Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juillet 2008, n°C-484/06

L’arrêt dont les motifs sont ici rapportés, vraisemblablement rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, tranche une question technique relative aux modalités de calcul de la taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une entreprise assujettie contestait vraisemblablement les règles de calcul de la taxe fixées par une administration fiscale nationale. L’entreprise soutenait probablement qu’elle devait être autorisée à arrondir systématiquement à l’unité inférieure le montant de la taxe calculé sur chaque article vendu séparément. Saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour était ainsi amenée à déterminer si le droit de l’Union encadrait les méthodes d’arrondi de la taxe sur la valeur ajoutée. Plus précisément, il s’agissait de savoir si les principes du système commun de TVA obligeaient les États membres à autoriser les assujettis à pratiquer un arrondi systématique à l’inférieur, par article, du montant de la taxe due. La Cour répond par la négative en affirmant que, d’une part, « en l’absence d’une réglementation communautaire spécifique, il appartient aux États membres de déterminer les règles et méthodes d’arrondissement des montants de la taxe sur la valeur ajoutée » et que, d’autre part, « le droit communautaire, dans son état actuel, ne comporte aucune obligation spécifique selon laquelle les États membres sont tenus d’autoriser les assujettis à arrondir par article vers le bas le montant de la taxe sur la valeur ajoutée ». La solution adoptée par la Cour réaffirme ainsi l’autonomie procédurale des États membres en la matière (I), tout en validant sur le plan pratique une diversité de réglementations nationales (II).

I. La réaffirmation de l’autonomie procédurale des États membres en matière de taxe sur la valeur ajoutée

La Cour rappelle que la compétence normative des États membres demeure le principe pour les aspects non harmonisés de la TVA, cette compétence devant toutefois s’exercer dans le respect des principes directeurs du droit de l’Union.

A. La compétence de principe des États en l’absence d’harmonisation

La taxe sur la valeur ajoutée constitue un impôt largement harmonisé au niveau de l’Union européenne, notamment quant à son assiette et à ses taux. Cependant, cette harmonisation n’est pas absolue et de nombreuses modalités pratiques de perception de la taxe demeurent non couvertes par les directives. La Cour constate ici que les règles d’arrondi de la taxe entrent dans cette catégorie. Elle juge ainsi de manière claire qu’« en l’absence d’une réglementation communautaire spécifique, il appartient aux États membres de déterminer les règles et méthodes d’arrondissement ». Cette solution est une application classique du principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres. En vertu de ce principe, lorsque le droit de l’Union n’a pas prévu de règles d’exécution spécifiques, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de les définir. La Cour se refuse donc à découvrir une règle implicite dans les textes qui aurait pour effet de priver les États de leur marge d’appréciation sur un point technique du calcul de l’impôt.

Cette autonomie n’est cependant pas absolue et trouve ses limites dans le respect des piliers du système commun de TVA.

B. L’encadrement de l’autonomie par les principes fondamentaux du système commun

Si les États membres sont libres de fixer leurs propres règles d’arrondi, la Cour prend soin de préciser que cette liberté doit s’exercer dans le respect « des principes sur lesquels repose le système commun de cette taxe, notamment ceux de neutralité fiscale et de proportionnalité ». Elle rappelle ainsi que l’autonomie nationale ne saurait conduire à violer les objectifs fondamentaux de la législation de l’Union. Le principe de neutralité fiscale exige que la TVA pèse sur le consommateur final et ne constitue pas une charge pour les entreprises qui agissent en tant que simples collecteurs d’impôt. Celui de proportionnalité impose que les moyens employés par les États membres pour atteindre un objectif soient aptes à le réaliser et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire. Par conséquent, une méthode d’arrondi imposée par un État membre qui créerait une distorsion de concurrence ou imposerait une charge excessive aux assujettis pourrait être jugée contraire au droit de l’Union.

La Cour, en se fondant sur ces principes, opère une analyse pragmatique des conséquences qu’aurait l’obligation d’un arrondi systématique à l’inférieur.

II. La portée pratique d’une solution pragmatique refusant une uniformisation des méthodes d’arrondi

La décision de la Cour a pour conséquence directe de rejeter la prétention de l’assujetti à une méthode d’arrondi unique et favorable, validant par là même la coexistence de systèmes nationaux variés.

A. Le rejet d’une interprétation créatrice d’une obligation d’arrondi à l’inférieur

La Cour énonce très directement que « le droit communautaire, dans son état actuel, ne comporte aucune obligation spécifique selon laquelle les États membres sont tenus d’autoriser les assujettis à arrondir par article vers le bas le montant de la taxe sur la valeur ajoutée ». Elle refuse ainsi d’interpréter les principes de neutralité et de proportionnalité comme imposant une méthode de calcul unique et systématiquement favorable au contribuable. Une telle solution aurait pu entraîner des pertes de recettes fiscales pour les États membres et aurait constitué une ingérence significative dans leur souveraineté fiscale. En se bornant à l’état actuel du droit, la Cour fait preuve de retenue et laisse au législateur de l’Union la possibilité d’intervenir s’il l’estime opportun pour une plus grande harmonisation. La solution est donc empreinte de pragmatisme, la Cour se gardant de créer une règle jurisprudentielle complexe aux implications budgétaires potentiellement lourdes.

Cette position a pour effet de conforter la légalité des différentes approches nationales actuellement en vigueur.

B. La validation implicite de la diversité des pratiques nationales

En refusant d’imposer un arrondi par article à l’inférieur, la Cour valide la diversité des solutions retenues par les États membres. Certains imposent un arrondi au centime le plus proche, d’autres un arrondi sur le montant total de la facture plutôt que par article. Toutes ces méthodes restent conformes au droit de l’Union pour autant qu’elles respectent la neutralité et la proportionnalité. Cette décision assure donc la sécurité juridique des réglementations nationales existantes. Elle a cependant pour corollaire de maintenir une certaine complexité pour les entreprises opérant dans plusieurs États membres, qui doivent continuer à appliquer des règles de calcul différentes selon le pays. La Cour fait ici prévaloir la souveraineté fiscale des États sur un point technique sur l’objectif d’une harmonisation totale, considérant que la diversité des méthodes d’arrondi n’entrave pas substantiellement le bon fonctionnement du marché intérieur.

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Hassan KOHEN
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