Dans une décision préjudicielle rendue sur renvoi d’une juridiction administrative française, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’application du principe de libre prestation de services en matière fiscale. En l’espèce, une société de droit français, active dans le secteur pharmaceutique, avait confié des missions de recherche à des prestataires établis dans d’autres États membres. Elle avait ensuite intégré les dépenses correspondantes dans le calcul d’un crédit d’impôt recherche prévu par la législation nationale. L’administration fiscale a cependant procédé à un redressement, considérant que le bénéfice de cet avantage était subordonné à la condition que les opérations de recherche soient réalisées sur le territoire national. La société a contesté ce redressement devant le tribunal administratif, qui a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si une législation nationale qui réserve le bénéfice d’un crédit d’impôt recherche aux seules opérations menées sur le territoire national est compatible avec l’article 49 du traité CE, relatif à la libre prestation de services. Le problème de droit soulevé portait donc sur la validité d’une restriction territoriale à l’octroi d’un avantage fiscal au regard des libertés fondamentales garanties par le droit communautaire. La Cour a jugé qu’une telle réglementation est contraire à l’article 49 CE, en ce qu’elle instaure une restriction non justifiée à la libre prestation de services.
La solution retenue par la Cour repose sur une analyse en deux temps. Elle établit d’abord l’existence d’une restriction à une liberté fondamentale (I), avant de procéder à un contrôle rigoureux des justifications avancées pour la maintenir (II).
I. La caractérisation d’une restriction à la libre prestation de services
La Cour constate sans équivoque que la législation fiscale en cause constitue une entrave à la libre prestation de services. Cette entrave découle d’un traitement fiscal différencié fondé sur le lieu d’exécution de la prestation (A), un critère que le principe de territorialité ne suffit pas à légitimer (B).
A. Une différence de traitement fondée sur le lieu d’exécution du service
Le raisonnement de la Cour s’appuie sur une constatation factuelle simple : le régime fiscal appliqué aux activités de recherche varie en fonction de leur lieu de réalisation. En réservant le crédit d’impôt aux seules recherches menées en France, la loi nationale désavantage les entreprises qui, comme en l’espèce, choisissent de faire appel à des prestataires établis dans d’autres États membres. La Cour affirme ainsi qu’« une telle réglementation comporte une différence de traitement fondée sur le lieu d’exécution de la prestation de service contraire à l’article 49 ce ». Cette différence de traitement est de nature à dissuader les entreprises établies en France de recourir à des services de recherche proposés par des entités situées hors du territoire national, entravant ainsi directement les activités transfrontalières de ces dernières. La mesure litigieuse a pour effet de cloisonner le marché intérieur des services de recherche, ce qui est précisément ce que les dispositions du traité visent à empêcher.
B. L’inefficacité du principe de territorialité comme justification a priori
Face à cette restriction, le gouvernement français invoquait le principe de territorialité de l’impôt, tel que reconnu dans l’arrêt *Futura Participations et Singer*. La Cour écarte cependant cet argument en opérant une distinction subtile mais décisive. Elle note que l’affaire *Futura Participations et Singer* concernait la situation fiscale des entreprises non résidentes, relevant de la liberté d’établissement. Or, le litige actuel porte sur une entreprise résidente qui se voit privée d’un avantage fiscal au motif qu’elle a reçu des prestations de services de la part de prestataires établis dans d’autres États membres. La restriction, bien qu’indirecte, affecte donc le prestataire de services en raison de son lieu d’établissement. En conséquence, la Cour conclut que de telles dispositions « sont de nature à entraver les activités transfrontalières de ce dernier », et ne sauraient être justifiées par une simple invocation du principe de territorialité. La reconnaissance de la restriction ouvre la voie à l’examen de sa possible justification par des raisons impérieuses d’intérêt général.
II. Le rejet des justifications avancées par l’État membre
La Cour examine successivement les trois justifications avancées par le gouvernement français : la cohérence du système fiscal (A), ainsi que la promotion de la recherche et l’efficacité des contrôles fiscaux, qu’elle analyse comme des objectifs poursuivis de manière disproportionnée (B).
A. L’inapplicabilité de la justification tirée de la cohérence du système fiscal
La Cour rappelle sa jurisprudence établie, notamment dans les arrêts *Bachmann* et *Commission/Belgique*, selon laquelle la nécessité de garantir la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction aux libertés fondamentales. Elle précise toutefois que cette justification est d’interprétation stricte. Pour être admise, il doit exister « un lien direct, dans le chef du même contribuable […], entre la faculté de déduire des cotisations […] et l’imposition ultérieure des sommes versées ». En l’absence d’un tel lien, l’argument doit être écarté. Or, en l’espèce, la Cour constate qu’« il n’existe aucun lien direct de cette nature entre, d’une part, l’impôt général sur les sociétés et, d’autre part, un crédit d’impôt correspondant à une partie des dépenses de recherche exposées par une entreprise ». L’avantage fiscal accordé n’est pas la contrepartie d’une imposition future qui serait compromise si le service était fourni depuis un autre État membre. Le crédit d’impôt est une mesure incitative et non un élément d’un système fiscal fermé, ce qui rend la justification par la cohérence inopérante.
B. La disproportion des justifications relatives à la politique de recherche et au contrôle fiscal
La Cour examine ensuite les deux autres raisons impérieuses d’intérêt général soulevées. S’agissant de l’objectif de promotion de la recherche, elle admet qu’il puisse en constituer une, mais juge que la mesure en cause est contre-productive au regard des objectifs communautaires. En effet, elle souligne que la politique de la Communauté vise à renforcer la compétitivité et la coopération transfrontalière en matière de recherche, notamment par « l’élimination des obstacles juridiques et fiscaux à cette coopération ». La mesure nationale, en isolant le marché français, va directement à l’encontre de cet objectif. Concernant l’efficacité des contrôles fiscaux, la Cour reconnaît sa validité comme motif de justification. Toutefois, elle estime que le moyen employé est disproportionné. Une réglementation « qui empêche de manière absolue le contribuable de rapporter la preuve que les dépenses afférentes aux activités de recherche réalisées dans d’autres États membres ont réellement été engagées » va au-delà de ce qui est nécessaire. Un État membre ne peut présumer de manière irréfragable l’impossibilité de contrôler les dépenses transfrontalières alors que le contribuable peut fournir les justificatifs nécessaires, et que des mécanismes de coopération administrative existent entre les États membres.