Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne précise les critères de classement tarifaire des moniteurs multifonctions dans la nomenclature combinée. En l’espèce, une société importatrice contestait le classement tarifaire d’écrans à cristaux liquides de grande taille, disposant de multiples connectiques leur permettant d’afficher des signaux provenant tant d’une machine de traitement de l’information que d’autres sources vidéo, mais ne contenant pas de syntoniseur de télévision. Ces écrans étaient principalement destinés à un usage professionnel pour l’affichage d’informations dans des espaces publics.
L’autorité douanière nationale avait classé ces marchandises dans la sous-position 8528 59 40 en tant qu’« autres moniteurs », tandis que la société soutenait qu’ils relevaient de la sous-position 8528 51 00, relative aux moniteurs « des types utilisés exclusivement ou principalement dans un système automatique de traitement de l’information ». Saisie en appel, la Cour d’appel d’Amsterdam avait confirmé le premier classement en se fondant sur le fait que les écrans, en raison de leur taille, n’étaient pas conçus pour un travail à proximité, critère qu’elle jugeait déterminant. La Cour suprême des Pays-Bas, confrontée au pourvoi, a alors interrogé la Cour de justice sur la portée de ce critère d’aptitude au travail de proximité. La question de droit posée était de savoir si cette seule caractéristique suffisait à exclure un moniteur de la sous-position 8528 51 00, indépendamment de ses autres propriétés objectives.
À cette question, la Cour de justice répond que la détermination de la fonction principale d’un moniteur multifonctions impose un examen de l’ensemble de ses caractéristiques et propriétés objectives. Elle juge que si une importance particulière doit être accordée à la conception pour un travail à proximité, ce critère ne saurait être, à lui seul, déterminant. La Cour écarte par ailleurs la pertinence de l’identité entre l’utilisateur de l’écran et l’opérateur de la machine. Cette décision clarifie ainsi la méthode d’évaluation de la fonction principale (I) tout en délimitant la portée des instruments interprétatifs pertinents (II).
I. La clarification de la méthode d’évaluation de la fonction principale
La Cour précise l’articulation des critères de classement en rejetant l’application d’un critère absolu (A) au profit d’une approche globale fondée sur la performance et la polyvalence de l’appareil (B).
A. Le rejet d’un critère de classement absolu
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le caractère dirimant du critère de l’aptitude d’un moniteur à un « travail à proximité ». La Cour de justice, tout en reconnaissant l’importance de cet élément, refuse de lui conférer un caractère absolu et exclusif. Elle s’appuie sur les notes explicatives du Système harmonisé qui indiquent que les moniteurs de la sous-position 8528 51 00 sont fréquemment conçus avec des « caractéristiques ergonomiques […] destinées à permettre à l’opérateur de travailler sans fatigue pendant de longues périodes à leur proximité ».
Toutefois, la Cour souligne qu’interpréter cette aptitude comme une exigence absolue conduirait à une modification de la portée même de la nomenclature. Elle relève qu’une telle interprétation « aurait pour conséquence que des moniteurs, dont les organes de connexion ne permettraient leur raccordement qu’à une machine automatique de traitement de l’information, mais qui ne conviendraient pas au travail à proximité, ne pourraient être classés dans la sous-position 8528 51 00 de la [nomenclature combinée], alors même que, manifestement, ils seraient conçus pour être utilisés exclusivement dans un système automatique de traitement de l’information ». Le raisonnement met ainsi en lumière une contradiction logique qui justifie d’écarter une application mécanique de ce seul critère, celui-ci ne pouvant suffire à déterminer l’usage principal d’un produit.
B. La consécration d’une appréciation globale et fonctionnelle
En lieu et place d’un critère unique, la Cour réaffirme la nécessité de procéder à une évaluation d’ensemble. Le classement doit résulter d’une analyse complète des caractéristiques objectives de la marchandise. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il y a lieu « d’apprécier, eu égard à l’ensemble des caractéristiques et des propriétés objectives du moniteur concerné, tant le degré auquel celui-ci est susceptible d’exercer plusieurs fonctions que le niveau de performance qu’il atteint dans l’exercice de ces fonctions ». L’enjeu est de déterminer quelle est la fonction principale qui justifie le classement.
Cette approche fonctionnelle impose de comparer l’aptitude du moniteur à être utilisé avec un système de traitement de l’information et sa performance dans ce rôle, face à ses autres capacités. La Cour ajoute que l’identité de l’utilisateur, à savoir si la personne qui consulte l’écran est la même que celle qui opère la machine, n’est pas un élément pertinent, car elle « ne constitue pas une caractéristique ou une propriété objective dudit moniteur ». La solution privilégie donc une analyse technique et objective du produit lui-même, détachée des conditions concrètes de son utilisation.
II. La portée délimitée des instruments interprétatifs
L’arrêt offre également une leçon sur la hiérarchie des sources en droit douanier, en précisant la valeur relative des notes explicatives (A) et en neutralisant l’incidence des accords internationaux sur la méthodologie de classement (B).
A. La valeur relative des notes explicatives
La Cour rappelle le statut des notes explicatives du Système harmonisé. Celles-ci, bien qu’elles « contribuent de manière importante à l’interprétation de la portée des différentes positions tarifaires », n’ont pas de force obligatoire. Leur teneur doit être conforme aux dispositions de la nomenclature combinée et ne saurait en modifier la portée. Dans le cas d’espèce, la Cour se livre à une lecture minutieuse de la note explicative relative à la position 8528.
Elle distingue les énumérations indicatives, introduites par le terme « notamment », des descriptions qui semblent s’appliquer à l’ensemble du groupe de produits. Cependant, même face à une caractéristique présentée comme générale, telle que la conception pour un travail de proximité, la Cour juge que la note ne peut imposer une « exigence absolue ». Ce raisonnement réaffirme la primauté du texte de la nomenclature elle-même et démontre que les outils d’interprétation, aussi utiles soient-ils, ne peuvent conduire à des résultats contraires à la logique et à la structure du tarif douanier.
B. La neutralisation des accords internationaux sur le classement
La requérante au principal invoquait l’Accord sur le commerce des produits des technologies de l’information (ATI) pour soutenir sa demande de classement dans la sous-position bénéficiant d’une exemption de droits. La Cour, tout en rappelant l’obligation d’interpréter le droit de l’Union en conformité avec les accords internationaux, opère une distinction fondamentale entre les règles de classement et les règles relatives au niveau des droits de douane.
Elle juge que l’ATI, qui a pour objet d’éliminer les droits de douane, « n’affecte ni ne modifie les caractéristiques techniques et les propriétés objectives en fonction desquelles sont classées les marchandises ». En d’autres termes, un accord prévoyant un traitement tarifaire favorable pour certains produits n’a pas d’incidence sur la méthodologie de classement elle-même, laquelle reste exclusivement régie par les règles de la nomenclature combinée. La Cour confirme ainsi une stricte séparation entre la détermination de la nature d’un produit et le régime fiscal qui lui est appliqué, empêchant que des considérations économiques ou commerciales ne viennent altérer la rigueur technique du classement tarifaire.