Cour de justice de l’Union européenne, le 10 septembre 2009, n°C-366/08

Dans un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de l’interprétation de la législation communautaire relative aux additifs alimentaires, plus spécifiquement en ce qui concerne l’utilisation de conservateurs dans les confitures. En l’espèce, une société commercialisait en Allemagne des confitures qualifiées de « confiture extra » contenant un conservateur, le sorbate de potassium, et présentant une teneur en sucre de 58 %. Une autorité de contrôle a estimé que cette pratique était illicite, au motif que l’emploi de cet additif n’était autorisé que pour les « confitures à faible teneur en sucre », ce que n’étaient pas, selon elle, les produits en cause. La société arguait de la légalité de la commercialisation de ses produits en Autriche pour en déduire la licéité de leur vente en Allemagne, en vertu du principe de libre circulation des marchandises. Le litige a été porté devant les juridictions allemandes, qui, face à la difficulté d’interprétation des directives européennes applicables, ont saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Il était demandé à la Cour de déterminer, d’une part, si la notion de « confitures à faible teneur en sucre », au sens de la directive 95/2/CE, englobait également les produits qualifiés de « confiture extra ». D’autre part, et en cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur le point de savoir si une teneur en sucre de 58 % pouvait être considérée comme « faible » au sens de cette même directive. La Cour répond par l’affirmative à la première interrogation tout en précisant qu’une teneur en sucre de 58 % n’est pas suffisamment réduite pour justifier l’emploi du conservateur litigieux. Il conviendra d’analyser, dans un premier temps, la clarification extensive de la notion de « confiture » (I), avant d’étudier, dans un second temps, l’appréciation restrictive de la condition de « faible teneur en sucre » (II).

I. La clarification extensive de la notion de « confiture »

La Cour de justice adopte une approche large de la catégorie de produits éligibles à l’ajout de conservateurs, en se fondant sur une interprétation générique de la dénomination (A), pour ensuite définir la condition de teneur en sucre par une exigence de réduction substantielle (B).

A. L’interprétation générique de la dénomination « confitures »

La Cour constate que la directive 95/2/CE, qui régit l’emploi des additifs, ne fournit pas de définition propre au terme « confitures ». Il est donc nécessaire de se reporter à la législation sectorielle, en l’occurrence la directive 79/693/CEE, pour en déterminer le sens. Cette dernière distingue la « confiture » de la « confiture extra » principalement sur la base de la quantité minimale de pulpe de fruits utilisée dans leur fabrication, la seconde étant plus riche en fruits. Toutefois, la Cour relève qu’aucune disposition n’impose une teneur en sucre supérieure pour la « confiture extra » par rapport à la confiture simple. L’argument décisif réside dans une lecture a contrario des annexes de la directive 95/2/CE elle-même. La Cour observe en effet que « lorsqu’il a établi les listes prévues aux annexes II et III, partie B, de la directive 95/2, [le législateur] a clairement distingué les dénominations ‘confitures’ et ‘confitures extra’ ». Or, l’annexe III, partie A, qui autorise l’usage du sorbate de potassium, ne mentionne que les « confitures à faible teneur en sucre » sans opérer une telle distinction. De cette absence de différenciation, la Cour déduit que le législateur a entendu utiliser le terme « confitures » de manière générique, incluant ainsi les deux qualités de produits.

Cette approche extensive permet d’assurer une application uniforme de la réglementation sur les additifs, en évitant des distinctions qui ne seraient pas fondées sur des critères pertinents au regard de l’objectif de la norme. Après avoir établi le champ d’application matériel de la disposition, la Cour devait en préciser la portée quant à la condition de teneur en sucre.

