Cour de justice de l’Union européenne, le 10 mars 2023, n°C-611/22

La Cour de justice de l’Union européenne, en sa grande chambre, a rendu une décision fondamentale le 3 septembre 2024. Cette affaire concerne la validité de l’examen d’une opération de concentration ne franchissant pas les seuils de chiffres d’affaires prévus. Deux entreprises technologiques avaient conclu un accord de fusion sans procéder à une notification préalable auprès des autorités de contrôle compétentes. L’institution européenne a invité les États membres à lui soumettre une demande de renvoi pour analyser les effets de ce rapprochement. Plusieurs autorités nationales ont répondu favorablement à cette sollicitation malgré leur propre incompétence en vertu de leurs législations internes respectives. Les entreprises concernées ont alors introduit un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne contre ces décisions d’acceptation. Cette juridiction a rejeté la demande par un arrêt du 13 juillet 2022 en validant l’interprétation extensive de l’administration. Les requérantes ont formé un pourvoi en soutenant que l’interprétation retenue méconnaissait les principes de sécurité juridique et de subsidiarité. La juridiction suprême devait déterminer si un État peut renvoyer une concentration à l’échelon européen sans être lui-même compétent nationalement. Elle juge que le mécanisme de renvoi ne permet pas de pallier l’absence de compétence découlant du non-dépassement des seuils. La solution repose sur une analyse rigoureuse des méthodes d’interprétation pour écarter toute extension injustifiée des pouvoirs de l’exécutif. L’étude du raisonnement de la Cour permet d’analyser l’exclusion d’une compétence subsidiaire générale avant d’aborder la préservation de la sécurité juridique.

I. L’exclusion d’une compétence subsidiaire générale de l’institution européenne

A. Une lecture restrictive des conditions de mise en œuvre du renvoi

La juridiction procède à une analyse littérale et contextuelle rigoureuse des dispositions relatives aux demandes de renvoi entre autorités. Elle souligne que la compétence d’examen dépend à titre principal du dépassement des seuils définissant la dimension européenne de l’opération. L’article 22 du règlement sur les concentrations permet une saisine par les États membres pour des opérations n’atteignant pas ces montants. La Cour précise que ce mécanisme suppose une compétence initiale de l’État demandeur au regard de son propre droit interne. Elle écarte l’idée qu’un État pourrait déléguer un pouvoir d’examen dont il ne dispose pas lui-même légalement. Cette approche garantit que l’institution ne s’approprie pas le contrôle d’opérations échappant normalement à toute vérification administrative préalable.

B. Le désaveu d’une fonction purement corrective du mécanisme

Le Tribunal avait considéré que le texte instaurait un « mécanisme correcteur destiné à permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations ». La Cour de justice infirme cette position en précisant que ce dispositif vise avant tout la répartition des tâches administratives. Elle affirme que ce mécanisme doit fonctionner « au nom d’un ou plusieurs États membres requérants » selon les objectifs communautaires. Les juges considèrent que cette coopération ne saurait combler les prétendues lacunes découlant de la rigidité des seuils de chiffres d’affaires. L’arrêt souligne que le droit européen ne prévoit pas de régime global assurant le contrôle de toute opération affectant la structure concurrentielle. La volonté du législateur était de privilégier un système de répartition précise des compétences entre les différents échelons. L’abandon de cette vision extensive permet de rétablir une prévisibilité nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur pour les opérateurs.

II. La préservation de la sécurité juridique et de l’équilibre institutionnel

A. La défense de la prévisibilité pour les opérateurs économiques

L’interprétation large défendue par l’institution européenne est jugée incompatible avec les impératifs de prévisibilité et de célérité des transactions commerciales. Les entreprises doivent pouvoir déterminer aisément si leur projet d’opération doit faire l’objet d’un examen préalable par une autorité publique. La Cour insiste sur le fait que les seuils de chiffres d’affaires constituent un gage important de sécurité juridique pour les investisseurs. Un système fondé sur des renvois incertains et discrétionnaires nuirait gravement à la fluidité du marché intérieur et aux stratégies des acteurs. Le droit des concentrations repose sur « le besoin de sécurité juridique et le principe du guichet unique » pour favoriser les restructurations. Cette décision protège les opérateurs contre des interventions administratives imprévisibles survenant après la conclusion de contrats de fusion complexes.

B. La protection de l’équilibre institutionnel et des compétences législatives

La décision rappelle que l’extension du champ d’application d’un règlement relève exclusivement de la compétence du législateur de l’Union européenne. Les juges affirment que l’efficacité du contrôle ne saurait conduire à étendre la portée des textes au-delà de la volonté parlementaire. Ils soulignent que toute modification des seuils de compétence doit résulter d’une procédure législative spécifique incluant les représentants des États. Les autorités administratives ne peuvent pas s’octroyer de nouveaux pouvoirs par une interprétation téléologique excessivement large des traités européens. La Cour préserve l’équilibre institutionnel en interdisant à l’exécutif de pallier les insuffisances perçues de la réglementation par des moyens procéduraux. Cette solution invite les instances politiques à réviser les textes si les réalités économiques actuelles exigent un encadrement plus étroit.

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Hassan KOHEN
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