Par un arrêt en date du 10 juin 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’interprétation de la directive 97/81/CE relative au travail à temps partiel, et plus spécifiquement de son accord-cadre annexé. En l’espèce, des salariés d’une compagnie aérienne, employés sous le régime du temps partiel vertical cyclique, contestaient le mode de calcul de leur ancienneté pour l’ouverture de leurs droits à pension. L’organisme national de prévoyance sociale excluait en effet de ce calcul les périodes non travaillées, réduisant ainsi proportionnellement l’ancienneté accumulée par rapport à celle d’un travailleur à temps plein sur une même durée de contrat. Saisis en première instance, les juges du fond avaient donné raison aux salariés. L’organisme social a interjeté appel de cette décision devant la Corte d’appello di Roma, qui a alors décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. La question de droit soumise à la Cour consistait à déterminer si le principe de non-discrimination inscrit dans l’accord-cadre s’opposait à une réglementation nationale qui, pour le calcul de l’ancienneté requise à l’acquisition du droit à une pension de retraite, exclut les périodes non travaillées des contrats à temps partiel de type vertical. La Cour y répond par l’affirmative, considérant qu’un tel dispositif instaure une différence de traitement défavorable aux travailleurs à temps partiel, laquelle ne peut être admise en l’absence de justification par des raisons objectives. La Cour établit ainsi une distinction fondamentale entre les modalités d’acquisition du droit à pension, qui doivent être non-discriminatoires, et le calcul du montant de la prestation, qui peut obéir à d’autres principes. L’analyse de la Cour repose sur une interprétation extensive du principe de non-discrimination (I), ce qui conduit à une neutralisation des effets dissuasifs de la législation nationale sur le recours au travail à temps partiel (II).
I. L’affirmation d’une conception large du principe de non-discrimination
Pour aboutir à sa solution, la Cour de justice a d’abord dû s’assurer que les pensions de retraite en cause entraient bien dans le champ d’application de l’accord-cadre, ce qu’elle confirme en se fondant sur une définition extensive des « conditions d’emploi » (A). Cette interprétation lui permet ensuite de caractériser l’existence d’une discrimination directe fondée sur la nature du contrat de travail à temps partiel (B).
A. L’inclusion des pensions professionnelles dans le champ des « conditions d’emploi »
La première étape du raisonnement de la Cour consistait à déterminer si le droit à une pension de retraite pouvait être qualifié de « condition d’emploi » au sens de la clause 4 de l’accord-cadre. En interprétant cette notion de manière large, la Cour a jugé qu’elle ne saurait être interprétée de manière restrictive, au risque de priver le principe de non-discrimination d’une grande partie de son effet utile. Elle établit une distinction claire entre les pensions relevant des régimes légaux de sécurité sociale, qui sont exclues en raison de leurs finalités de politique sociale, et celles qui sont directement liées à la relation de travail. La Cour énonce ainsi que « relèvent de la notion de «conditions d’emploi» au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre les pensions qui sont fonction d’une relation d’emploi entre travailleur et employeur, à l’exclusion des pensions légales de sécurité sociale ». Pour opérer cette distinction, elle transpose les critères dégagés dans sa jurisprudence antérieure, précisant qu’une pension est liée à l’emploi si elle « n’intéresse qu’une catégorie particulière de travailleurs, si elle est directement fonction du temps de service accompli et si son montant est calculé sur la base du dernier traitement ». Il appartenait donc au juge national de vérifier si ces conditions étaient remplies en l’espèce.
B. La caractérisation d’une différence de traitement fondée sur le travail à temps partiel
Une fois l’applicabilité de l’accord-cadre confirmée, la Cour s’est attachée à examiner si la législation nationale créait une différence de traitement entre les travailleurs à temps partiel vertical et les travailleurs à temps plein comparables. Son constat est sans équivoque : alors que pour un travailleur à temps plein, l’ancienneté correspond à la durée totale de la relation d’emploi, pour un travailleur à temps partiel vertical, seule la période effectivement travaillée est prise en compte. Par conséquent, « le travailleur à temps partiel acquiert l’ancienneté ouvrant droit à pension de retraite à un rythme plus lent que le travailleur à temps plein ». Cette situation constitue une différence de traitement fondée sur le seul motif que les salariés travaillent à temps partiel, ce qui est prohibé par la clause 4 de l’accord-cadre. La Cour écarte l’argument selon lequel le contrat serait suspendu durant les périodes non travaillées, rappelant que le temps partiel est un mode d’exécution normal du contrat et non une interruption de celui-ci.
II. La portée de la distinction entre l’acquisition du droit à pension et le calcul de son montant
La Cour de justice ne se contente pas de constater la discrimination ; elle en précise les contours et les conséquences en opérant une distinction technique fondamentale entre deux aspects du droit à pension. Elle juge que le principe du *pro rata temporis* est inapplicable à l’acquisition de l’ancienneté (A), tout en rappelant que toute différence de traitement doit reposer sur une justification objective et solide, ce qui n’était pas le cas en l’espèce (B).
A. L’inapplicabilité du principe pro rata temporis à l’acquisition de l’ancienneté
L’apport majeur de cet arrêt réside dans la dissociation opérée par la Cour entre la date d’acquisition du droit à pension et le montant de cette pension. Si le montant de la pension peut légitimement être calculé au prorata du temps de travail effectif et des cotisations versées, il en va différemment pour la condition d’ancienneté qui détermine l’ouverture même de ce droit. La Cour affirme avec force que « le principe du pro rata temporis n’est pas applicable à la détermination de la date d’acquisition d’un droit à pension, dans la mesure où celle-ci dépend exclusivement de la durée de l’ancienneté acquise par le travailleur ». Cette ancienneté, précise-t-elle, « correspond, en effet, à la durée effective de la relation d’emploi et non pas à la quantité de travail fournie au cours de celle-ci ». En conséquence, pour le calcul de l’ancienneté ouvrant le droit à la retraite, les périodes non travaillées dans le cadre d’un contrat à temps partiel vertical doivent être intégralement prises en compte, comme si le salarié avait travaillé à temps plein durant toute la durée de son contrat.
B. L’exigence d’une justification objective en cas de traitement différencié
La Cour rappelle que la clause 4 de l’accord-cadre autorise une différence de traitement si elle est justifiée par des « raisons objectives ». Cependant, les arguments avancés en ce sens par l’organisme de prévoyance sociale et le gouvernement national, fondés sur une prétendue suspension du contrat de travail pendant les périodes non travaillées, sont jugés insuffisants. La Cour relève d’ailleurs que la législation nationale elle-même prévoit un traitement plus favorable pour les fonctionnaires, ce qui affaiblit la cohérence et donc la pertinence de la justification avancée. En jugeant que la réglementation nationale crée un obstacle au développement du travail à temps partiel, contraire aux objectifs de la directive, la Cour confère à sa décision une portée significative. Elle veille à ce que les modalités du travail à temps partiel ne deviennent pas un piège pour les salariés, notamment en ce qui concerne leurs droits sociaux à long terme, assurant ainsi l’effet utile de la protection accordée par le droit de l’Union.