La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 10 décembre 2015, une décision fondamentale concernant l’interprétation du droit des marques communautaires. Le litige opposait une société commerciale à un office de propriété intellectuelle suite au dépôt d’un signe figuratif jugé similaire à des marques antérieures renommées. L’opposition s’appuyait sur le risque de confusion ainsi que sur l’atteinte à la renommée des signes plus anciens déjà enregistrés. La chambre de recours avait rejeté cette opposition au motif que la faible ressemblance visuelle et phonétique excluait tout risque de confusion entre les produits. Le Tribunal de l’Union européenne, par un arrêt du 15 octobre 2014, confirma cette analyse en écartant d’office l’application de la protection renforcée. La juridiction de première instance estima que l’absence de similitude suffisante pour l’article 8, paragraphe 1, rendait inutile l’examen de la renommée. Le pourvoi invite la Cour à préciser si l’exigence de similitude est identique pour la protection classique et pour celle liée à la notoriété. La Cour de justice casse l’arrêt attaqué car le degré de ressemblance requis pour établir un lien n’est pas celui nécessaire au risque de confusion. L’étude de cette décision impose d’analyser l’autonomie de la condition de similitude avant d’envisager la protection renforcée dont bénéficient les marques jouissant d’une renommée.
I. L’exigence d’une appréciation autonome de la similitude des signes
A. La distinction des seuils de ressemblance selon le fondement invoqué
La Cour rappelle que l’application de l’article 8, paragraphe 5, suppose une identité ou une similitude entre les signes en conflit. Cette condition de ressemblance est commune aux deux fondements mais les degrés d’exigence varient selon l’objectif de la protection recherchée par le titulaire. Pour l’article 8, paragraphe 1, sous b), la similitude doit être telle qu’elle crée un risque de confusion dans l’esprit du public concerné. À l’inverse, la protection des marques de renommée exige seulement que le public puisse établir un lien entre les deux signes en présence. La Cour souligne que « le degré de similitude requis dans le cadre de l’article 8, paragraphe 5, est moins élevé que celui requis pour l’article 8, paragraphe 1 ». Cette nuance essentielle impose une analyse différenciée pour chaque paragraphe afin de ne pas vider de sa substance la protection de la renommée. Ce constat d’une divergence de seuils démontre que le Tribunal a failli dans son raisonnement en appliquant une exclusion automatique au détriment du requérant.
B. La sanction de l’automaticité du raisonnement du juge de première instance
Le Tribunal avait considéré que l’absence de risque de confusion entraînait nécessairement l’impossibilité d’appliquer le régime protecteur des marques jouissant d’une renommée. La Cour de justice censure cette approche car le juge du fond s’est dispensé d’une analyse globale des facteurs pertinents pour l’article 8, paragraphe 5. L’arrêt souligne qu’il « résulte de ce que les signes en conflit ne présentent pas un degré de similitude suffisant » pour le premier paragraphe, une conclusion erronée. Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en déduisant mécaniquement le rejet de la seconde demande du seul constat effectué pour la première condition. Cette erreur procédurale occulte la possibilité pour un public de rapprocher deux signes sans pour autant les confondre au moment de l’acte d’achat. Le constat de l’erreur de droit commise par le juge de première instance permet d’apprécier la portée de la protection accordée au prestige de la marque.
II. La réaffirmation de la spécificité du régime des marques de renommée
A. La préservation de la fonction d’investissement et de prestige de la marque
La protection accordée par le paragraphe 5 ne vise pas uniquement à prévenir la confusion sur l’origine des produits ou des services proposés. Elle cherche à empêcher qu’un tiers ne tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée d’un signe déjà solidement établi. Cette fonction de prestige justifie que l’on sanctionne des signes présentant une ressemblance plus ténue que celle exigée pour un risque de confusion classique. Dès lors, le droit de l’Union européenne protège l’image de marque contre le parasitisme et la dilution qui pourraient résulter d’un usage non autorisé. Une telle protection serait illusoire si elle demeurait subordonnée au seuil de similitude élevé indispensable à la constatation d’un risque de confusion. La préservation nécessaire de l’aura de la marque impose désormais un examen concret et global de la part des juges chargés de statuer sur le fond.
B. L’impératif d’un examen global des éléments du litige par le juge du fond
L’annulation de l’arrêt entraîne le renvoi de l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci procède à une nouvelle évaluation des signes en conflit. La Cour impose désormais au juge de vérifier si, malgré une faible similitude, le public peut opérer un rapprochement entre les marques concernées. Cette analyse doit intégrer la renommée de la marque antérieure, le degré de sa force distinctive et la nature des produits en cause. Enfin, l’appréciation globale est la seule méthode permettant de déterminer l’existence d’un lien dommageable pour le titulaire de la marque déjà enregistrée. Le juge du fond devra donc motiver sa décision sans se fonder sur une exclusion automatique liée à l’absence de risque de confusion.