Par un arrêt rendu en première chambre, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours du droit à un recours juridictionnel contre une décision de refus de visa national de long séjour. En l’espèce, un ressortissant d’un État tiers s’est vu refuser par une autorité consulaire la délivrance d’un visa de long séjour destiné à lui permettre de poursuivre des études sur le territoire d’un État membre. Saisi d’un recours contre cette décision de refus, le tribunal administratif de voïvodie de Varsovie l’a rejeté comme irrecevable au motif que, en vertu du droit national, les décisions consulaires en matière de visas nationaux ne sont pas soumises au contrôle des juridictions administratives. Le requérant a alors formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême administrative, soutenant que cette exclusion violait le droit de l’Union. Cette dernière juridiction, doutant de la conformité de sa législation nationale avec les exigences du droit européen, a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 21, paragraphe 2 bis, de la convention d’application de l’accord de Schengen, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il s’agissait de déterminer si le droit à un recours juridictionnel effectif doit être garanti au ressortissant d’un pays tiers qui, en se voyant refuser un visa de long séjour, est privé de la faculté de circuler librement sur le territoire des autres États membres. La Cour de justice répond par la négative s’agissant du fondement tiré de la convention de Schengen, mais affirme qu’une telle obligation de recours juridictionnel découle de la directive relative aux conditions d’entrée et de séjour des étudiants, lorsque la demande de visa relève du champ d’application de celle-ci.
La solution retenue par la Cour repose sur une distinction subtile mais fondamentale entre les différents instruments du droit de l’Union, conduisant d’abord à une application stricte des règles relatives à la libre circulation (I), pour ensuite consacrer la pleine effectivité du droit au recours dès lors qu’un droit dérivé spécifique est applicable (II).
I. Une délimitation rigoureuse du champ d’application du droit à la libre circulation
La Cour de justice opère une analyse scrupuleuse de la base juridique soulevée par la juridiction de renvoi, ce qui la conduit à rejeter l’application par analogie du régime des visas de court séjour (A) et à rappeler la compétence nationale par défaut en l’absence d’harmonisation (B).
A. Le rejet d’une analogie avec le régime des visas de court séjour
La juridiction nationale suggérait une approche unifiée, considérant que le visa de long séjour, tout comme le visa Schengen, constitue un moyen d’exercer le droit à la libre circulation et devrait donc bénéficier des mêmes garanties procédurales. La Cour écarte ce raisonnement en s’attachant à une interprétation littérale de la disposition invoquée. Elle juge en effet que l’article 21, paragraphe 2 bis, de la convention d’application de l’accord de Schengen « porte exclusivement sur les droits de circulation conférés aux ressortissants d’États tiers, titulaires d’un visa de long séjour ». Par conséquent, cette disposition ne crée aucun droit pour une personne dont la demande de visa a été refusée. Le raisonnement est imparable : le droit de circuler est la conséquence de la détention d’un visa valide, et non un droit préexistant qui justifierait l’obtention de ce visa. La situation d’un demandeur de visa ne peut donc être assimilée à celle d’un titulaire, et la protection offerte par l’article 47 de la Charte ne saurait être activée par cette voie.
B. La confirmation de la compétence exclusive des États membres en l’absence de droit dérivé
En l’absence de fondement dans la convention de Schengen, la Cour rappelle un principe cardinal de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres. Elle énonce que, lorsque le législateur de l’Union n’a pas adopté d’acte régissant les procédures et conditions de délivrance de certains visas, « ces conditions et ces procédures, y compris les procédures de recours contre les décisions refusant une telle délivrance, relèvent exclusivement du droit national ». Dans une telle hypothèse, la situation échappe au champ d’application du droit de l’Union, et les dispositions de la Charte ne sont, dès lors, pas applicables. Ce principe, affirmé à l’article 51 de la Charte, signifie que les droits fondamentaux qu’elle garantit ne s’imposent aux États membres que lorsque ceux-ci mettent en œuvre le droit de l’Union. Ce faisant, la Cour confirme que le droit de l’Union n’a pas vocation à régir l’ensemble des procédures administratives nationales et qu’il ne crée pas de droit général au recours contre toute décision nationale.
L’analyse aurait pu s’arrêter sur ce constat d’inapplicabilité, mais la Cour, fidèle à son rôle de coopération avec le juge national, explore une autre piste qui va finalement s’avérer déterminante et modifier l’issue du litige.
II. La réaffirmation de la portée de la Charte en présence d’un droit dérivé applicable
Après avoir fermé la porte d’une interprétation extensive des règles de Schengen, la Cour en ouvre une autre en faisant basculer le litige sous l’empire de la directive « Étudiants » (A), ce qui entraîne l’application de la garantie d’un recours juridictionnel effectif (B).
A. Le basculement du litige sous l’empire de la directive « Étudiants »
Faisant preuve de pragmatisme, la Cour constate que la demande de visa du requérant au principal avait un objet précis : « effectuer des études de deuxième cycle en Pologne ». Or, il existe un acte de droit dérivé spécifique régissant cette situation, à savoir la directive (UE) 2016/801. Cette directive fixe les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins d’études pour une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours. La Cour souligne qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la demande de visa en cause relève du champ d’application de cette directive, mais elle lui fournit l’ensemble des clés d’interprétation nécessaires. Cette démarche illustre la volonté de la Cour de donner une réponse utile au juge national, en réorientant son analyse vers le fondement juridique pertinent, même si celui-ci n’a pas été expressément mentionné dans la question préjudicielle. Le litige change alors de nature : il ne s’agit plus d’une situation relevant de la seule compétence nationale, mais d’une situation régie par le droit de l’Union.
B. La garantie d’un recours juridictionnel effectif comme corollaire de la directive
Le basculement sous le régime de la directive 2016/801 emporte une conséquence majeure. L’article 34, paragraphe 5, de ce texte prévoit que les décisions de refus de visa sont « susceptibles d’un recours dans l’État membre concerné, conformément au droit national ». Si cette disposition renvoie aux ordres juridiques nationaux pour les modalités procédurales, son existence même replace la situation dans le champ d’application du droit de l’Union. Dès lors, l’article 47 de la Charte devient pleinement applicable. La Cour rappelle alors sa jurisprudence constante selon laquelle cette disposition impose aux États membres « l’obligation de garantir, à un certain stade de ladite procédure, un recours devant une juridiction ». Ainsi, le simple « recours » prévu par la directive, lu à la lumière de la Charte, se transforme en une exigence de recours juridictionnel. L’État membre est donc contraint d’organiser une telle voie de droit, nonobstant les dispositions contraires de sa législation nationale. La portée de l’arrêt est considérable : il réaffirme avec force que le droit à un recours juridictionnel effectif constitue une garantie fondamentale qui s’impose dès qu’une situation est encadrée, même de manière parcellaire, par le droit de l’Union.