une mise en demeure précisant le délai dont dispose le débiteur pour régulariser sa situation. Cette exigence ne peut être écartée que par une « disposition expresse et non équivoque » du contrat.

En l’espèce, l’article 5.8.1 du contrat prévoyait que « le prêteur pourra exiger le remboursement du prêt avant son échéance et prononcer la déchéance du terme » en cas de retard de plus de trente jours. La cour considère que cette stipulation ne dispense pas expressément de la mise en demeure préalable. Elle constate que « la société ne justifie pas avoir adressé aux héritiers une mise en demeure préalable à la déchéance du terme puisque les courriers qui leur ont été envoyés les mettaient en demeure de régler la somme correspondant à la totalité du capital restant dû ».

La mise en demeure adressée réclamait directement le paiement de l’intégralité de la dette, ce qui supposait la déchéance du terme déjà acquise. Or, cette déchéance n’avait pas été valablement prononcée. La cour en déduit que la banque « ne peut s’en prévaloir ». Elle prononce néanmoins la résiliation judiciaire du contrat sur le fondement de l’article 1228 du Code civil, le manquement des héritiers à leur obligation de remboursement étant « suffisamment grave » pour la justifier.

Cette solution illustre l’attention portée par les juridictions au formalisme protecteur des emprunteurs, formalisme qui s’étend à leurs héritiers.

B. L’application de la clause contractuelle d’indivisibilité

L’article 873 du Code civil pose le principe de la division des dettes successorales entre les héritiers. Chaque héritier n’est tenu personnellement que de sa part. Les intimés invoquaient cette règle pour s’opposer à leur condamnation solidaire.

La cour rappelle ce principe en citant l’article 1309 du Code civil selon lequel « l’obligation qui lie plusieurs débiteurs se divise de plein droit entre eux ». Elle précise que « la division a lieu également entre leurs successeurs, l’obligation fût-elle solidaire ». En principe, le décès de l’emprunteur entraîne donc la division de la dette entre ses héritiers, chacun n’étant tenu que de sa quote-part.

La cour relève toutefois l’existence d’une clause contractuelle dérogatoire. L’article 5.7 du contrat de prêt stipulait qu’« en cas de décès, le montant de la présente obligation sera indivisible entre leurs héritiers ou représentants par dérogation à l’article 1309 du code civil, de sorte que chacun d’eux sera tenu solidairement avec les autres, personnellement, de la totalité de la dette ».

La validité de cette clause n’est pas discutée par les parties. Elle permet au créancier de poursuivre chaque héritier pour la totalité de la dette, en dérogation au principe de division. La cour fait application de cette stipulation et condamne les trois héritiers « solidairement » au paiement de la somme due.

Cette clause d’indivisibilité présente un intérêt pratique considérable pour le créancier. Elle lui évite de diviser ses poursuites et lui garantit un recouvrement plus efficace. Elle fait toutefois peser sur chaque héritier le risque de l’insolvabilité des autres, sous réserve de son recours contributoire contre ses cohéritiers. L’arrêt confirme la licéité de telles clauses dans les contrats de crédit, offrant ainsi aux établissements bancaires un outil efficace de protection contre le risque de décès de l’emprunteur non couvert par une assurance.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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