La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 10 juillet 2019, une décision portant sur l’interprétation de la clause de gel prévue par l’accord d’association avec la Turquie. Ce litige concerne la légalité d’une condition de séjour imposée par un État membre aux membres de la famille des travailleurs turcs.
Une ressortissante turque s’est mariée avec un compatriote avant de divorcer après plusieurs années de vie commune passées dans leur pays d’origine. Le conjoint s’est ensuite installé dans l’État membre d’accueil où il a obtenu un titre de séjour permanent grâce à une activité salariée stable. Après un second divorce, les anciens époux se sont remariés et la requérante a sollicité un droit au séjour au titre du regroupement familial.
L’administration a rejeté cette demande le 26 mai 2010 en application d’une loi nationale subordonnant le regroupement à des liens de rattachement prépondérants avec le territoire. Les autorités ont considéré que le passé des intéressés en Turquie faisait obstacle à l’octroi du permis sollicité car leurs attaches y étaient plus fortes. La requérante a alors saisi le Tribunal de première instance d’Aalborg le 10 mars 2014 pour contester cette décision de refus.
L’affaire fut renvoyée devant le Tribunal municipal de Copenhague le 26 mai 2014 avant d’être portée devant la Cour d’appel de la région Est au Danemark. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer pour demander à la Cour de justice si une telle exigence constituait une nouvelle restriction interdite. Le juge européen doit déterminer si l’objectif d’intégration réussie peut valablement limiter l’exercice de la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union.
La Cour de justice a jugé qu’une telle mesure « constitue une « nouvelle restriction » » au sens du droit de l’association et qu’elle « n’est pas justifiée ». L’étude de cette solution conduit à analyser la qualification de la restriction avant d’examiner les motifs de son rejet par le juge européen.
I. La qualification d’une nouvelle restriction à la libre circulation
A. L’application de la clause de « standstill » au regroupement familial
L’article 13 de la décision numéro 1/80 prohibe toute mesure interne rendant plus difficile l’exercice de la libre circulation après son entrée en vigueur. Le juge rappelle que cette clause de gel s’oppose à l’introduction de conditions « plus restrictives que celles qui lui étaient applicables » initialement. La loi nationale litigieuse a durci les règles d’admission des conjoints par rapport au droit antérieur en vigueur dans l’État membre concerné. Cette modification législative entre directement dans le champ d’application temporel et matériel de la protection accordée aux travailleurs turcs régulièrement intégrés.
B. L’identification d’une entrave à l’activité salariée du travailleur
La Cour précise que la liberté de mouvement d’un travailleur est affectée lorsque les conditions du regroupement familial deviennent soudainement plus contraignantes. Le choix d’exercer une activité salariée à l’étranger dépend souvent de la possibilité de mener une vie de famille normale sur le territoire. Un durcissement législatif peut obliger le ressortissant à choisir entre « son activité dans l’État membre concerné et sa vie de famille » en Turquie. Le juge retient donc que l’exigence de liens de rattachement prépondérants avec l’État d’accueil constitue une entrave caractérisée au sens du droit européen.
II. L’absence de justification de la mesure nationale
A. L’inaptitude du critère des liens de rattachement à garantir l’intégration
L’État membre invoquait l’objectif d’une intégration réussie pour justifier le rejet de la demande de séjour déposée par la requérante au principal. Si cet objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général, la mesure doit être propre à garantir sa réalisation effective sans dépasser le nécessaire. Or, le juge considère que les liens entretenus avec l’État d’origine n’ont « que peu d’incidences sur les chances » du demandeur de s’intégrer localement. La réussite de l’insertion dans la société d’accueil ne dépend pas de l’absence de relations culturelles ou familiales avec le pays de naissance.
B. L’imprévisibilité de la pratique administrative au regard de la sécurité juridique
La solution repose également sur l’analyse de la proportionnalité et du caractère arbitraire des critères retenus par l’administration pour évaluer les dossiers. La Cour souligne que l’appréciation des liens de rattachement repose sur des « critères diffus et imprécis » entraînant des pratiques diverses et imprévisibles. Cette incertitude juridique empêche les justiciables de connaître l’étendue de leurs droits lors du dépôt de leur demande de permis de séjour. Le dispositif conclut à l’absence de justification de cette restriction car elle ne permet pas d’apprécier réellement les perspectives d’intégration du couple.