B. La définition d’une réduction substantielle de la teneur en sucre

La seconde étape du raisonnement de la Cour consiste à interpréter l’adjectif « faible » qualifiant la teneur en sucre. La juridiction établit que cette expression implique une réduction sensible par rapport à la teneur de référence. Cette valeur de référence est fixée par la directive 79/693/CEE à 60 % de matière sèche soluble pour les confitures standards. La Cour écarte l’assimilation proposée par le gouvernement allemand entre les notions de « faible teneur en sucre » et de « valeur énergétique réduite », cette dernière impliquant une baisse d’au moins 30 %. Elle juge que le législateur a sciemment utilisé des termes distincts pour des produits différents, signifiant par là que les conditions ne sont pas interchangeables. Le critère retenu est donc celui d’une « diminution significative ». Appliquant ce critère à l’espèce, la Cour juge qu’une teneur en sucre de 58 % ne représente qu’une réduction très faible par rapport à la norme de 60 %. L’argument final est particulièrement éclairant : la Cour rappelle que la directive sur l’étiquetage prévoit une tolérance de plus ou moins trois points de pourcentage pour la mention de la teneur en sucre. Une confiture à 58 % se situe donc dans la marge de tolérance d’une confiture standard, ce qui démontre que sa teneur en sucre ne peut être qualifiée de « faible ». En conséquence, la Cour conclut que « Des produits qualifiés de ‘confitures extra’ dont la teneur en sucre est de 58 % ne peuvent être considérés comme ayant une faible teneur en sucre, au sens de cette disposition ».

Cette interprétation pragmatique et rigoureuse ancre la définition juridique dans une réalité quantifiable, mais elle est surtout guidée par la finalité même de la réglementation en cause, qui est la protection du consommateur.

II. L’appréciation restrictive de la condition de « faible teneur en sucre »

L’arrêt se distingue par sa finalité protectrice, qui se manifeste à travers la prévalence accordée à la santé publique (A) et la consécration d’une méthode d’interprétation qui limite strictement les dérogations au droit commun (B).

A. La prévalence de la protection de la santé publique

La Cour rappelle avec force que l’utilisation d’additifs alimentaires doit avant tout répondre à un impératif de protection du consommateur. L’emploi de conservateurs, tels que le sorbate de potassium, n’est justifié que par un « besoin technologique ». En matière de confitures, ce besoin n’existe que lorsque la teneur en sucre est insuffisante pour assurer naturellement la conservation du produit. Le sucre agissant lui-même comme agent de conservation, l’ajout d’une substance chimique n’est acceptable que si la réduction du sucre compromet la durée de vie de la denrée. La Cour souligne que « le besoin technologique d’ajouter un conservateur […] n’apparaît que pour celles qui sont à faible teneur en sucre, la quantité de sucre qu’elles contiennent ne suffisant pas à en assurer leur conservation ». En l’absence d’une diminution significative du taux de sucre, l’ajout d’un conservateur ne répond à aucun besoin technologique avéré et expose inutilement le consommateur à une substance chimique. La Cour réaffirme ainsi un principe fondamental du droit alimentaire européen : le recours aux additifs doit être une exception justifiée et non une facilité de production.

Cette finalité de protection sanitaire commande une application stricte des textes, limitant l’usage des additifs au strict nécessaire.

B. La consécration d’une méthode d’interprétation téléologique et restrictive

Au-delà du cas d’espèce, la décision illustre la méthode d’interprétation de la Cour en matière de santé publique. Elle combine une analyse littérale des termes, comme pour l’adjectif « faible », avec une approche téléologique, c’est-à-dire fondée sur les objectifs poursuivis par le législateur. L’objectif premier étant la protection de la santé, toute dérogation à l’interdiction de principe d’utiliser des additifs doit être interprétée de manière restrictive. En jugeant qu’une réduction de deux points de pourcentage est insignifiante, la Cour envoie un signal clair aux opérateurs économiques : la qualification de « faible teneur en sucre » ne peut être obtenue par des ajustements marginaux. Elle doit correspondre à une caractéristique substantielle du produit, justifiant un traitement réglementaire dérogatoire. Cette solution renforce la sécurité juridique en prévenant les tentatives de contournement de la règle. Elle assure que l’information délivrée au consommateur à travers la dénomination du produit correspond à une réalité tangible et que les exceptions prévues par la loi ne sont pas dévoyées pour des raisons purement commerciales. La portée de cet arrêt dépasse donc la seule question des confitures pour réaffirmer le principe selon lequel les normes de protection de la santé priment sur les autres considérations et doivent faire l’objet d’une application rigoureuse.

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Hassan KOHEN
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