Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juillet 2025, n°C-783/23

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision interprétative remarquée le 10 juillet 2025. Cette affaire porte sur l’articulation des compétences nationales relatives à la sûreté de l’aviation civile et au contrôle de la sécurité privée. Une entreprise de sécurité assure des missions de protection au sein d’une infrastructure aéroportuaire nationale. Lors d’un contrôle, des agents d’une administration centrale constatent que des employés exercent des tâches de filtrage sans détenir la carte d’identification requise. L’autorité administrative nationale inflige alors des amendes pécuniaires à la société prestataire ainsi qu’aux agents concernés pour non-respect de la législation sur le gardiennage.

La société conteste ces sanctions devant le Tribunal de première instance de Bruxelles, lequel rejette ses prétentions par un jugement du 25 février 2022. Elle forme ensuite un pourvoi devant la Cour de cassation de l’État membre afin de faire annuler cette décision. La requérante soutient que seule l’autorité de coordination désignée par le règlement n° 300/2008 possède le pouvoir de contrôler les services de sûreté aéroportuaire. La juridiction suprême s’interroge sur l’exclusivité des compétences de cette autorité unique face à une réglementation nationale générale régissant le secteur de la sécurité privée. Elle demande si le droit de l’Union s’oppose au contrôle du respect des obligations professionnelles par une autre administration étatique.

La Cour de justice répond que l’article 9 du règlement n° 300/2008 ne s’oppose pas à l’intervention d’une autorité distincte de l’autorité compétente désignée. Cette possibilité demeure valable lorsque le contrôle porte sur le respect d’une réglementation nationale régissant de manière générale l’exercice des activités de sécurité privée.

I. La délimitation de la compétence de l’autorité nationale de coordination

L’article 9 du règlement n° 300/2008 impose aux États membres de désigner une autorité unique chargée de la sûreté de l’aviation civile nationale. Cette désignation vise à garantir la « coordination et la surveillance de la mise en œuvre » des normes de base communes fixées par la législation européenne.

A. Une exclusivité circonscrite aux normes de base communes

La mission de l’autorité compétente se concentre spécifiquement sur l’application des standards techniques définis à l’article 4 du règlement précité. Ces normes concernent principalement la protection de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite mettant en péril la sécurité des vols. La Cour précise que cette autorité de coordination se distingue des autres organismes nationaux par sa fonction transversale de surveillance des normes européennes. Elle n’a pas vocation à absorber l’intégralité des prérogatives administratives exercées au sein des zones aéroportuaires par les services de l’État.

L’interprétation littérale du texte permet d’ailleurs l’existence de plusieurs organismes chargés de missions de sûreté sous la direction de l’autorité de coordination. Cette pluralité d’acteurs institutionnels est expressément envisagée par le législateur de l’Union pour répondre aux besoins d’organisation interne des États. Le droit européen définit un cadre de surveillance harmonisé sans pour autant instaurer un monopole opérationnel au profit d’une administration unique et isolée. Cette spécialisation fonctionnelle laisse subsister des espaces de régulation qui échappent au domaine strictement réservé par la réglementation sectorielle sur l’aviation.

B. La persistance du contrôle administratif sur les activités de gardiennage

L’exercice des activités de sécurité privée relève souvent d’un régime juridique national autonome s’appliquant à l’ensemble du territoire et des secteurs d’activité. La Cour souligne que les contrôles effectués par l’administration nationale visent à vérifier la régularité professionnelle des entreprises et de leurs salariés. Ces vérifications portent sur des obligations de détention de cartes professionnelles ou d’autorisations préalables qui ne constituent pas des normes de base aéronautiques. Une telle réglementation revêt un caractère général et ne se limite pas à la mise en œuvre spécifique de la sûreté des aéronefs.

Dès lors, l’intervention d’une autorité administrative classique pour sanctionner des manquements au droit commun de la sécurité privée ne viole pas le droit de l’Union. Cette autorité n’empiète pas sur les compétences de coordination de l’aviation civile puisqu’elle agit sur le fondement d’une police administrative distincte et préexistante. Le juge européen préserve ainsi la capacité des États à réguler les professions de sécurité selon des exigences de moralité et d’aptitude professionnelle propres. Cette solution consacre une vision équilibrée des compétences nationales en permettant la superposition de contrôles administratifs aux finalités complémentaires mais distinctes.

II. La coexistence des régimes juridiques au sein de l’espace aéroportuaire

L’analyse de la Cour repose sur une distinction claire entre les objectifs de sûreté aéronautique et les impératifs de régulation du marché de la sécurité privée. Cette dualité normative impose une articulation cohérente des interventions étatiques afin de ne pas entraver l’efficacité des dispositifs de protection civile.

A. La distinction entre la sûreté aéronautique et la sécurité privée

La sûreté de l’aviation civile regroupe les mesures visant à protéger les vols contre les actes terroristes ou les intrusions illégales sur les pistes. Ces missions techniques obéissent à un calendrier de contrôle strict placé sous la responsabilité directe de l’autorité compétente au sens du règlement. À l’inverse, la police de la sécurité privée s’attache à l’honorabilité des acteurs et au respect des conditions d’exploitation des entreprises de gardiennage. Bien que ces deux domaines se rejoignent géographiquement dans les aéroports, leurs fondements juridiques et leurs autorités de tutelle respectives demeurent parfaitement identifiables.

La Cour relève que les contrôles litigieux portent sur des exigences de qualification qui ne sont pas prévues par les annexes techniques du règlement européen. Les amendes infligées visent à sanctionner le non-respect des procédures administratives nationales imposées à tout prestataire de services de sécurité sur le territoire. Cette distinction fonctionnelle évite une confusion des pouvoirs qui rendrait inopérante la législation nationale sur le gardiennage au sein des zones de transport. Le juge confirme que le respect des standards de sûreté n’exonère pas les prestataires de l’observation des règles déontologiques et administratives communes.

B. La reconnaissance de l’autonomie institutionnelle de l’État membre

Le règlement n° 300/2008 n’a pas pour objet de modifier la répartition interne des responsabilités administratives au sein des administrations des États membres. Il se borne à exiger un point de contact unique pour la coordination des normes européennes sans interférer dans l’organisation de la police nationale. Chaque État conserve la liberté de confier le contrôle des professions réglementées aux ministères qu’il juge les plus aptes à assurer cette mission régalienne. Cette autonomie organisationnelle est un principe fondamental qui permet d’adapter les structures administratives aux traditions juridiques et aux réalités territoriales de chaque pays.

L’arrêt précise enfin que le programme national de sûreté doit définir les responsabilités de mise en œuvre sans pour autant exclure les interventions d’autres corps d’inspection. La solution retenue favorise une sécurité juridique accrue pour les entreprises opérant dans des secteurs stratégiques soumis à des réglementations multiples et complexes. En validant la compétence de l’autorité administrative nationale, la Cour garantit que l’excellence technique en matière de sûreté ne se fasse pas au détriment de la légalité. Cette décision assure la pérennité d’un contrôle de proximité sur les agents chargés de protéger les populations dans les infrastructures de transport.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture