Cour de justice de l’Union européenne, le 10 septembre 2009, n°C-76/08

Par un arrêt rendu en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions de mise en œuvre du régime dérogatoire prévu par la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages.

En l’espèce, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement à l’encontre d’un État membre, lui reprochant d’avoir autorisé la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois pour les années 2004 à 2007. L’État membre concerné soutenait que cette pratique était justifiée au titre de la dérogation prévue à l’article 9 de la directive, arguant notamment qu’il n’existait pas d’« autre solution satisfaisante ». Selon lui, la migration de ces espèces sur son territoire durant la période de chasse automnale était si faible qu’elle ne permettait pas une pratique de la chasse effective, contrairement à la période printanière.

Après une mise en demeure et un avis motivé restés sans effet satisfaisant, la Commission a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours en manquement. Elle considérait que la condition relative à l’absence d’autre solution satisfaisante n’était pas remplie, dès lors que les espèces concernées étaient présentes sur le territoire de l’État membre durant l’automne, même en quantités moindres.

Il revenait donc à la Cour de déterminer si l’impossibilité quasi-totale de chasser des espèces migratrices en automne constitue une « absence d’autre solution satisfaisante » au sens de l’article 9 de la directive, permettant ainsi de déroger à l’interdiction de la chasse printanière. La question se posait également de savoir quelles sont les limites d’une telle dérogation si elle est jugée possible en son principe.

La Cour de justice constate le manquement de l’État membre. Elle juge que si la chasse automnale ne constitue pas une autre solution satisfaisante en raison du caractère négligeable des prélèvements possibles, la dérogation autorisant la chasse printanière doit néanmoins respecter le principe de proportionnalité. En l’espèce, l’ampleur des captures autorisées au printemps était disproportionnée par rapport à l’objectif de conservation des espèces, violant ainsi les conditions de l’article 9 de la directive.

I. La consécration d’une interprétation souple de la condition d’absence d’autre solution satisfaisante

La Cour de justice adopte une lecture nuancée de la condition tenant à l’« absence d’autre solution satisfaisante », s’écartant d’une approche purement binaire. Elle rejette une application mécanique qui interdirait toute dérogation dès lors qu’une chasse automnale est techniquement possible (A), pour lui substituer un critère plus concret fondé sur la rupture de l’équilibre entre la protection des espèces et les activités de loisir (B).

A. Le rejet d’une lecture rigide de la condition tenant à l’existence d’une chasse automnale

La Cour écarte l’argument selon lequel la simple présence des espèces migratrices sur le territoire national en automne suffit à exclure par principe le recours à la dérogation pour la chasse printanière. Une telle approche aurait pour effet de vider de sa substance la possibilité même d’une dérogation dans les cas où la chasse automnale, bien que théoriquement ouverte, se révèle en pratique insignifiante. La Cour précise que « le législateur communautaire, en utilisant l’expression “autre solution satisfaisante”, n’a pas entendu exclure l’usage de la dérogation prévue à l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive dès lors qu’il existerait une possibilité quelconque de chasser pendant les périodes d’ouverture autorisées en vertu de l’article 7 de la directive ».

Cette interprétation reconnaît que l’existence d’une alternative doit être appréciée de manière qualitative, et non seulement formelle. La Cour refuse de considérer comme « satisfaisante » une solution qui, dans les faits, ne permettrait pas l’exercice de l’activité de chasse dans des conditions raisonnables. Elle prend ainsi en compte les circonstances géographiques et migratoires très particulières de l’État membre, où le passage des oiseaux en automne est un phénomène marginal. En agissant de la sorte, elle admet que la notion de « solution satisfaisante » ne saurait être déconnectée de la réalité pratique du terrain.

B. L’instauration d’un critère fondé sur l’équilibre entre protection des espèces et activités de loisir

Pour définir ce qui constitue une absence de solution satisfaisante, la Cour établit un critère d’équilibre. Elle considère que la dérogation devient envisageable « dès lors que les possibilités de chasse offertes durant ces périodes, en l’occurrence en automne, sont si limitées que l’équilibre recherché par la directive entre la protection des espèces et certaines activités de loisir est rompu ». Ce faisant, elle reconnaît que la directive, tout en visant un niveau de protection élevé, n’exclut pas par principe les activités de loisirs telles que la chasse, mais cherche à les concilier avec les impératifs de conservation.

