Par un arrêt du 10 février 2022, la sixième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise les limites temporelles des sanctions administratives. Le litige concernait une amende infligée pour le non-respect des règles de rémunération minimale lors d’un détachement transnational de travailleurs en Autriche. Une autorité administrative de district avait sanctionné le représentant d’une société slovaque pour une infraction constatée lors d’un contrôle effectué en juin 2016. La décision de sanction ne fut notifiée à l’intéressé qu’en février 2020, soit près de quatre ans après la commission des faits litigieux. Le tribunal administratif régional de Styrie, saisi du recours, s’interrogeait sur la validité d’un délai de prescription quinquennal pour une telle négligence. Le problème juridique réside dans la conformité d’un délai de cinq ans avec le droit à une bonne administration et le droit au procès équitable. La Cour juge que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant une telle prescription pour des manquements relatifs à la rémunération.
I. La consécration de l’autonomie procédurale dans l’application des sanctions
A. Le cadre de la mise en œuvre de la directive par les États membres
L’article 5 de la directive 96/71 dispose que « les États membres prennent des mesures adéquates en cas de non-respect de la présente directive ». Cette disposition laisse une marge de manœuvre importante aux autorités nationales pour définir le régime des sanctions applicables en cas de sous-rémunération. La Cour rappelle que le législateur européen n’a pas instauré de règles de prescription spécifiques concernant l’imposition de sanctions dans ce domaine précis. En l’absence de réglementation de l’Union, ces modalités relèvent de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale. Les juges soulignent que cette liberté permet de garantir le respect d’un noyau de règles impératives de protection minimale pour les travailleurs détachés.
B. L’encadrement nécessaire par les principes d’équivalence et d’efficacité
La liberté reconnue aux États membres pour fixer les délais de prescription n’est pas absolue et doit respecter des limites juridiques strictes. Les modalités nationales ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne, conformément au principe essentiel d’équivalence. Elles ne sauraient non plus rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne. La Cour précise que les destinataires de décisions affectant leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue. Le respect de ces principes garantit que l’autonomie procédurale ne porte pas atteinte à la protection juridictionnelle effective prévue par la Charte.
II. La validation d’une prescription quinquennale proportionnée au contexte
A. La justification par la complexité des situations transfrontalières
Le caractère transnational du détachement de travailleurs justifie la fixation d’un délai de prescription suffisamment long pour permettre aux autorités de mener leurs enquêtes. La Cour relève que « le caractère transfrontalier d’une situation de détachement est susceptible de rendre relativement complexe le travail des autorités nationales compétentes ». Cette complexité administrative légitime une durée de cinq ans pour poursuivre et sanctionner efficacement les infractions relatives au taux de salaire minimal. Il est raisonnable d’attendre des prestataires de services qu’ils conservent les preuves relatives au paiement des salaires pendant plusieurs années après le détachement. Cette obligation de conservation des documents facilite les contrôles a posteriori sans pour autant imposer une charge disproportionnée aux entreprises étrangères.
B. La préservation du droit à un recours effectif du justiciable
Un délai de prescription de cinq ans n’apparaît pas de nature à empêcher un opérateur économique diligent de préparer sa défense devant un tribunal. Les juges considèrent que cette durée permet encore de présenter utilement ses preuves et de contester les éléments sur lesquels l’administration fonde sa décision. Le principe d’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions non désavantageuses. En l’espèce, le droit à une bonne administration et le droit à une protection juridictionnelle effective ne sont pas méconnus par la réglementation autrichienne. L’article 47 de la Charte n’interdit donc pas une telle règle temporelle dès lors qu’elle ne vide pas de sa substance le droit au recours.