Cour de justice de l’Union européenne, le 10 novembre 2016, n°C-156/15

Par la décision commentée, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa quatrième chambre, vient préciser les conditions d’application du régime dérogatoire prévu par la directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière. L’enjeu est de déterminer dans quelle mesure ce régime spécial, qui permet à un créancier d’exécuter sa garantie nonobstant l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, peut s’appliquer à un nantissement portant sur les fonds déposés sur un simple compte bancaire courant.

En l’espèce, une banque avait conclu avec une société un contrat de compte courant qui stipulait une clause de nantissement financier sur les fonds déposés, destinée à garantir l’ensemble des créances de la banque à l’encontre de la société. Après la déclaration de faillite de cette dernière, la banque a prélevé sur le compte une somme correspondant à des frais de tenue de compte antérieurs à l’ouverture de la procédure collective. L’administrateur de la faillite a alors engagé une action en recouvrement de cette somme, arguant d’une violation du principe d’égalité des créanciers. Les juridictions lettones du fond ont rejeté sa demande en se fondant sur la loi nationale de transposition de la directive 2002/47. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême de Lettonie a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il était ainsi demandé à la Cour si le régime dérogatoire de la directive, qui permet l’exécution d’une garantie financière en dépit d’une procédure d’insolvabilité, s’applique à un nantissement sur un compte bancaire ordinaire dont le titulaire conserve la libre disposition. Plus fondamentalement, la question était de savoir si ce mécanisme instaure une priorité au profit des établissements de crédit qui serait contraire au principe d’égalité des créanciers.

À cette interrogation, la Cour de justice répond par une interprétation restrictive des conditions d’application de la directive. Elle juge que le preneur d’une telle garantie ne peut exécuter celle-ci indépendamment de la procédure d’insolvabilité que si deux conditions cumulatives sont remplies. D’une part, les fonds nantis doivent avoir été versés sur le compte avant l’ouverture de la procédure. D’autre part, le constituant de la garantie doit avoir été effectivement empêché de disposer de ces fonds après leur versement.

L’arrêt opère ainsi une clarification bienvenue quant aux conditions d’application du régime de la garantie financière (I), tout en définissant plus précisément la portée de cette exception au droit commun de l’insolvabilité (II).

I. La clarification des conditions d’application du régime de la garantie financière

La Cour de justice, tout en reconnaissant un champ d’application matériel potentiellement large à la directive (A), le subordonne à des conditions de constitution strictes qui en limitent la portée pratique (B).

A. L’affirmation d’un champ d’application matériel a priori extensif

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le point de savoir si le champ d’application de la directive 2002/47 devait être limité aux garanties constituées dans le cadre de systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres, visés par la directive 98/26. La Cour écarte une telle interprétation restrictive en se fondant sur une analyse littérale et téléologique des textes. Elle relève que la définition des « obligations financières couvertes » à l’article 2, paragraphe 1, sous f), est particulièrement large, visant toute obligation donnant droit à un règlement en espèces, y compris des dettes pécuniaires ordinaires. De même, la notion d’« espèces » définie à l’article 2, paragraphe 1, sous d), couvre l’argent porté au crédit d’un compte, sans distinction selon la nature ou l’usage de ce compte.

La Cour souligne que si la directive 2002/47 s’inscrit dans le contexte de la directive 98/26, elle a pour ambition de « compléter les actes juridiques en vigueur en traitant d’autres questions et en allant plus loin qu’eux ». L’objectif est de favoriser la stabilité du système financier dans son ensemble, et non uniquement au sein des systèmes de règlement. En refusant de limiter le champ de la directive aux seuls comptes de règlement d’opérations sur titres, la Cour confirme que le régime dérogatoire a vocation à s’appliquer à une grande variété de situations, y compris des garanties consenties par des entreprises à leurs banques sur des comptes courants ordinaires.

Cette interprétation extensive du champ matériel de la directive est cependant immédiatement tempérée par une analyse rigoureuse des conditions de sa mise en œuvre.

B. La soumission du régime dérogatoire à une double condition restrictive

Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans l’interprétation de la notion de « constitution » de la garantie, définie à l’article 2, paragraphe 2, de la directive comme l’acte par lequel le preneur « acquiert la possession ou le contrôle » de l’actif nanti. La Cour estime que ce critère de dépossession doit recevoir une interprétation autonome et uniforme au sein de l’Union. Pour une garantie incorporelle telle que des fonds en compte, la simple existence d’une clause contractuelle de nantissement ne suffit pas. La Cour juge que le preneur ne peut être considéré comme ayant acquis le contrôle des fonds « qu’à la condition que le constituant de la garantie soit empêché d’en disposer ».

