Cour de justice de l’Union européenne, le 10 avril 2014, n°C-115/13

En l’espèce, la Cour de justice de l’Union européenne est amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une législation nationale avec le droit de l’Union en matière de fiscalité indirecte. Un État membre avait adopté une loi permettant aux particuliers de produire, ou de faire produire à façon, une quantité limitée d’eau-de-vie de fruits en exonération totale de droits d’accise. Cette production, plafonnée à cinquante litres par an et par ménage, était destinée à la consommation personnelle. La Commission européenne, estimant que cette exonération violait les dispositions des directives relatives à l’harmonisation des structures des droits d’accises sur l’alcool, a initié une procédure en manquement à l’encontre de cet État. L’État membre soutenait que sa législation était justifiée par des considérations traditionnelles, l’absence de distorsion de concurrence sur le marché intérieur, et une interprétation souple des textes européens. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si un État membre peut instaurer une exonération totale de droit d’accise pour la production d’alcool à des fins privées, alors que la directive applicable ne prévoit qu’une faculté de réduction de taux, encadrée par des conditions strictes. La Cour de justice a jugé que la réglementation nationale, en prévoyant un taux nul ou une exonération totale, méconnaissait les obligations découlant du droit de l’Union, qui n’autorise qu’un taux réduit ne pouvant être inférieur à 50 % du taux normal.

Cette décision réaffirme la primauté et l’interprétation stricte du droit harmonisé en matière de fiscalité (I), tout en écartant fermement les justifications fondées sur des particularismes nationaux ou des considérations extra-juridiques (II).

I. La confirmation de l’application stricte du cadre harmonisé des droits d’accise

La Cour rappelle avec force le caractère contraignant des directives d’harmonisation fiscale, en s’opposant à une lecture flexible de leurs dispositions (A) et en appliquant de manière rigoureuse les conditions de la dérogation admise (B).

A. Le rejet d’une interprétation extensive des facultés de dérogation

L’État membre tentait de justifier sa législation en s’appuyant sur les considérants de la directive 92/83 ainsi que sur des documents issus des travaux préparatoires. Il soutenait que l’intention du législateur était de permettre une certaine flexibilité aux États pour préserver des productions traditionnelles sans créer de distorsion de concurrence. La Cour rejette cette argumentation en rappelant une règle d’interprétation constante. Elle affirme que « des déclarations formulées au stade des travaux préparatoires, aboutissant à l’adoption d’une directive, ne sauraient être retenues pour leur interprétation, lorsque leur contenu ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et qu’elles n’ont, dès lors, aucune portée juridique ». De même, les considérants d’un acte ne peuvent justifier une interprétation qui irait à l’encontre du libellé clair de ses articles. Par cette position, la Cour confirme que le champ des dérogations possibles est exhaustivement défini par le dispositif de la directive, et que toute marge de manœuvre laissée aux États membres doit y être expressément prévue. Le législateur de l’Union, en fixant un cadre précis, n’a pas entendu permettre aux États d’instaurer des régimes dérogatoires discrétionnaires.

B. La censure du dépassement des limites de la dérogation autorisée

Le cœur du litige résidait dans la confrontation entre l’exonération totale prévue par la loi nationale et la dérogation spécifique autorisée par le droit de l’Union. L’article 22, paragraphe 7, de la directive 92/83 permet à certains États membres, dont celui en cause, d’appliquer un taux d’accise réduit pour l’alcool produit par les distilleries de fruiticulteurs. Cependant, cette faculté est doublement conditionnée. D’une part, le taux réduit ne peut être inférieur à 50 % du taux national normal. D’autre part, cette production doit être le fait de fruiticulteurs. Or, la législation nationale allait bien au-delà de ce cadre, en instaurant un taux nul ou une exonération totale. De plus, elle ne conditionnait pas toujours cette faveur fiscale à la qualité de fruiticulteur pour la distillation privée. La Cour constate donc logiquement que « ces dispositions nationales dépassent les limites fixées par l’exception prévue pour la Hongrie dans la directive 92/83 ». Le manquement est ainsi caractérisé par une violation objective et manifeste des conditions posées par le texte européen. En appliquant un taux zéro là où seule une réduction de moitié était possible, l’État membre a outrepassé la seule marge de manœuvre qui lui était concédée.

II. L’indifférence des arguments non juridiques face à une obligation d’harmonisation

Au-delà de l’analyse technique, l’arrêt se distingue par le rejet catégorique des arguments fondés sur la tradition nationale (A) et sur l’absence prétendue d’impact sur le marché intérieur (B).

A. Le refus de la primauté des traditions nationales sur le droit de l’Union

Pour sa défense, l’État membre invoquait avec insistance le caractère séculaire de la production d’eau-de-vie de fruits, la présentant comme partie intégrante de son patrimoine culturel. L’objectif de préservation de cette tradition était présenté comme fondamental. La Cour balaye cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence bien établie. Elle rappelle qu’« une tradition nationale, en soi, ne peut exonérer un État membre de ses obligations découlant du droit de l’Union ». Cet attendu, classique mais essentiel, réaffirme un principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union : la primauté du droit de l’Union sur les règles nationales, fussent-elles ancrées dans une longue histoire. De la même manière, l’argument selon lequel d’autres États membres toléreraient des pratiques similaires est jugé inopérant, la Cour rappelant que le manquement d’un État ne saurait être justifié par l’inexécution de ses obligations par un autre. L’exécution du droit de l’Union n’est pas soumise à une condition de réciprocité.

B. La portée de l’harmonisation indépendamment de l’effet sur le marché

L’État membre soutenait également que son régime d’exonération n’avait pas d’incidence sur le marché intérieur, puisque les quantités produites étaient faibles et réservées à la consommation personnelle. Une telle législation ne créerait donc aucune distorsion de concurrence. La Cour écarte cet argument en soulignant que le champ d’application de l’harmonisation fiscale n’est pas subordonné à un effet concret sur le marché. Elle précise que « lorsqu’une question est réglementée de manière harmonisée au niveau de l’Union, toute mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation ». Les directives 92/83 et 92/84 fixent des taux minimaux d’accise sur l’alcool éthylique sans conditionner cette imposition à l’effet que la production pourrait avoir sur le marché. En d’autres termes, dès lors qu’un domaine est harmonisé, les États membres sont tenus de respecter les règles établies, même pour des situations qui peuvent sembler marginales ou dépourvues d’impact transfrontalier. La seule existence d’un cadre harmonisé suffit à imposer son respect intégral.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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