La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue le 10 novembre 2016 sous la référence C‑449/14 P, s’est prononcée sur les modalités de financement d’un service public.
Un organisme public de radiodiffusion bénéficiait initialement d’un financement mixte, associant des recettes commerciales issues de la publicité à une compensation financière versée par un État membre. Une réforme législative a supprimé ces revenus publicitaires tout en introduisant une nouvelle taxe de 1,5 % sur les recettes des opérateurs de télévision payante établis sur le territoire.
L’un de ces opérateurs a contesté la légalité de cette taxe devant le Tribunal de l’Union européenne, lequel a rejeté le recours par un arrêt du 11 juillet 2014. La société requérante a formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le prélèvement fiscal faisait partie intégrante de l’aide d’État accordée à son concurrent. Elle faisait valoir que l’asymétrie de la taxe créait une distorsion de concurrence supplémentaire, aggravant ainsi l’effet de l’aide initiale jugée compatible par l’institution européenne.
La question de droit soulevée consiste à déterminer si une taxe sectorielle peut être qualifiée d’élément indissociable d’une aide d’État lorsque son produit finance la mesure.
La Cour de justice rejette le pourvoi en considérant que l’absence d’influence directe du produit de la taxe sur l’importance de l’aide empêche toute qualification de lien d’affectation contraignant. L’étude de cette solution conduit à analyser l’exigence d’un lien d’affectation fiscale rigoureux avant d’envisager l’incidence de la garantie budgétaire de l’État sur la qualification de l’aide.
I. L’exigence d’un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide
A. Le critère de l’influence directe du produit de la taxe sur le montant de l’aide
La Cour de justice rappelle qu’une taxe n’entre dans le champ d’application des aides d’État que si elle constitue le mode de financement d’une mesure d’aide. Pour qu’un tel lien soit établi, il faut que « le produit de la taxe soit nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de celle-ci ».
Cette exigence suppose un rapport de dépendance mathématique ou juridique entre les sommes perçues par le fisc et les montants effectivement versés au bénéficiaire de l’aide. En l’espèce, le montant de la compensation perçue par l’organisme public est déterminé en fonction des seuls coûts nets liés à l’accomplissement de sa mission de service public. La juridiction souligne que le montant de l’aide ne dépend pas directement des recettes issues des mesures fiscales, rendant ainsi le mode de financement juridiquement dissociable de l’avantage.
B. La distinction entre le financement asymétrique et la notion d’aide d’État
La société requérante invoquait un précédent jurisprudentiel relatif à une taxe asymétrique imposée à une seule catégorie d’opérateurs en situation de concurrence directe avec le bénéficiaire. La Cour écarte cette analogie en précisant que l’aide ne résulte pas ici de l’exonération d’une taxe, mais d’un versement budgétaire compensant des coûts de service public.
Les redevables d’une contribution obligatoire ne peuvent pas exciper de l’illégalité d’une aide pour se soustraire au paiement de leur propre impôt, sauf lien d’affectation contraignant démontré. La mesure d’aide et la taxe ne constituent pas « les deux éléments indissociables d’une seule et même mesure », dès lors que l’aide subsisterait même en cas d’invalidation du prélèvement. Cette approche protège l’autonomie fiscale des États membres en limitant l’extension du contrôle des aides d’État aux simples modalités de financement budgétaire des politiques publiques.
Cette rigueur dans la caractérisation du lien d’affectation se justifie par l’autonomie financière de la mesure d’aide vis-à-vis des recettes fiscales réelles collectées par l’administration.
II. L’absence de nature intégrante du prélèvement en raison de la garantie budgétaire
A. L’effet neutralisant de l’obligation de combler l’écart par le budget général
La législation nationale prévoit que si les recettes fiscales sont insuffisantes pour couvrir les coûts du service public, l’État doit combler l’écart par son budget général. Cette garantie étatique rompt le lien d’exclusivité entre la taxe sectorielle et l’aide, puisque le bénéficiaire recevra la somme budgétée indépendamment du succès de la collecte.
La Cour observe que le montant de l’aide est fixé au regard des besoins objectifs du service et non en fonction des fluctuations du rendement de la taxe imposée. Par ailleurs, tout excédent de recettes fiscales par rapport au plafond de dépenses autorisé est réattribué au trésor public ou à un fonds de réserve sous contrôle ministériel. L’existence de ce mécanisme de régulation budgétaire démontre que le produit de la taxe n’exerce aucune influence directe sur l’importance de l’avantage financier octroyé au bénéficiaire.
B. L’irrecevabilité des griefs fondés sur l’illégalité autonome de la modalité de financement
La juridiction confirme que l’examen de la compatibilité d’une aide par l’institution européenne ne doit intégrer le mode de financement que si ce dernier est indissociable de l’aide. Puisque la taxe n’est pas un élément constitutif de l’aide, son éventuelle incompatibilité avec d’autres dispositions du droit de l’Union n’affecte pas la validité de la décision d’autorisation.
Une telle solution empêche les opérateurs privés d’utiliser le droit des aides d’État comme un levier systématique pour contester toute nouvelle charge fiscale sectorielle devant les juges européens. La Cour précise que « cette seule circonstance ne saurait suffire à démontrer qu’une telle taxe fait partie intégrante de l’aide » malgré l’existence d’un rapport de concurrence. La stabilité des financements publics se trouve ainsi préservée contre les recours fondés sur une interprétation extensive de la notion d’affectation contraignante entre impôt et dépense publique.