Par un arrêt dont la date n’est pas précisée, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’articulation du système de compensation équitable pour copie privée avec l’exigence de licéité de la source de la reproduction.
En l’espèce, un litige est né dans un État membre au sujet du calcul de la redevance pour copie privée. Des entités redevables de cette compensation contestaient le fait que l’assiette de calcul incluait des reproductions réalisées à partir de sources illicites, telles que des fichiers obtenus sur des réseaux de partage non autorisés. Elles ont donc saisi une juridiction nationale afin de voir clarifier l’étendue de leur obligation de paiement à l’égard de l’organisme chargé de la perception et de la répartition de ladite compensation.
Saisie d’une question préjudicielle, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de deux textes fondamentaux du droit de l’Union. D’une part, il s’agissait de déterminer si la directive 2001/29/CE sur le droit d’auteur, et plus précisément son article 5 qui prévoit l’exception de copie privée, autorise un État membre à instituer un système de compensation qui ne distinguerait pas selon l’origine, licite ou illicite, de la copie. D’autre part, la Cour était questionnée sur l’applicabilité de la directive 2004/48/CE, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, à une procédure où les débiteurs de la compensation agissent en justice contre l’organisme collecteur.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que la directive 2001/29/CE « s’oppose à une législation nationale […] qui ne distingue pas la situation où la source, à partir de laquelle une reproduction pour un usage privé est réalisée est licite de celle où cette source est illicite ». En outre, elle juge que la directive 2004/48/CE « ne s’applique pas à une procédure […] dans laquelle les redevables de la compensation équitable demandent à la juridiction de renvoi de faire des déclarations pour droit à la charge de l’organisme chargé de percevoir et de répartir cette rémunération ».
La Cour établit ainsi une condition de licéité de la source pour le bénéfice de l’exception de copie privée (I), tout en circonscrivant le champ d’application de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle (II).
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I. La nécessaire licéité de la source de la copie privée
La Cour de justice consacre une interprétation stricte de l’exception pour copie privée (A), dont la portée renforce la protection des titulaires de droits (B).
A. L’interprétation stricte de l’exception de copie privée
La Cour rappelle que les exceptions au droit d’auteur doivent être interprétées de manière restrictive. L’autorisation de réaliser des copies pour un usage privé, prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, ne saurait être comprise comme une validation indirecte d’actes de contrefaçon. En jugeant qu’une législation nationale « ne distingue pas la situation où la source […] est licite de celle où cette source est illicite », la Cour estime qu’un tel système porterait atteinte à l’équilibre voulu par le législateur de l’Union.
En effet, le système de la compensation équitable vise à indemniser les titulaires de droits pour le préjudice subi du fait de la reproduction de leurs œuvres sans leur autorisation préalable. Ce préjudice ne peut être conçu que dans le cadre d’une exploitation normale de l’œuvre. Tolérer qu’une compensation soit perçue pour des copies issues de sources illicites reviendrait à faire participer les titulaires de droits, involontairement, à la diffusion d’œuvres contrefaisantes. Une telle situation serait contraire à l’exigence d’un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle et romprait l’équilibre entre les droits des auteurs et les intérêts des utilisateurs.
B. La portée d’une solution protectrice des titulaires de droits
Cette décision a pour conséquence directe d’obliger les États membres à adapter leur législation nationale pour s’assurer que le calcul de la redevance pour copie privée exclut les reproductions d’origine illicite. La Cour réaffirme ainsi que le droit de l’Union ne saurait cautionner un système qui légitimerait, même indirectement, le piratage. La solution garantit que le mécanisme de compensation ne devienne pas une source de financement pour des activités portant atteinte au marché licite des œuvres.
Cependant, cette clarification soulève d’importantes difficultés pratiques. Il est en effet complexe, pour les organismes collecteurs comme pour les redevables, de déterminer la proportion de copies réalisées à partir de sources licites ou illicites. La mise en œuvre de cette décision pourrait nécessiter le recours à des études de marché et à des estimations statistiques complexes pour établir une assiette de calcul conforme aux exigences du droit de l’Union, ce qui risque de générer de nouveaux contentieux.
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II. L’inapplicabilité de la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle
La Cour fonde son raisonnement sur la nature spécifique du litige (A), ce qui a pour effet de confirmer la compétence du droit commun pour ce type de contentieux (B).
A. Une exclusion fondée sur la nature du litige
La directive 2004/48 a pour objet de rapprocher les législations des États membres afin d’assurer un niveau de protection élevé et homogène de la propriété intellectuelle. Elle met en place un ensemble de mesures, de procédures et de réparations destinées à faire cesser les atteintes aux droits de propriété intellectuelle et à indemniser les préjudices subis par leurs titulaires. Son champ d’application est donc orienté vers l’action des titulaires de droits contre les contrefacteurs.
Or, la Cour observe que la procédure en cause au principal présente une configuration inverse. Ce sont les redevables de la compensation, et non les titulaires de droits, qui ont initié l’action en justice. L’organisme collecteur, qui agit pour le compte des titulaires de droits, se trouve en position de défendeur. La Cour en déduit logiquement que la directive 2004/48 « ne s’applique pas à une procédure » de cette nature, car elle n’a pas été conçue pour régler les différends relatifs aux modalités de paiement d’une compensation légale, mais pour combattre les actes de contrefaçon.
B. La confirmation d’un contentieux de droit commun
En excluant l’application de la directive 2004/48, la Cour de justice précise les frontières de cet instrument. Elle évite une extension de son champ d’application à des litiges qui, bien que liés à la propriété intellectuelle, relèvent davantage du droit des obligations ou du droit administratif que de la lutte contre la contrefaçon. Cette interprétation préserve la spécificité de la directive et garantit qu’elle reste un outil ciblé sur la sanction des atteintes aux droits.
La portée de cette seconde partie de l’arrêt est de confirmer que les litiges entre les redevables de la compensation pour copie privée et les organismes collecteurs doivent être tranchés sur le fondement du droit procédural national de droit commun. Les règles et garanties prévues par la directive 2004/48, telles que les mesures provisoires ou les droits à l’information spécifiques, ne sont pas mobilisables dans ce cadre. Cette solution assure une sécurité juridique en délimitant clairement les régimes procéduraux applicables.