La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 10 juillet 2025, se prononce sur le conflit opposant une dénomination sociale à un nom de domaine. Cette décision traite de l’articulation entre la directive 2015/2436 sur les marques et les principes de libre circulation consacrés par le droit primaire. Une société suédoise spécialisée dans la vente d’aliments pour animaux reproche à une concurrente l’utilisation d’un signe similaire pour exploiter un site internet marchand. La juridiction nationale de première instance a accueilli la demande d’interdiction en raison d’un risque de confusion entre la dénomination sociale protégée et le signe litigieux. Saisie en appel, la juridiction de Stockholm interroge la Cour sur la validité d’un régime national offrant une protection croisée entre marques et noms commerciaux. La question posée porte sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’un droit exclusif sur une dénomination sociale non soumise aux exigences d’usage des marques. La Cour répond que les dispositions européennes ne s’opposent pas à une telle protection nationale dès lors que l’activité sociale est circonscrite avec une précision suffisante. L’analyse de la portée de la directive précède nécessairement l’examen de la conformité du dispositif national au regard du droit primaire de l’Union européenne.
I. La délimitation rigoureuse du champ d’application de l’harmonisation européenne
A. L’étanchéité entre le droit des marques et celui des dénominations sociales
Le juge européen souligne d’emblée que la directive 2015/2436 « vise à rapprocher les législations nationales sur les marques, mais pas celles sur le nom commercial ». Cette distinction fondamentale interdit d’appliquer par analogie les mécanismes de déchéance pour non-usage prévus spécifiquement pour les signes enregistrés à titre de marque. En l’absence d’harmonisation totale, la protection du nom commercial relève de la compétence de chaque État membre tout en respectant le cadre général du droit de l’Union. Les juges rappellent que cette catégorie de signes distinctifs conserve une autonomie juridique complète malgré les interactions fréquentes avec le droit des marques dans la vie des affaires.
B. La persistance des protections issues des engagements internationaux
L’arrêt précise que le nom commercial bénéficie d’une protection internationale par l’incorporation de la convention de Paris dans l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle. La Cour affirme ainsi que « le nom commercial sera protégé dans tous les pays de l’Union sans obligation de dépôt ou d’enregistrement » selon les normes internationales. Cette protection minimale s’impose aux États membres et justifie le maintien de régimes nationaux spécifiques qui ne sont pas affectés par la directive sur les marques. La reconnaissance de ces droits antérieurs permet de résoudre les conflits de signes en appliquant le principe de primauté du titre d’exclusivité le plus ancien. Le raisonnement de la Cour s’oriente alors vers l’examen de ces mesures nationales à la lumière des libertés fondamentales garanties par le traité.
II. L’encadrement de la souveraineté étatique par les principes du marché intérieur
A. La légitimité de la restriction à la libre circulation des marchandises
Une réglementation nationale interdisant l’usage d’un signe commercial peut constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au commerce entre les États membres. La Cour de justice considère toutefois qu’une telle entrave est « justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général tenant à la protection de la propriété industrielle et commerciale ». La préservation des noms commerciaux contre les risques de confusion permet de garantir l’identification claire des opérateurs économiques et la loyauté des transactions marchandes. Cette justification admise au titre de l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne valide le principe même de la protection suédoise.
B. L’exigence de proportionnalité dans la mise en œuvre de la protection nationale
La validité du régime national dépend de son caractère proportionné par rapport à l’objectif de protection de la propriété commerciale poursuivi par le législateur. La Cour observe que le droit suédois impose au titulaire « de décrire et de circonscrire la nature des activités relevant de son objet social avec suffisamment de précision ». Cette exigence garantit une information efficace des tiers et limite l’étendue du monopole aux seuls secteurs d’activité réellement investis par l’entreprise concernée. L’arrêt conclut que l’absence d’usage ne constitue pas une cause automatique de nullité si des garanties procédurales permettent de vérifier la réalité du risque de confusion. La protection des dénominations sociales demeure ainsi conforme aux exigences du droit primaire dès lors qu’elle ne crée pas d’obstacles disproportionnés au commerce intracommunautaire.