Cour de justice de l’Union européenne, le 10 juin 2021, n°C-609/19

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. En l’espèce, un consommateur avait souscrit un contrat de prêt libellé en devise étrangère, dont les clauses prévoyaient une imputation prioritaire des remboursements sur les intérêts et, en cas de variation défavorable du taux de change, un allongement de la durée du contrat ainsi qu’une augmentation des mensualités. Face à une augmentation substantielle de sa dette résultant de la fluctuation de la parité monétaire, le consommateur a contesté le caractère abusif de ces stipulations contractuelles devant une juridiction nationale. Saisie du litige, cette dernière a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de telles clauses avec le droit de l’Union. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si les mécanismes d’amortissement d’un prêt en devises, qui reportent le remboursement du capital et transfèrent le risque de change sur l’emprunteur, pouvaient être soumis au contrôle des clauses abusives et, le cas échéant, selon quels critères leur caractère abusif devait être apprécié. La Cour répond que ces clauses peuvent relever de l’objet principal du contrat, mais doivent pour cela satisfaire à une exigence de transparence stricte, permettant au consommateur d’évaluer les conséquences économiques potentiellement significatives qui en découlent. Elle juge ensuite que de telles clauses sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif au détriment du consommateur si le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte un risque de change disproportionné à l’issue d’une négociation individuelle.

I. La clarification du périmètre de contrôle des clauses d’amortissement

La Cour de justice précise d’abord le champ d’application du contrôle des clauses abusives en l’étendant aux modalités d’amortissement du prêt (A), avant de définir les contours d’une exigence de transparence matérielle (B).

A. L’assujettissement des modalités d’amortissement à l’appréciation de leur caractère clair et compréhensible

La Cour de justice interprète l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 en ce sens que des clauses qui organisent l’imputation des paiements et l’ajustement de la durée d’un prêt peuvent constituer un « élément essentiel caractérisant ledit contrat ». Cette qualification est déterminante, car elle soustrait en principe ces clauses à l’appréciation de leur caractère abusif, à la condition expresse qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible. En jugeant que le mécanisme d’amortissement, qui prévoit une imputation prioritaire sur les intérêts et un allongement de la durée du prêt, relève potentiellement de cette catégorie, la Cour admet que ces stipulations ne sont pas de simples modalités accessoires. Elles participent de la définition même de l’économie du contrat et de son équilibre financier. Par conséquent, si elles fixent la nature de la prestation principale du prêteur et de l’emprunteur, elles échappent au contrôle sur le fond, mais sont en contrepartie soumises à un contrôle renforcé de leur transparence.

B. L’exigence d’une transparence matérielle et effective

La Cour de justice ne se contente pas d’une transparence purement formelle ou grammaticale. Elle précise que pour satisfaire à cette exigence, le professionnel doit fournir « au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause ». L’obligation d’information qui pèse sur le professionnel est donc particulièrement étendue. Elle doit permettre au consommateur d’« évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ». La transparence est ainsi entendue de manière matérielle : elle implique que le consommateur ait été mis en mesure d’anticiper que, dans certains scénarios de dépréciation de la monnaie de paiement, le capital restant dû pouvait non seulement ne pas diminuer, mais augmenter de manière significative, malgré le versement régulier des échéances.

II. L’appréciation renforcée du caractère abusif des clauses litigieuses

Après avoir défini le cadre du contrôle, la Cour de justice fournit aux juridictions nationales les outils permettant d’apprécier le caractère abusif de ces clauses, en liant le déséquilibre significatif à l’exposition de l’emprunteur à un risque disproportionné (A), ce qui confère à cette solution une portée considérable pour le contentieux des prêts en devises (B).

A. Le déséquilibre significatif au regard du risque de change disproportionné

Selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, une clause est abusive si elle crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. La Cour juge que les clauses litigieuses sont « susceptibles de créer un tel déséquilibre ». Le critère d’appréciation qu’elle retient est celui de l’attente raisonnable du professionnel. Le caractère abusif peut être retenu « dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses ». Ce faisant, la Cour établit un test contrefactuel fondé sur une négociation hypothétique. Si, même en présence d’une information parfaite, un consommateur n’aurait pas accepté de supporter seul un risque de change potentiellement illimité, la clause qui le lui impose est présumée abusive. Cette approche replace le consentement éclairé au cœur de l’équilibre contractuel et protège le consommateur contre des montages financiers dont la complexité masque un transfert de risque unilatéral.

B. La portée de la solution pour le contentieux des prêts en devises étrangères

Cette décision offre aux juridictions nationales une méthode claire pour traiter le contentieux de masse des prêts en devises. Le juge national devra examiner si, au moment de la conclusion du contrat, le professionnel a exposé de manière transparente les risques concrets et chiffrés liés aux fluctuations monétaires, y compris les scénarios les plus défavorables pour l’emprunteur. S’il constate un défaut de transparence, il pourra alors apprécier l’existence d’un déséquilibre significatif, en tenant compte du fait que l’intégralité du risque de change pèse sur le consommateur, sans que le prêteur n’en supporte aucune part. La sanction du caractère abusif d’une telle clause est son annulation, ce qui oblige le juge national à rechercher les conséquences de cette annulation sur le contrat. Cette jurisprudence renforce de manière substantielle la protection des consommateurs face à des produits financiers complexes. Elle impose aux établissements de crédit une obligation de loyauté et de pédagogie accrue, dont le non-respect peut conduire à la neutralisation des clauses qui structurent l’économie même de leurs contrats de prêt.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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