Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions dans lesquelles la poursuite d’une activité, déjà autorisée, doit faire l’objet d’une nouvelle évaluation de ses incidences sur un site Natura 2000. En l’espèce, une juridiction nationale était saisie d’une question relative à l’obligation de soumettre à une évaluation environnementale le renouvellement de l’autorisation d’une exploitation. Cette autorisation initiale avait été accordée sur la base d’une évaluation qui n’avait pas pris en compte les effets cumulés du projet avec d’autres plans ou projets. Saisie d’une question préjudicielle, la Cour de justice était interrogée sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE, dite « directive Habitats ». La question de droit posée à la Cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la poursuite d’une activité autorisée, dont l’évaluation initiale était incomplète, exige une nouvelle évaluation au titre de la directive. D’autre part, il était demandé dans quelle mesure des évaluations environnementales plus générales, réalisées postérieurement pour d’autres plans, pouvaient être prises en compte pour satisfaire à cette exigence. La Cour de justice répond que la poursuite d’une activité ne nécessite pas en principe de nouvelle évaluation, sauf si l’évaluation initiale était lacunaire et qu’une nouvelle autorisation nationale est requise. Elle ajoute que, pour cette nouvelle évaluation, les autorités peuvent se fonder sur des évaluations intermédiaires si celles-ci présentent un caractère complet, précis et définitif. La solution clarifie ainsi l’articulation entre le principe de sécurité juridique et l’impératif de protection environnementale (I), tout en définissant les conditions de validité des évaluations environnementales successives (II).
I. La clarification de l’obligation de réévaluation environnementale
La Cour de justice établit une distinction nette entre le principe général dispensant de réévaluation une activité déjà autorisée (A) et l’exception imposant cette réévaluation en cas d’autorisation nouvelle et d’évaluation initiale défaillante (B).
A. Le principe de l’absence de nouvelle évaluation pour une activité autorisée
La Cour rappelle d’abord une solution protectrice de la sécurité juridique des opérateurs économiques. Selon elle, « la poursuite, dans des conditions inchangées, de l’activité d’une exploitation qui a déjà été autorisée à l’état de projet ne doit pas, en principe, être soumise à l’obligation d’évaluation prévue à cette disposition ». Cette position est logique, car une autorisation administrative, une fois délivrée, confère des droits à son titulaire qui ne sauraient être remis en cause de manière systématique sans modification des conditions d’exploitation. L’objectif de l’article 6, paragraphe 3, de la directive est d’assurer qu’un projet susceptible d’affecter un site Natura 2000 fasse l’objet d’une évaluation appropriée avant son autorisation. Une fois cette étape franchie et l’autorisation accordée, la directive n’impose pas un contrôle périodique systématique sur le fondement de cette même disposition. Admettre le contraire reviendrait à créer une insécurité juridique permanente pour toutes les activités situées à proximité de zones protégées, ce qui paralyserait l’activité économique. Le principe énoncé par la Cour constitue donc une garantie essentielle pour les exploitants.
B. L’exception liée à la défaillance de l’évaluation initiale
La Cour tempère immédiatement ce principe en posant une exception reposant sur deux conditions cumulatives. Une nouvelle évaluation s’impose lorsque, « d’une part, l’évaluation ayant précédé cette autorisation a uniquement porté sur l’incidence de ce projet considéré individuellement, en faisant abstraction de sa conjugaison avec d’autres projets, et, d’autre part, ladite autorisation soumet cette poursuite à l’obtention d’une nouvelle autorisation prévue par le droit interne ». La première condition sanctionne une carence classique de l’évaluation environnementale : l’absence d’analyse des effets cumulés. Une telle omission vicie l’évaluation initiale et la rend non conforme aux exigences de la directive. La seconde condition est procédurale et relève du droit national ; elle lie l’obligation de réévaluation à l’existence d’une procédure de renouvellement ou de nouvelle autorisation. La combinaison de ces deux éléments justifie que l’autorité nationale profite de cette nouvelle étape administrative pour purger le vice qui affectait l’autorisation originelle. Cette solution assure un juste équilibre, car elle ne crée pas une obligation de révision autonome mais la rattache à un moment précis de la vie de l’autorisation administrative, limitant ainsi la portée de la remise en cause de l’existant.
II. L’encadrement du recours aux évaluations environnementales existantes
Après avoir posé le principe de la réévaluation, la Cour en précise les modalités en admettant la prise en compte d’évaluations intermédiaires (A), mais sous de strictes conditions de qualité des données (B).
A. La reconnaissance de la pertinence des évaluations générales intermédiaires
La Cour de justice fait preuve de pragmatisme en permettant aux autorités nationales de ne pas repartir d’une feuille blanche. Elle juge qu’« il y a lieu de tenir compte d’évaluations réalisées dans l’intervalle, telles que celles ayant précédé l’adoption d’un plan national de gestion de district hydrographique et d’un plan Natura 2000 ». Cette approche vise à éviter la duplication inutile des procédures et des études, alors que des documents de planification plus larges ont pu, entre-temps, fournir une analyse pertinente des pressions s’exerçant sur le site concerné. En l’occurrence, un plan de gestion de district hydrographique ou un plan de gestion de site Natura 2000 contiennent par nature une évaluation des impacts cumulés des différentes activités sur les habitats et les espèces. Il est donc rationnel et conforme au principe de bonne administration de permettre à l’autorité compétente de s’appuyer sur ces travaux, qui sont souvent plus complets et à jour que l’évaluation initiale du projet individuel. Cette souplesse permet d’alléger la charge administrative pesant sur l’exploitant et sur l’administration, sans pour autant sacrifier l’objectif de protection.
B. Les conditions strictes de validité des évaluations antérieures
Toutefois, cette faculté de s’appuyer sur des documents existants n’est pas inconditionnelle. La Cour de justice l’assortit d’une triple exigence de qualité, en imposant que les constatations, appréciations et conclusions de ces évaluations antérieures « présentent un caractère complet, précis et définitif ». Chacun de ces termes revêt une importance particulière. Le caractère « complet » implique que l’évaluation antérieure doit avoir identifié l’ensemble des incidences du projet, seul et en combinaison, sur les objectifs de conservation du site. Le caractère « précis » exige que les données et les conclusions soient fondées sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles, et non sur des considérations générales. Enfin, le caractère « définitif » suppose que les conclusions de l’évaluation ne laissent subsister aucun doute raisonnable quant à l’absence d’atteinte à l’intégrité du site. Ces critères stricts démontrent que la Cour n’entend pas permettre aux autorités de se contenter d’évaluations superficielles ou obsolètes. Il leur appartient de vérifier, au cas par cas, que les documents de planification existants répondent de manière suffisante et actuelle à toutes les questions posées par le projet, faute de quoi une évaluation complémentaire spécifique restera indispensable.