Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 10 février 2011 vient préciser les contours de la libre circulation des capitaux en matière de droits de succession. En l’espèce, une résidente belge est décédée en Belgique, laissant pour légataire universel une association religieuse sans but lucratif établie en Allemagne. L’administration fiscale belge a appliqué à cette succession le taux de droit commun, refusant le bénéfice du taux réduit au motif que la législation nationale réservait cet avantage aux organismes ayant leur siège d’opération en Belgique ou dans un État membre où la défunte avait résidé ou travaillé. L’association légataire a contesté cette décision, d’abord par une réclamation administrative rejetée, puis en saisissant le tribunal de première instance de Liège. Celui-ci, considérant que la législation belge pouvait instituer une discrimination contraire au droit de l’Union, a posé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union, et plus particulièrement la libre circulation des capitaux, s’oppose à une réglementation nationale qui conditionne l’octroi d’un avantage fiscal successoral à un lien de résidence ou de travail entre le défunt et l’État membre d’établissement de l’organisme bénéficiaire. La Cour répond par l’affirmative, jugeant qu’une telle législation est incompatible avec l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La solution, qui identifie une restriction injustifiée à la libre circulation des capitaux (I), étend de manière significative le principe d’égalité de traitement aux organismes d’intérêt général établis dans l’Union (II).
I. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation des capitaux
L’analyse de la Cour s’articule en deux temps. Elle qualifie d’abord la législation en cause d’entrave à une liberté fondamentale (A), avant de rejeter l’argument selon lequel les situations visées ne seraient pas objectivement comparables (B).
A. L’application du taux majoré, une entrave aux mouvements de capitaux
La Cour rappelle à titre liminaire que les successions constituent des mouvements de capitaux au sens de l’article 63 du Traité, sauf lorsque leurs éléments se cantonnent à un seul État membre. Tel n’était pas le cas en l’espèce, la succession liant une défunte résidente en Belgique à un légataire établi en Allemagne. La législation wallonne, en appliquant un traitement fiscal différencié, porte atteinte à cette liberté. En effet, en soumettant les legs en faveur d’organismes établis dans un État membre sans lien avec le défunt à un taux de 80 %, alors que le taux réduit de 7 % est applicable dans d’autres situations, elle « a pour effet de restreindre les mouvements de capitaux en diminuant la valeur de ladite succession ». Cette différence de traitement est susceptible de dissuader les testateurs de léguer leurs biens à des entités établies dans d’autres États membres, ce qui constitue une restriction prohibée par principe. Le raisonnement de la Cour est ici classique et s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui considère que toute mesure nationale diminuant l’attractivité des investissements transfrontaliers est une entrave.
B. L’affirmation du caractère comparable de la situation des organismes
Le gouvernement belge soutenait que la différence de traitement était justifiée car un organisme établi dans un autre État membre ne se trouvait pas dans une situation objectivement comparable à celle d’un organisme national. La Cour écarte cet argument en se fondant sur la finalité de l’avantage fiscal. Dès lors que la législation vise à promouvoir des activités d’intérêt général de nature philanthropique, religieuse ou autre, la situation d’un organisme doit être appréciée au regard de cet objectif. Un organisme établi dans un autre État membre qui poursuit des objectifs identiques à ceux visés par la législation nationale se trouve dans une situation comparable à celle d’un organisme national. La Cour affirme ainsi que « lorsqu’un organisme reconnu d’intérêt général dans un État membre remplit les conditions imposées à cette fin par la législation d’un autre État membre et a comme objectif la promotion d’intérêts de la collectivité identiques, […] les autorités de cet État membre ne sauraient refuser à cet organisme le droit à l’égalité de traitement pour la seule raison qu’il n’est pas établi sur le territoire dudit État membre ». La comparabilité ne dépend donc pas du lieu d’établissement, mais de la nature des activités poursuivies.
Une fois la restriction à la libre circulation des capitaux établie entre des entités se trouvant dans une situation comparable, la Cour s’est attachée à examiner les justifications avancées par l’État membre.
II. Le rejet des justifications fondées sur l’intérêt général national
La Cour de justice rejette les arguments de l’État belge en écartant toute justification liée à une compensation budgétaire (A), ce qui renforce la portée du principe d’égalité de traitement entre les organismes d’intérêt général au sein de l’Union (B).
A. L’inefficacité de l’argument de la compensation budgétaire
L’État belge avançait que l’octroi de l’avantage fiscal se justifiait par le fait que les organismes nationaux, par leurs activités, le déchargeaient de certaines de ses responsabilités, créant ainsi une forme de compensation pour la perte de recettes fiscales. La Cour balaie cet argument avec fermeté. Elle juge que l’éventualité pour un État d’être déchargé de certaines de ses missions ne l’autorise pas à discriminer les organismes établis dans un autre État membre. Elle rappelle à cet égard une solution constante de sa jurisprudence selon laquelle « la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne figure ni parmi les objectifs énoncés à l’article 65 TFUE, ni parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté instituée par le traité ». En d’autres termes, un argument purement économique et budgétaire ne saurait prévaloir sur une liberté fondamentale de circulation. La cohérence du système fiscal, autre justification possible, n’est pas non plus retenue, la Cour considérant que le lien entre l’avantage fiscal et sa compensation n’est pas direct et nécessaire.
B. La portée du principe d’égalité de traitement des organismes d’intérêt général
En définitive, la décision affirme avec force qu’un État membre qui choisit d’accorder des avantages fiscaux à des organismes poursuivant des buts d’intérêt général ne peut les réserver à des entités nationales ou à celles qui présentent un lien particulier avec son territoire. Il doit étendre ce bénéfice à tout organisme établi dans un autre État membre, à la condition que ce dernier remplisse les conditions objectives fixées par sa législation, à l’exception de celle relative au lieu d’établissement. Il appartient aux autorités nationales, y compris les juridictions, d’apprécier si l’organisme étranger remplit ces conditions et poursuit des objectifs identiques à ceux promus par la loi nationale. La Cour précise que c’est aux autorités nationales « d’apprécier » si un organisme étranger remplit les conditions de fond. Cette solution consacre ainsi une forme de reconnaissance mutuelle implicite des organismes d’intérêt général au sein de l’Union, du moins au regard du droit fiscal, et limite considérablement la capacité des États membres à utiliser les incitations fiscales pour privilégier leurs propres collectivités.