Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juillet 2014, n°C-183/13

Par un arrêt en date du 10 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Supremo Tribunal Administrativo portugais, s’est prononcée sur les modalités de calcul du prorata de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour les biens et services à usage mixte.

En l’espèce, un établissement financier exerçait à la fois des opérations taxées, notamment de crédit-bail automobile, et des opérations exonérées n’ouvrant pas droit à déduction. Pour déterminer le montant de la taxe déductible afférente aux biens et services utilisés pour l’ensemble de ses activités, cet établissement appliquait un prorata. Dans le calcul de ce prorata, il incluait au numérateur et au dénominateur le montant total des loyers perçus dans le cadre de ses contrats de crédit-bail. L’administration fiscale a remis en cause cette méthode, estimant qu’elle créait une distorsion importante dans la détermination du montant de la taxe due. Selon elle, seule la part des loyers correspondant aux intérêts, en tant que rémunération de l’activité financière, devait être prise en compte, à l’exclusion de la part correspondant à l’amortissement financier des véhicules.

À la suite d’un recours de l’établissement financier, la juridiction de première instance lui a donné raison. L’administration fiscale a alors interjeté appel devant la juridiction supérieure, laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’une autorité nationale oblige un assujetti, pour le calcul de son prorata de déduction, à n’inclure que la fraction des loyers de crédit-bail correspondant aux intérêts. La Cour de justice répond que l’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, sous c), de la sixième directive ne s’y oppose pas, dès lors que cette méthode de calcul permet de refléter plus précisément l’affectation réelle des biens et services à usage mixte aux opérations taxées, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

La solution de la Cour de justice consacre la primauté d’une méthode de calcul précise sur la règle générale du chiffre d’affaires (I), ce qui justifie l’application du critère de l’affectation réelle à l’activité spécifique du crédit-bail (II).

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I. La primauté d’une méthode de calcul précise sur la règle générale du chiffre d’affaires

La Cour rappelle que si le prorata de déduction est en principe déterminé sur la base du chiffre d’affaires, cette règle n’est pas absolue et peut être écartée au profit d’une méthode plus exacte (A), l’objectif fondamental demeurant le respect du principe de neutralité fiscale (B).

A. Le caractère supplétif du prorata fondé sur le chiffre d’affaires

La sixième directive TVA prévoit, en son article 17, paragraphe 5, que la déduction pour les biens et services à usage mixte est admise proportionnellement au montant des opérations ouvrant droit à déduction. Le calcul de cette proportion, ou prorata, est détaillé à l’article 19, lequel instaure une méthode basée sur une fraction de chiffres d’affaires. Toutefois, la Cour souligne que cette méthode n’est que la règle de principe. L’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, dispose en effet que les États membres peuvent, notamment, « autoriser ou obliger l’assujetti à opérer la déduction suivant l’affectation de tout ou partie des biens et services ».

La Cour met en exergue que l’adverbe « toutefois », qui introduit cette disposition, « implique l’existence de dérogations à ladite règle ». Par conséquent, la méthode de calcul fondée sur le chiffre d’affaires n’est pas la seule envisageable et n’a pas de caractère impératif. Les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour établir des règles de calcul différentes, à la condition que celles-ci permettent de mieux atteindre l’objectif de précision dans la détermination du droit à déduction. Cette flexibilité est essentielle pour tenir compte de la spécificité de certaines activités économiques où la méthode du chiffre d’affaires pourrait aboutir à un résultat ne reflétant pas la réalité économique.

B. L’exigence d’une méthode garantissant une détermination plus précise

Le recours à une méthode dérogatoire n’est pas discrétionnaire mais doit être guidé par une finalité précise. La Cour juge que de telles méthodes visent « à permettre aux États membres de tenir compte des caractéristiques spécifiques propres à certaines activités des assujettis afin de parvenir à des résultats plus précis dans la détermination de l’étendue du droit à déduction ». L’objectif ultime est de garantir la parfaite neutralité du système de la TVA.

Pour ce faire, le calcul de la déduction doit « refléter objectivement la part réelle des dépenses occasionnées par l’acquisition de biens et de services à usage mixte qui peut être imputée à des opérations ouvrant droit à déduction ». Ainsi, toute méthode alternative proposée par un État membre, y compris celle basée sur l’affectation réelle, n’est valide que si elle garantit une détermination du prorata plus précise que celle résultant de la méthode fondée sur le chiffre d’affaires. Il s’agit d’une appréciation de la pertinence économique du critère retenu, qui doit primer sur une application mécanique des textes.

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II. L’application du critère de l’affectation réelle à l’activité de crédit-bail

En appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour valide la méthode consistant à isoler la part des intérêts dans les loyers (A), tout en soulignant que la pertinence de cette méthode dépend de l’analyse concrète de l’utilisation des dépenses communes (B).

A. La dissociation des composantes du loyer comme modalité d’une méthode plus précise

L’apport principal de l’arrêt réside dans l’analyse de la structure du loyer de crédit-bail. Ce loyer se compose d’une part qui représente l’amortissement du capital investi dans le bien loué et d’une autre part qui constitue la rémunération du service de financement, matérialisée par les intérêts. La Cour observe que l’inclusion de la totalité du loyer dans le calcul du prorata peut surévaluer artificiellement le poids des opérations taxées. En effet, la valeur du véhicule, répercutée dans le loyer, ne génère pas en elle-même une consommation de biens et services à usage mixte.

La Cour considère que l’utilisation des biens et services généraux comme les locaux, l’énergie ou les services informatiques est « avant tout occasionnée par le financement et la gestion des contrats passés par le crédit-bailleur avec ses clients et non par la mise à disposition des véhicules ». Dans une telle configuration, seule la part du loyer qui rémunère ces activités de financement et de gestion, c’est-à-dire les intérêts, constitue une base pertinente pour calculer la proportion d’utilisation des dépenses communes aux fins des opérations taxées. La méthode imposée par l’administration fiscale, en isolant les intérêts, apparaît donc comme une clé de répartition a priori plus précise.

B. Une solution subordonnée à la vérification par le juge national

La Cour de justice ne tranche pas définitivement le litige mais fournit au juge national les clés d’interprétation. Elle conditionne explicitement sa réponse à une vérification factuelle. Elle affirme que sa conclusion n’est valable que « lorsque l’utilisation de ces biens et de ces services est avant tout occasionnée par le financement et la gestion de ces contrats, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ». Cette précision est fondamentale.

Elle signifie que la dissociation entre capital et intérêts n’est pas une règle absolue applicable à toutes les opérations de crédit-bail. Il revient au juge national d’examiner, au cas par cas, la nature des dépenses communes et leur lien effectif avec les différentes composantes de l’activité de l’assujetti. Si, dans un cas particulier, il s’avérait que les frais généraux sont aussi significativement consommés par la gestion de l’actif physique lui-même, la méthode fondée sur les seuls intérêts pourrait être remise en cause. La portée de la décision est donc d’offrir une méthode d’analyse économique et fonctionnelle plutôt que d’imposer une formule de calcul rigide.

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Hassan KOHEN
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