Cette exigence de blocage des fonds est fondamentale. Elle vise à assurer l’effectivité de la dépossession, qui constitue la contrepartie du régime exorbitant accordé au créancier gagiste. Si le constituant peut librement utiliser les fonds déposés sur le compte, le preneur n’en a jamais réellement acquis le contrôle, et la garantie demeure purement théorique. La Cour en déduit logiquement que le droit de retrait de l’excédent de garantie, prévu par la directive, serait dépourvu de sens si le constituant pouvait déjà disposer de l’intégralité du solde.

En outre, la Cour précise la condition temporelle de la constitution. Se référant à l’article 8 de la directive, elle rappelle que seules les garanties constituées avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité sont protégées. Par conséquent, les sommes versées sur le compte après cette date ne peuvent, en principe, tomber sous le coup de la garantie et du régime dérogatoire. La solution est claire : pour bénéficier de la protection de la directive, la dépossession doit être effective et antérieure à l’ouverture de la procédure collective.

Au-delà de cette clarification technique, la décision emporte des conséquences importantes sur l’articulation entre le droit des sûretés et le droit de l’insolvabilité.

II. La portée de la solution quant au droit de l’insolvabilité

La Cour de justice profite de cette affaire pour légitimer la dérogation apportée par la directive au droit commun de l’insolvabilité (A), tout en adressant un signal fort aux praticiens quant aux modalités de mise en œuvre de ces garanties (B).

A. La légitimation de la dérogation au droit commun de l’insolvabilité

La juridiction de renvoi s’inquiétait d’une éventuelle rupture d’égalité entre les créanciers. Le régime de la directive 2002/47, en permettant au preneur de la garantie d’échapper au concours et à la discipline collective de la procédure d’insolvabilité, confère un avantage considérable par rapport aux autres créanciers, y compris ceux qui sont traditionnellement considérés comme privilégiés, tels que les salariés ou le Trésor public.

La Cour examine cette différence de traitement au regard de l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle juge que cette dérogation est justifiée car elle repose sur un critère objectif et poursuit un but légitime. L’objectif, rappelé dans les considérants de la directive, est de « renforcer la sécurité juridique et l’efficacité des garanties financières afin d’assurer la stabilité du système financier ». En permettant une exécution rapide et certaine des garanties, le législateur de l’Union a entendu limiter les effets de contagion et le risque systémique en cas de défaillance d’un acteur financier.

La Cour estime également que la mesure est proportionnée. Elle souligne que le régime ne s’applique que si la garantie a été valablement constituée avant l’ouverture de la procédure, ce qui exclut les actifs entrés postérieurement dans le patrimoine du débiteur. De plus, la garantie ne porte que sur des actifs spécifiques pour lesquels le constituant a accepté une forme de dépossession. Cette analyse valide ainsi le choix politique du législateur européen de créer une catégorie de « super-sûretés » au nom de la stabilité financière, tout en rappelant que ce statut exorbitant est conditionné à des exigences strictes.

Cette décision a donc une portée pratique non négligeable pour les acteurs économiques et financiers.

B. La portée pratique de la solution : une incitation à la modification des pratiques contractuelles

En exigeant que le constituant soit empêché de disposer des fonds nantis, la Cour de justice rend inopérantes de nombreuses clauses de nantissement sur compte courant telles qu’elles sont actuellement pratiquées. Une clause insérée dans les conditions générales d’un compte, qui n’est accompagnée d’aucun mécanisme de blocage effectif des fonds, ne permet pas de satisfaire à l’exigence de « contrôle » posée par la directive. Le simple fait que le titulaire du compte conserve la faculté de tirer des chèques, d’effectuer des virements ou de procéder à des retraits sur le solde créditeur suffit à écarter l’application du régime dérogatoire.

La solution contraint ainsi les établissements de crédit à revoir leurs pratiques contractuelles s’ils souhaitent bénéficier de la protection de la directive. Pour qu’un nantissement sur des espèces en compte soit efficace en cas d’insolvabilité du constituant, il devra être assis sur un compte spécial, bloqué ou indisponible, sur lequel le constituant n’a aucun pouvoir de disposition. Le nantissement sur un compte courant ordinaire, par nature fluctuant et disponible, ne peut constituer une garantie financière au sens de la directive 2002/47, sauf à imaginer des mécanismes contractuels complexes qui priveraient le compte courant de sa fonction principale d’instrument de paiement.

En définitive, cet arrêt, par son interprétation rigoureuse de la condition de dépossession, restreint considérablement l’attrait des clauses de nantissement sur compte courant en tant que garantie financière efficace en cas de faillite. Il clarifie la frontière entre la simple sûreté de droit commun, soumise au principe d’égalité des créanciers, et la garantie financière dérogatoire, qui exige une dépossession réelle et effective de l’actif nanti.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture