Cour de justice de l’Union européenne, le 10 mars 2021, n°C-949/19

La présente décision, rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, apporte un éclaircissement significatif sur l’étendue du droit à un recours juridictionnel en cas de refus d’un visa national de long séjour.

Un ressortissant d’un pays tiers a sollicité un visa de long séjour auprès des autorités consulaires d’un État membre afin d’y poursuivre des études. Cette demande a fait l’objet d’un premier refus, puis d’un second après une procédure de réexamen. Le demandeur a alors formé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de voïvodie compétent, qui a rejeté sa requête pour irrecevabilité, jugeant que le contentieux des visas nationaux de long séjour ne relevait pas de sa compétence, contrairement aux litiges concernant les visas Schengen de court séjour. Saisie en cassation, la Cour suprême administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur l’obligation pour un État membre, au regard du droit de l’Union, d’instaurer une voie de recours juridictionnel contre une décision de refus de visa national de long séjour. Plus précisément, elle demandait si l’article 21, paragraphe 2 bis, de la Convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS), qui confère un droit de circulation au titulaire d’un tel visa, lu en combinaison avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantissant le droit à un recours effectif, imposait une telle obligation.

La Cour de justice répond par la négative à l’interprétation de la disposition spécifiquement visée, mais elle requalifie la question pour examiner l’existence d’une telle obligation sur le fondement d’autres instruments du droit de l’Union. Elle juge que si l’article 21 de la CAAS ne s’applique pas à la situation d’un demandeur de visa, la directive (UE) 2016/801 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins d’études peut trouver à s’appliquer. Dans l’affirmative, l’article 34 de cette directive, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, impose aux États membres de garantir l’existence d’un recours juridictionnel.

La solution de la Cour se déploie en deux temps, procédant d’abord à une interprétation stricte de la disposition initialement soumise à son examen avant d’opérer une requalification juridique pour offrir une réponse complète et utile à la juridiction nationale.

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**I. Une application écartée du droit à la libre circulation comme fondement du recours**

La Cour examine en premier lieu le raisonnement de la juridiction de renvoi qui tendait à lier le droit au recours à la finalité de libre circulation du visa sollicité. Elle rejette cette approche en se fondant sur une lecture littérale de la disposition invoquée (A), avant de se tourner vers le droit dérivé pour identifier le véritable ancrage de l’affaire dans l’ordre juridique de l’Union (B).

**A. L’exclusion de la situation du demandeur de visa du champ de l’article 21 de la CAAS**

La juridiction nationale suggérait une analogie entre le visa national de long séjour et le visa Schengen, arguant que tous deux permettent l’exercice du droit à la libre circulation, justifiant ainsi une protection juridictionnelle équivalente. La Cour de justice ne suit pas cette voie et opère une distinction nette entre la situation du titulaire d’un visa et celle du demandeur. Elle affirme que l’article 21, paragraphe 2 bis, de la CAAS « porte exclusivement sur les droits de circulation conférés aux ressortissants d’États tiers, titulaires d’un visa de long séjour ». Cette disposition ne crée donc de droits qu’au profit des personnes ayant déjà obtenu le titre de séjour leur permettant de circuler.

Par conséquent, un individu qui s’est vu refuser un tel visa ne peut se prévaloir d’un droit tiré de cette disposition. La situation juridique du demandeur échappe ainsi entièrement au champ d’application de l’article 21 de la CAAS. La Cour en déduit logiquement que cet article, ne conférant aucun droit au requérant, ne peut servir de déclencheur à l’application de l’article 47 de la Charte. Cette première étape du raisonnement confirme une approche rigoureuse de l’interprétation des textes et refuse d’étendre par analogie des droits attachés à une situation juridique acquise à une situation purement prospective.

**B. La réorientation du litige vers le droit dérivé pertinent**

Fidèle à sa jurisprudence constante, la Cour ne s’estime pas liée par la seule formulation de la question qui lui est posée. Elle rappelle en effet que « le fait que la juridiction de renvoi a formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions seulement du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation […] qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire ». C’est en vertu de ce principe de coopération juridictionnelle que la Cour identifie la source pertinente du droit de l’Union.

Elle constate que la demande de visa du requérant au principal a été effectuée dans le but de poursuivre des études. Or, la directive (UE) 2016/801 fixe précisément les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à de telles fins. La Cour établit ainsi que si la demande de visa national relève du champ d’application de cette directive, alors la situation est bien régie par le droit de l’Union. Cette requalification est déterminante, car elle déplace le fondement juridique de la discussion d’une disposition relative à la circulation vers un acte de droit dérivé harmonisant les conditions d’admission, ouvrant ainsi la voie à une analyse différente des garanties procédurales. Il appartient dès lors à la juridiction nationale de vérifier cette condition factuelle.

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**II. Une protection juridictionnelle conditionnée par la mise en œuvre du droit de l’Union**

Une fois le litige ancré dans le champ de la directive 2016/801, la Cour en tire les conséquences quant au droit à un recours. Elle consacre une obligation de protection juridictionnelle découlant de l’interaction entre la directive et la Charte (A), tout en confirmant, a contrario, l’autonomie procédurale des États membres pour les situations qui demeurent en dehors du droit de l’Union (B).

**A. L’affirmation du droit au recours juridictionnel en application de la directive**

Dès lors que la demande de visa relève de la directive 2016/801, la situation entre dans le champ d’application du droit de l’Union au sens de l’article 51 de la Charte. Par conséquent, les droits fondamentaux garantis par celle-ci, et notamment l’article 47, deviennent applicables. La Cour relève que la directive elle-même, en son article 34, paragraphe 5, prévoit que les décisions de refus sont susceptibles d’un recours dans l’État membre concerné. Si cette disposition laisse aux États une marge de manœuvre quant aux modalités procédurales, celles-ci doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité.

Surtout, la Cour juge que cette obligation doit être lue à la lumière de l’article 47 de la Charte. Elle en conclut que cette lecture combinée « impose aux États membres l’obligation de prévoir une procédure de recours contre de telles décisions, dont les modalités relèvent de l’ordre juridique de chaque État membre […], cette procédure devant garantir, à un certain stade, un recours juridictionnel ». La solution est donc sans équivoque : lorsqu’un visa national est sollicité sur le fondement d’une directive de l’Union, le droit à un recours devant une juridiction est une garantie impérative, même si les détails de la procédure restent de la compétence nationale.

**B. La portée de la solution et la persistance de l’autonomie nationale**

La décision de la Cour a une portée précise et différenciée. Elle ne crée pas un droit général et absolu à un recours juridictionnel pour tout refus de visa national. Au contraire, elle délimite ce droit aux seules situations où le visa est un instrument de mise en œuvre d’une politique de l’Union, matérialisée par un acte de droit dérivé. La Cour rappelle ainsi sa jurisprudence antérieure selon laquelle les demandes de visa qui ne sont pas régies par le droit de l’Union relèvent exclusivement du droit national, y compris en ce qui concerne les voies de recours.

En conséquence, un refus de visa national pour un motif qui ne serait pas couvert par un acte du droit de l’Union, par exemple un visa pour des raisons purement humanitaires ou familiales non harmonisées, ne donnerait pas lieu à une obligation de recours juridictionnel en vertu du droit de l’Union. L’arrêt confirme ainsi une ligne de partage claire : l’applicabilité des garanties procédurales de la Charte est conditionnée par l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre la situation nationale et le droit de l’Union. La protection juridictionnelle effective n’est donc pas universelle, mais sectorielle, dépendant de la nature et du fondement de la demande de visa.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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