Cour de cassation, le 10 juillet 2025, n°24-22.770

L’article 978 du code de procédure civile impose au demandeur au pourvoi de déposer un mémoire ampliatif dans un délai déterminé. Le non-respect de cette exigence entraîne une sanction radicale, la déchéance du pourvoi, qui prive définitivement le plaideur de la possibilité de voir sa cause examinée au fond par la Cour de cassation. L’ordonnance rendue le 10 juillet 2025 par une conseillère référendaire déléguée par le premier président de la Cour de cassation illustre cette rigueur procédurale.

Une société civile immobilière a formé un pourvoi le 23 décembre 2024 contre un arrêt rendu le 29 octobre 2024 par la cour d’appel de Poitiers. Cette décision l’opposait à un fonds commun de titrisation venant aux droits d’un établissement bancaire. Le litige portait sur une créance, bien que les circonstances précises de l’affaire ne soient pas détaillées dans l’ordonnance.

Après l’introduction du pourvoi, aucun mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée n’a été produit dans le délai légal. La conseillère référendaire déléguée a donc été saisie pour statuer sur les conséquences de cette carence.

La question posée était la suivante : le défaut de production d’un mémoire ampliatif dans le délai prévu par l’article 978 alinéa 1er du code de procédure civile justifie-t-il le prononcé de la déchéance du pourvoi ?

La conseillère référendaire déléguée a répondu par l’affirmative. Elle a constaté la déchéance du pourvoi en application de l’article 978 alinéa 1er du code de procédure civile, faute pour la demanderesse d’avoir produit un mémoire dans le délai imparti.

Cette ordonnance invite à examiner le caractère automatique de la déchéance pour défaut de mémoire ampliatif (I), avant d’envisager les conséquences de cette sanction sur l’accès au juge de cassation (II).

I. Le caractère automatique de la déchéance pour défaut de mémoire ampliatif

La déchéance prononcée repose sur une exigence textuelle dépourvue d’ambiguïté (A), dont la mise en œuvre obéit à un mécanisme purement objectif (B).

A. Une exigence textuelle dépourvue d’ambiguïté

L’article 978 alinéa 1er du code de procédure civile dispose que le demandeur au pourvoi doit remettre son mémoire au greffe de la Cour de cassation dans un délai de quatre mois à compter du pourvoi. Ce texte ne prévoit aucune exception ni aucune possibilité de prorogation en dehors des cas strictement encadrés par la loi. L’ordonnance commentée se borne à constater « qu’aucun mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée n’a été produit dans le délai légal ». Cette formulation lapidaire suffit à fonder la décision.

Le mémoire ampliatif constitue la pièce maîtresse de la procédure devant la Cour de cassation. Il doit contenir l’énoncé des moyens de droit, c’est-à-dire les griefs articulés contre la décision attaquée. Sans ce document, la haute juridiction ignore les critiques formulées par le demandeur et se trouve dans l’impossibilité d’exercer son contrôle. Le législateur a donc attaché à son défaut une sanction péremptoire.

B. Un mécanisme de sanction purement objectif

La déchéance prévue par l’article 978 alinéa 1er présente un caractère objectif. Le juge n’a pas à rechercher les motifs de la carence du demandeur ni à apprécier sa bonne foi. Il lui suffit de constater que le délai est expiré et qu’aucun mémoire n’a été déposé. L’ordonnance en fournit une illustration parfaite puisque la conseillère référendaire se contente d’énoncer le fait générateur de la déchéance sans autre considération.

Cette automaticité distingue la déchéance des autres sanctions procédurales qui peuvent être écartées en présence d’un motif légitime ou d’une cause étrangère. La Cour de cassation a toujours fait preuve de fermeté dans l’application de ce texte. Elle refuse de prendre en compte les difficultés rencontrées par le demandeur ou son avocat, qu’il s’agisse d’un empêchement matériel ou d’une erreur de computation du délai. Seule la force majeure, interprétée restrictivement, pourrait en théorie suspendre le cours du délai.

II. Les conséquences de la déchéance sur l’accès au juge de cassation

La déchéance emporte des effets définitifs sur le sort du pourvoi (A), ce qui soulève la question de la conciliation entre rigueur procédurale et droit au recours (B).

A. L’extinction définitive du pourvoi

La déchéance prononcée met un terme au pourvoi sans examen au fond. La conseillère référendaire déléguée « constate » cette déchéance, ce qui traduit le caractère déclaratif de sa décision. Le pourvoi n’est pas rejeté après examen des moyens ; il est anéanti par l’effet de la loi. L’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 29 octobre 2024 devient donc irrévocable.

Le demandeur ne dispose d’aucune voie de recours efficace contre cette ordonnance. La déchéance est constatée par le premier président ou son délégué, et cette décision n’est pas susceptible d’un pourvoi en cassation puisqu’elle émane de la Cour de cassation elle-même. Le plaidant se trouve ainsi privé de toute possibilité de faire réexaminer sa situation. Cette rigueur peut paraître sévère lorsque le défaut de mémoire résulte d’une simple négligence, mais elle répond à l’impératif de célérité qui gouverne la procédure devant la haute juridiction.

B. La tension entre rigueur procédurale et droit au recours

La déchéance pour défaut de mémoire ampliatif pose la question de sa compatibilité avec le droit au recours effectif garanti par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne admet que les États peuvent réglementer l’accès aux juridictions suprêmes par des conditions de forme et de délai, pourvu que ces restrictions ne portent pas atteinte à la substance même du droit. Le délai de quatre mois prévu par l’article 978 apparaît raisonnable et n’a jamais été jugé contraire aux exigences conventionnelles.

La présente ordonnance s’inscrit dans une jurisprudence constante qui fait prévaloir la sécurité juridique sur la bienveillance procédurale. Le demandeur au pourvoi, assisté obligatoirement d’un avocat aux Conseils, dispose des moyens de respecter les délais. La responsabilité de cet auxiliaire de justice peut d’ailleurs être engagée en cas de négligence fautive ayant conduit à la déchéance. Cette solution ménage un équilibre entre l’intérêt du justiciable et les nécessités du bon fonctionnement de la Cour de cassation, dont le rôle normatif suppose un filtrage rigoureux des affaires soumises à son examen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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