Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juillet 2019, n°C-410/18

Par un arrêt du 10 juillet 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions d’octroi des aides financières pour études supérieures aux enfants de travailleurs frontaliers. En l’espèce, un étudiant de nationalité française résidant en France s’est vu refuser une aide financière pour ses études par les autorités luxembourgeoises. Le refus était motivé par le fait que son père, travailleur frontalier au Luxembourg, ne remplissait pas la condition légale d’avoir été employé dans cet État membre pendant au moins cinq ans au cours d’une période de référence de sept ans précédant la demande. Le père avait pourtant exercé une activité professionnelle salariée au Grand-Duché de Luxembourg pendant plus de dix-sept années au total, mais une interruption de carrière de près de cinq ans l’empêchait de satisfaire au critère temporel exigé. L’étudiant a formé un recours contre cette décision de refus devant le Tribunal administratif du Luxembourg. Cette juridiction a alors décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il était demandé si l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011 s’opposent à une législation nationale qui subordonne l’octroi d’une telle aide pour les étudiants non-résidents à une condition de durée de travail du parent sur une période de référence déterminée, à l’exclusion de tout autre critère de rattachement. La Cour de justice a répondu que ces dispositions s’opposent à une législation nationale qui, en raison de son caractère trop exclusif, ne permet pas d’apprécier de manière suffisamment large l’existence d’un lien de rattachement suffisant de la famille avec l’État membre dispensateur de l’aide.

La solution de la Cour s’inscrit dans le prolongement de sa jurisprudence relative au droit des travailleurs migrants aux avantages sociaux, en réaffirmant le principe d’intégration comme fondement de l’égalité de traitement (I), tout en procédant à un contrôle de proportionnalité particulièrement affiné de la condition de rattachement exigée par l’État membre (II).

I. La réaffirmation du lien d’intégration comme critère d’éligibilité aux avantages sociaux

La Cour rappelle d’abord que le principe d’égalité de traitement commande que les enfants de travailleurs frontaliers puissent bénéficier des aides aux études sous certaines conditions (A), avant de reconnaître la légitimité de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale restrictive (B).

A. Le bénéfice des avantages sociaux étendu aux travailleurs frontaliers

La Cour fonde son raisonnement sur l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 492/2011, qui dispose que le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. Elle confirme qu’une aide financière pour études supérieures constitue un avantage social au sens de cette disposition. L’enfant du travailleur peut se prévaloir de ce droit lorsque l’aide lui est directement accordée, ce qui est le cas dans le litige au principal. Le principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations directes fondées sur la nationalité, mais aussi les formes indirectes de discrimination qui aboutissent au même résultat.

En l’occurrence, la législation luxembourgeoise instaure une distinction entre les étudiants résidents, pour qui aucune condition de durée de travail des parents n’est exigée, et les étudiants non-résidents. Cette distinction fondée sur la résidence est susceptible de constituer une discrimination indirecte, car les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux. La Cour considère que « le fait d’avoir accédé au marché du travail d’un État membre crée, en principe, le lien d’intégration suffisant dans la société de cet État » permettant de bénéficier de l’égalité de traitement. L’intégration du travailleur, matérialisée par sa contribution aux charges sociales et fiscales de l’État d’accueil, justifie qu’il puisse profiter des politiques sociales de cet État dans les mêmes conditions que les nationaux.

B. La justification de la discrimination indirecte par un objectif légitime

Une mesure indirectement discriminatoire peut toutefois être admise si elle est objectivement justifiée par un objectif légitime et si elle est proportionnée à cet objectif. Le gouvernement luxembourgeois soutenait que sa législation visait à encourager l’augmentation de la proportion des personnes titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur au sein de la population résidente. La Cour, de manière constante, juge qu’un tel objectif est un objectif d’intérêt général reconnu au niveau de l’Union.

Elle admet ainsi qu’une action entreprise par un État membre afin d’assurer un niveau élevé de formation de sa population résidente « poursuit un objectif légitime susceptible de justifier une discrimination indirecte ». Dans ce cadre, exiger un certain degré de rattachement à la société de l’État membre dispensateur de l’aide peut être considéré comme justifié. L’existence d’un lien réel entre le demandeur de l’aide et le marché du travail ou la société de cet État constitue un critère pertinent. La Cour avait déjà admis qu’une condition de durée de travail significative du parent travailleur frontalier était de nature à établir un tel rattachement et à fonder une probabilité raisonnable de retour de l’étudiant dans l’État membre après ses études.

II. L’appréciation affinée de la proportionnalité de la condition de rattachement

Si l’objectif est légitime, la mesure doit également être nécessaire et proportionnée. La Cour va considérer que la condition posée par la loi luxembourgeoise est excessive car elle repose sur une période de référence trop rigide (A), ce qui l’amène à exiger une évaluation plus globale du lien de rattachement (B).

A. L’insuffisance d’une condition de durée de travail appréciée sur une période de référence figée

La législation en cause subordonne l’aide à une condition de travail de cinq ans sur une période de référence de sept ans. La Cour examine si cette exigence ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé. Le gouvernement luxembourgeois faisait valoir que ce critère, issu d’une réforme faisant suite à une précédente condamnation, permettait de prendre en compte des interruptions de carrière et répondait à la nécessité de gérer un grand nombre de demandes via une procédure standardisée.

Cependant, la Cour rejette cette argumentation en se fondant sur la situation concrète du père de l’étudiant. Celui-ci avait travaillé et cotisé au Luxembourg pendant plus de dix-sept ans sur les vingt-trois années précédant la demande. Son incapacité à remplir la condition de la période de référence était due à une interruption de près de cinq ans durant laquelle il avait dû trouver un emploi dans son État de résidence. Pour la Cour, ce seul fait ne saurait rompre le lien de rattachement réel et durable tissé avec le marché du travail luxembourgeois. Elle juge ainsi que « la prise en compte de la seule activité exercée au Luxembourg par le travailleur frontalier pendant une période de référence de sept ans […] ne suffit pas pour apprécier de manière complète l’importance des liens de ce travailleur frontalier avec le marché du travail luxembourgeois ».

B. La nécessité d’une évaluation plus large du lien de rattachement

En déclarant la condition disproportionnée, la Cour ne remet pas en cause la possibilité pour un État membre d’exiger la preuve d’un lien de rattachement suffisant. Elle impose en revanche que les modalités de cette preuve ne soient pas excessivement restrictives. Une règle qui exclut automatiquement des travailleurs ayant démontré sur le long terme leur intégration au marché du travail de l’État d’accueil va au-delà de ce qui est nécessaire.

La portée de cet arrêt réside dans l’obligation pour les États membres d’adopter des critères plus souples. Une législation nationale ne peut se limiter à une période de référence chiffrée sans permettre, à titre subsidiaire, l’examen d’autres éléments pertinents. La durée totale de l’activité professionnelle, la continuité de la contribution au système social ou fiscal, ou d’autres facteurs attestant du maintien d’un lien étroit avec l’État membre, devraient pouvoir être pris en considération. La décision contraint ainsi les administrations nationales à une appréciation plus individualisée qui, sans renoncer à des critères objectifs, tienne compte de la réalité de l’intégration des travailleurs frontaliers sur une longue durée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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