Cour de justice de l’Union européenne, le 11 avril 2013, n°C-138/12

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions de remboursement d’une taxe sur la valeur ajoutée indûment facturée. En l’espèce, un assujetti avait adressé une facture pour la vente et la rénovation d’un bâtiment, en y incluant par erreur une taxe sur la valeur ajoutée alors que l’opération en était exonérée. Le destinataire de la facture a tenté d’exercer son droit à déduction pour cette taxe, mais l’administration fiscale le lui a refusé par un avis rectificatif devenu définitif, au motif que la taxe n’était pas due. Suite à cette décision, le fournisseur, qui avait versé la taxe collectée au trésor public, en a demandé le remboursement à l’administration fiscale. Celle-ci a rejeté sa demande, considérant que la taxe était exigible du seul fait de sa mention sur la facture et que le fournisseur n’avait pas suivi la procédure nationale de correction de la facture. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour de justice, relevant que le risque de perte de recettes fiscales était écarté et que la procédure de rectification de la facture n’était plus applicable au fournisseur en vertu du droit national, précisément parce qu’un avis définitif avait été rendu concernant le destinataire.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée s’oppose à ce qu’une administration nationale refuse à un fournisseur le remboursement d’une taxe facturée par erreur, au prétexte que la facture n’a pas été rectifiée, alors même que le risque de perte de recettes fiscales est définitivement écarté par le refus du droit à déduction au client et que cette procédure de rectification est devenue impossible à mettre en œuvre pour le fournisseur.

À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un tel refus de remboursement par l’administration fiscale. La Cour ajoute que ce principe, tel que concrétisé par sa jurisprudence, peut être invoqué directement par un assujetti pour faire échec à une disposition de droit national qui subordonne le remboursement à une condition de rectification devenue impossible à satisfaire dans de telles circonstances.

Cette décision conduit à examiner la portée du principe de neutralité comme condition essentielle au remboursement de la taxe (I), avant d’analyser la primauté de ce principe sur les exigences procédurales nationales (II).

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**I. Le principe de neutralité, fondement du droit au remboursement de la taxe**

La Cour rappelle que la mécanique de la taxe sur la valeur ajoutée repose sur le principe de neutralité, lequel doit guider l’interprétation des règles relatives à sa régularisation. Ce faisant, elle lie le sort de la taxe indûment facturée à l’absence de risque pour les recettes fiscales (A), tout en réaffirmant que la finalité des dispositions européennes prime sur une application littérale (B).

**A. L’élimination du risque de perte fiscale comme critère déterminant**

Le raisonnement de la Cour s’articule autour de la finalité de l’article 203 de la directive 2006/112, qui rend redevable de la taxe toute personne la mentionnant sur une facture. La Cour souligne que cette disposition « vise à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer le droit à déduction ». Ainsi, l’obligation pour le fournisseur de verser la taxe facturée, même par erreur, sert de garantie contre un exercice indu du droit à déduction par le client.

En l’espèce, ce risque était inexistant. L’administration fiscale avait elle-même consolidé cette situation en refusant, par une décision définitive, le droit à déduction au destinataire de la facture. Dès lors que le trésor public est protégé de toute perte, le maintien de la créance fiscale à l’encontre du fournisseur perd sa justification principale. La Cour estime donc que la cause de l’exigibilité de la taxe ayant disparu, ses effets doivent également cesser, ouvrant ainsi la voie au remboursement.

**B. La nécessaire régularisation de la taxe indûment facturée**

La Cour rappelle qu’il appartient aux États membres de prévoir dans leur ordre juridique interne « la possibilité de régularisation de toute taxe indûment facturée ». Si la bonne foi de l’émetteur de la facture est une condition souvent requise, elle devient secondaire lorsque le risque fiscal est totalement écarté. En pareille hypothèse, le principe de neutralité exige que la taxe puisse être corrigée sans que cette régularisation ne soit soumise au pouvoir discrétionnaire de l’administration.

La Cour précise que lorsque l’émetteur de la facture a « en temps utile, éliminé complètement le risque de perte de recettes fiscales, le principe de neutralité de la TVA exige que la TVA indûment facturée puisse être corrigée ». En liant le droit à régularisation à cette seule condition objective, la Cour garantit que le système de la taxe sur la valeur ajoutée ne pèse pas sur les opérateurs économiques, conformément à sa nature d’impôt sur la consommation finale.

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**II. La primauté du principe de neutralité sur les contraintes procédurales nationales**

La solution retenue par la Cour ne se limite pas à une simple interprétation des textes ; elle affirme avec force la prévalence des principes fondamentaux du droit de l’Union sur les modalités procédurales nationales lorsque celles-ci créent une situation inéquitable. Cette primauté se manifeste par la censure d’une condition de forme devenue impossible à remplir (A) et par la reconnaissance de l’invocabilité directe du principe de neutralité (B).

**A. La mise à l’écart d’une condition procédurale disproportionnée**

Le droit national subordonnait le remboursement de la taxe à la rectification préalable de la facture erronée. La Cour reconnaît qu’une telle condition est, en principe, légitime car elle vise précisément à assurer l’élimination du risque de perte de recettes. Cependant, elle juge que les mesures nationales « ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs ainsi poursuivis ».

Or, dans les faits de l’espèce, la procédure de rectification était devenue inapplicable pour le fournisseur, en conséquence directe d’une décision de l’administration fiscale elle-même. Exiger du fournisseur qu’il accomplisse une formalité impossible revenait à lui refuser purement et simplement son droit au remboursement. La Cour considère qu’une telle situation rend l’exercice du droit « impossible ou excessivement difficile », violant ainsi non seulement le principe de neutralité mais également le principe d’effectivité. La condition nationale, bien que légitime dans son but, devient donc disproportionnée et doit être écartée.

**B. L’affirmation de l’effet direct du principe de neutralité**

En réponse à la troisième question préjudicielle, la Cour confirme que le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée peut être invoqué par un assujetti pour s’opposer à l’application d’une règle nationale contraire. Elle juge que, dans des circonstances comme celles de l’espèce, ce principe met à la charge de l’État membre « une obligation inconditionnelle et suffisamment précise » pour être invoqué par un particulier devant ses juridictions nationales.

Cette reconnaissance d’un effet direct est capitale. Elle offre une protection juridique concrète à l’assujetti confronté à une situation où l’application stricte du droit national aboutirait à une violation manifeste d’un principe fondamental du système commun de la taxe sur la valeur ajoutée. La Cour donne ainsi aux juridictions nationales le pouvoir et le devoir d’écarter une norme procédurale pour assurer la pleine efficacité du droit de l’Union, garantissant que la neutralité de la taxe ne reste pas un vœu pieux face à la rigidité des procédures administratives.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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