L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, traite de la classification fiscale des produits du tabac au regard de la directive 2011/64/UE. En l’espèce, une société importatrice en Lituanie a déclaré des produits du tabac dans la catégorie des cigares et cigarillos. L’administration fiscale nationale a toutefois procédé à une requalification de ces marchandises en cigarettes, entraînant l’application d’un régime d’accise plus élevé. Cette décision était motivée par le fait que les produits, bien que munis d’une cape extérieure en tabac naturel, comportaient une couche supplémentaire de papier au niveau du filtre, leur conférant une apparence similaire à celle des cigarettes.
La société importatrice a obtenu gain de cause en première instance puis en appel, les juridictions nationales ayant annulé la décision de l’administration fiscale. Saisie d’un pourvoi par cette dernière, la Cour administrative suprême de Lituanie a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à clarifier l’interprétation de la directive. Il s’agissait de déterminer si des rouleaux de tabac munis d’une cape en tabac naturel, mais partiellement recouverts d’une couche de papier au niveau du filtre au point de ressembler visuellement à des cigarettes, devaient être classés comme « cigares ou cigarillos » au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2011/64.
À cette interrogation, la Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que de tels produits relèvent bien de la catégorie des cigares ou cigarillos. Selon elle, la présence d’une cape extérieure en tabac naturel constitue le critère matériel déterminant et suffisant pour cette classification, conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive. La ressemblance visuelle avec une cigarette, induite par une couche de papier n’affectant pas la partie consumée du produit, est jugée sans pertinence pour écarter l’application de ce critère.
Cette solution conduit à consacrer une lecture stricte des critères de classification posés par la directive (I), ce qui a pour effet de neutraliser les arguments fondés sur l’apparence du produit ou sur des nomenclatures externes au droit fiscal (II).
I. La consécration d’un critère de classification textuel et matériel
La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation littérale et systémique de la directive 2011/64. Elle établit que la nature de la cape extérieure constitue le critère premier et essentiel de la distinction entre cigares et cigarettes (A), rendant inopérante l’application de toute caractéristique additionnelle non expressément prévue par le texte pour les produits concernés (B).
A. La prééminence de la nature de la cape extérieure
Le raisonnement de la Cour repose sur une analyse précise de la structure de la directive. L’article 3 définit les cigarettes de manière résiduelle comme étant les rouleaux de tabac qui ne sont pas des cigares ou des cigarillos au sens de l’article 4. Ce dernier article distingue, en son paragraphe 1, deux types de produits : ceux munis d’une cape en tabac naturel (alinéa a) et ceux munis d’une cape en tabac reconstitué (alinéa b). La Cour en déduit que « la matière dont est faite cette cape extérieure constitue le critère essentiel sur le fondement duquel la directive 2011/64 opère la distinction entre la catégorie des cigares ou cigarillos et celle des cigarettes ».
En se conformant strictement au libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), la Cour constate que la seule condition matérielle exigée pour les produits en cause est d’être munis d’une « cape extérieure en tabac naturel ». Dès lors qu’un produit satisfait à cette exigence, il doit, en principe, être classé dans la catégorie des cigares ou cigarillos. La présence d’un élément additionnel, tel qu’une feuille de papier sur le filtre, ne saurait suffire à remettre en cause cette classification si le critère principal est rempli. Cette approche assure une sécurité juridique en liant la qualification fiscale à une caractéristique objective et facilement identifiable du produit.
B. Le rejet des caractéristiques additionnelles non prévues par le texte
La Cour renforce son analyse en procédant à une comparaison entre les alinéas a) et b) de l’article 4, paragraphe 1. Elle relève que, pour les produits munis d’une cape en tabac reconstitué, le législateur a prévu des critères supplémentaires stricts relatifs à la masse, à la circonférence et à la couleur de la cape. Ces exigences visent précisément à distinguer ces produits des cigarettes, avec lesquelles ils partagent une plus grande propension à la ressemblance. A contrario, l’absence de telles conditions pour les produits dotés d’une cape en tabac naturel, visés à l’alinéa a), démontre que le législateur a considéré cette caractéristique comme suffisante pour opérer la distinction.
Ainsi, la Cour refuse d’importer dans l’analyse de l’alinéa a) des critères non prévus par celui-ci. Elle écarte l’idée que la couche de papier puisse être une caractéristique pertinente, car le texte ne mentionne aucune condition relative à l’absence d’autres matériaux. De même, la condition selon laquelle le produit doit être « exclusivement destiné » à être fumé en l’état est interprétée à l’aune de ses propriétés de consommation. La Cour estime que la couche de papier sur le filtre ne modifie ni le goût, ni la vitesse de combustion, ni l’usage du produit, et ne remet donc pas en cause le fait qu’il est destiné à être fumé en tant que cigare.
II. La portée d’une interprétation stricte : le recul de l’apparence et des nomenclatures externes
En faisant prévaloir le critère textuel, la Cour de justice réduit considérablement l’influence des arguments fondés sur l’apparence du produit (A) et réaffirme l’autonomie du droit fiscal de l’Union vis-à-vis d’autres systèmes de classification comme la nomenclature douanière (B).
A. La neutralisation de l’argument de la ressemblance visuelle avec la cigarette
L’un des arguments principaux soulevés devant la juridiction de renvoi était que la ressemblance visuelle avec une cigarette devait conduire à une taxation en tant que telle, conformément à l’esprit du considérant 8 de la directive. Ce considérant énonce en effet qu’un produit ressemblant « à de nombreux égards à une cigarette » doit être traité comme telle. La Cour écarte cet argument en rappelant la hiérarchie des normes : un considérant a une fonction explicative mais « ne saurait justifier de s’affranchir des définitions retenues par le législateur de l’Union » dans le corps même du texte.
La Cour estime que faire prévaloir une appréciation subjective de la ressemblance visuelle sur les critères objectifs et précis de l’article 4 serait contraire aux objectifs de la directive, qui visent à établir un régime fiscal harmonisé, prévisible et fondé sur les caractéristiques propres des produits. La ressemblance n’est pertinente que dans la mesure où elle est prise en compte par les critères techniques eux-mêmes, comme c’est le cas pour le tabac reconstitué. Pour le tabac naturel, le législateur a jugé que la nature de la cape était un différenciant suffisant.
B. L’affirmation de l’autonomie de la directive fiscale face à la nomenclature douanière
Enfin, la Cour est amenée à se prononcer sur la pertinence des notes explicatives de la nomenclature combinée (NC) du tarif douanier commun. Ces notes prévoient que les cigares ne doivent pas comporter de « couche supplémentaire recouvrant partiellement la cape extérieure ». L’administration fiscale s’appuyait sur cette définition pour justifier sa position. La Cour rejette fermement cette approche en soulignant que la directive 2011/64 est un texte autonome.
Elle précise que, contrairement à d’autres directives en matière d’accise, celle-ci « n’opère pas de renvoi aux codes de la nomenclature combinée pour définir les tabacs manufacturés qui relèvent de son champ d’application ». Par conséquent, les définitions et notes explicatives propres au droit douanier sont inapplicables pour l’interprétation du droit fiscal harmonisé des tabacs. Cet arrêt réaffirme ainsi un principe important de l’interprétation du droit de l’Union : en l’absence de renvoi explicite, chaque corpus juridique conserve son autonomie et ses propres définitions, garantissant ainsi la cohérence et la spécificité de chaque politique menée par l’Union.