En l’espèce, la Cour constate que durant la période automnale, les chasseurs ne pouvaient capturer qu’une « quantité négligeable d’oiseaux ». Dans ces conditions très particulières, la chasse d’automne ne peut être regardée comme une alternative viable. Cette reconnaissance constitue une avancée significative pour les États membres qui, en raison de leur situation spécifique, se trouvent dans une position où l’application stricte des périodes de chasse générales priverait de fait leurs ressortissants de toute possibilité de pratiquer cette activité pour certaines espèces. Le principe de la dérogation pour la chasse printanière est ainsi admis, mais sa mise en œuvre est soumise à un contrôle des plus stricts.

II. Le contrôle strict de la proportionnalité comme limite à la mise en œuvre de la dérogation

Bien qu’elle admette en principe que l’absence de solution satisfaisante puisse être caractérisée, la Cour de justice encadre cette possibilité par un contrôle de proportionnalité rigoureux. Elle applique ce principe à l’ampleur de la chasse printanière autorisée (A), ce qui la conduit in fine à sanctionner une dérogation jugée excessive au regard des objectifs de conservation de la directive (B).

A. L’application du principe de proportionnalité à l’ampleur de la chasse printanière autorisée

Ayant ouvert la porte à une dérogation, la Cour s’attache immédiatement à en vérifier les modalités concrètes d’application. Elle juge que l’autorisation de chasser au printemps n’ouvre pas un droit illimité mais doit être « proportionnée aux besoins qui la justifient » et ne permettre l’ouverture de la chasse « que dans la stricte mesure où elle est nécessaire ». Le cœur du raisonnement de la Cour réside alors dans l’analyse quantitative des prélèvements effectués.

La Cour relève que la chasse printanière autorisée par l’État membre « se traduit par une mortalité trois fois supérieure, avec environ 15 000 oiseaux tués, pour la caille des blés, et huit fois supérieure, avec environ 32 000 oiseaux tués, pour la tourterelle des bois, à celle qui résulte de la pratique de la chasse pendant la période automnale ». Face à un tel différentiel, elle conclut qu’une telle pratique « ne constitue pas une solution adéquate et strictement proportionnée à l’objectif de conservation des espèces poursuivi par la directive ». Le contrôle de proportionnalité devient ainsi un outil puissant pour s’assurer que la dérogation ne sert pas à contourner l’interdiction de principe, mais bien à rétablir un équilibre qui avait été rompu.

B. La sanction d’une dérogation jugée disproportionnée au regard des objectifs de la directive

La conséquence logique de ce contrôle de proportionnalité est la constatation du manquement. L’État membre, en autorisant des prélèvements printaniers d’une ampleur sans commune mesure avec les prélèvements automnaux quasi-inexistants, a outrepassé les limites strictes du régime dérogatoire. La dérogation n’a pas été utilisée pour compenser de manière mesurée l’absence de chasse automnale, mais pour instaurer une saison de chasse principale durant une période de vulnérabilité particulière pour les espèces.

La Cour réaffirme ainsi que toute dérogation doit être d’interprétation stricte et que sa mise en œuvre doit rester compatible avec l’objectif de maintien des populations d’oiseaux à un niveau satisfaisant. Le fait que les espèces concernées ne soient pas classées comme menacées ne suffit pas à justifier des prélèvements disproportionnés. En écartant également l’argument de l’État membre fondé sur la confiance légitime qui serait née des négociations d’adhésion, la Cour rappelle la primauté du droit de l’Union et l’impossibilité de se prévaloir d’assurances politiques pour déroger aux obligations claires d’une directive. Le manquement est donc caractérisé, non pas en raison du principe même d’une chasse printanière, mais en raison de ses modalités excessives.

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