L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 10 novembre 2016 vient clarifier les modalités d’appréciation de la validité d’une marque tridimensionnelle constituée par la forme d’un produit. En l’espèce, une société avait obtenu en 1999 l’enregistrement en tant que marque communautaire de la forme d’un cube pour des « puzzles en trois dimensions ». Cette forme se caractérisait par une structure en grille noire sur chacune de ses six faces. Une autre entreprise, fabricant de jouets, a formé une demande en nullité de cette marque en 2006, arguant que celle-ci était composée exclusivement de la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
La division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a d’abord rejeté cette demande, une position confirmée par sa chambre de recours le 1er septembre 2009. La société requérante a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne, qui, par un arrêt du 25 novembre 2014, a également rejeté le recours. Les juges du fond ont estimé que la structure en grille visible sur la forme du cube ne remplissait aucune fonction technique, la capacité de rotation du puzzle résultant d’un mécanisme interne et invisible non concerné par la représentation graphique de la marque. La société requérante a donc formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait interprété de manière erronée le motif de refus absolu à l’enregistrement.
Le problème de droit soulevé par ce litige portait sur la méthode d’analyse de la fonctionnalité d’une marque figurative. Il s’agissait de déterminer si, pour apprécier si une forme est exclusivement nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, l’autorité compétente doit limiter son examen aux seules caractéristiques visibles dans la représentation graphique de la marque ou si elle doit également prendre en considération la fonction technique du produit réel que cette forme représente, y compris ses éléments non visibles.
La Cour de justice censure l’analyse du Tribunal en jugeant que l’examen de la fonctionnalité ne peut se limiter aux éléments graphiques de la marque. Elle affirme que l’analyse doit également porter sur la fonction technique du produit concret, ce qui inclut des éléments non visibles dans sa représentation, comme une éventuelle capacité de rotation. Par conséquent, la Cour annule l’arrêt du Tribunal ainsi que la décision de la chambre de recours de l’EUIPO, consacrant une approche plus globale de la notion de résultat technique.
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I. La censure d’une analyse restrictive de la fonction technique d’une marque tridimensionnelle
La décision de la Cour de justice s’articule autour d’un rappel des principes gouvernant l’exclusion des formes fonctionnelles, avant de sanctionner l’application erronée que le Tribunal en avait faite.
A. Le rappel des critères d’appréciation de la fonctionnalité
La Cour rappelle utilement le fondement du droit des marques de l’Union, qui vise à interdire l’enregistrement de signes constitués exclusivement par la forme d’un produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Cette disposition a pour finalité d’éviter que le droit des marques ne soit utilisé pour conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques, sans limitation dans le temps, alors que de telles innovations relèvent du droit des brevets. L’analyse de la fonctionnalité doit donc être rigoureuse pour maintenir l’équilibre entre les différents droits de propriété intellectuelle.
Dans son examen, l’autorité compétente doit correctement identifier les caractéristiques essentielles du signe en cause. Ensuite, elle doit vérifier si ces caractéristiques remplissent les fonctions techniques du produit concerné. La Cour souligne que cet examen ne doit pas se limiter à une analyse abstraite du signe déposé. Il doit tenir compte de la réalité du produit que la marque représente et de son usage dans le commerce, ce qui implique une appréciation concrète du lien entre la forme et la fonction.
B. L’erreur de droit du Tribunal dans l’application des critères
La Cour de justice juge que « le Tribunal a commis une erreur en ne prenant pas en compte les éléments fonctionnels non visibles de la forme ». Le raisonnement du Tribunal se limitait en effet à la structure en grille apparente sur le cube, pour en déduire qu’elle n’avait pas de fonction technique. Il avait explicitement écarté de son analyse la capacité de rotation du puzzle, au motif que cette fonction découlait d’un mécanisme interne invisible et donc non protégé par le dessin de la marque.
C’est précisément cette dissociation que la Cour sanctionne. Elle estime que la fonction technique d’un produit ne saurait être artificiellement distinguée de sa représentation. En se concentrant sur les seules lignes noires visibles, le Tribunal a omis d’examiner la fonction première du produit désigné, à savoir celle d’un puzzle rotatif. La Cour affirme que la présence d’un mécanisme interne invisible est un élément pertinent pour évaluer la fonctionnalité de la forme elle-même, car cette forme est conçue pour être manipulée d’une manière que le mécanisme permet.
II. La portée extensive de la solution et la protection des innovations techniques
En annulant la décision du Tribunal, la Cour de justice ne se contente pas de régler un cas d’espèce ; elle précise la méthodologie d’examen des marques de forme et réaffirme avec force l’objectif de l’exclusion des signes fonctionnels.
A. La clarification de la méthode d’examen pour les formes-produits
Cette décision a le mérite de clarifier la méthode que les offices de propriété intellectuelle et les juridictions doivent adopter. L’examen de la fonctionnalité ne peut être superficiel ou purement visuel ; il doit intégrer une compréhension du produit lui-même, de sa destination et de son fonctionnement. Il ne s’agit plus seulement d’observer la forme, mais de comprendre ce qu’elle accomplit.
Cette approche holistique renforce la barrière entre le droit des marques et le droit des brevets. Elle empêche une entreprise de contourner les exigences et la durée de protection limitée d’un brevet en s’appropriant indéfiniment une caractéristique technique par le biais du droit des marques. La valeur de cet arrêt réside ainsi dans son pragmatisme, en invitant les examinateurs à considérer le produit dans sa globalité, tel que le perçoit le consommateur.
B. La réaffirmation de la finalité de l’exclusion des formes fonctionnelles
La portée de cet arrêt est considérable pour le régime des marques tridimensionnelles. En imposant une analyse fonctionnelle étendue, la Cour limite les possibilités d’enregistrer des formes qui sont intrinsèquement liées à un résultat technique. Elle protège ainsi la liberté de la concurrence, en garantissant que les solutions techniques, une fois tombées dans le domaine public, puissent être librement utilisées par tous les opérateurs économiques.
L’annulation par la Cour, non seulement de l’arrêt du Tribunal mais aussi de la décision de l’EUIPO, témoigne d’une volonté de mettre fin définitivement à l’enregistrement de cette marque sous sa forme actuelle. La solution n’est donc pas une simple décision d’espèce mais un arrêt de principe qui guidera l’examen de toutes les futures demandes d’enregistrement de marques-produits. Il réaffirme que le droit des marques a pour fonction de garantir l’origine d’un produit, et non de protéger son inventivité technique.