Cour de justice de l’Union européenne, le 11 avril 2024, n°C-114/23

La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt rendu le 11 avril 2024, précise les limites procédurales du mécanisme de renvoi préjudiciel. Ce litige porte sur la possibilité de contester la régularité de la nomination de magistrats polonais lors de la phase d’exécution des peines. Plusieurs personnes ont fait l’objet de condamnations définitives par le Tribunal régional de Varsovie le 28 décembre 2022, le 28 novembre 2022 et le 9 février 2023. Une autre condamnation a été prononcée par la Cour d’appel de Varsovie le 30 décembre 2022 pour des faits de violences sur un mineur. Le juge de l’exécution s’interroge sur l’indépendance des magistrats ayant rendu ces décisions en raison de leur mode de nomination par le Conseil national de la magistrature. La juridiction de renvoi demande si le droit de l’Union permet d’écarter ces décisions définitives pour garantir le droit à un tribunal établi par la loi. La Cour de justice juge ces demandes irrecevables car les questions posées ne sont pas indispensables à la solution du litige dont le juge est saisi. Il convient d’analyser l’irrecevabilité du renvoi au stade de l’exécution des peines avant d’étudier la préservation nécessaire du principe de sécurité juridique.

I. L’irrecevabilité du renvoi préjudiciel au stade de l’exécution des peines

L’interprétation sollicitée par la juridiction nationale doit présenter un lien direct avec la solution du litige pendant devant elle pour être considérée comme recevable. La Cour rappelle que la décision préjudicielle doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire en cours. Or, le juge de l’exécution n’est saisi que de mesures matérielles et ne dispose d’aucune compétence pour réviser le fond des condamnations pénales. Cette absence de pouvoir juridictionnel pour annuler les titres exécutoires rend les interrogations sur la composition de la juridiction de jugement purement théoriques.

A. L’absence de nécessité de l’interprétation pour le juge de l’exécution

La Cour de justice souligne que la justification du renvoi préjudiciel réside dans le « besoin inhérent à la solution effective d’un litige » actuel. Dans le cadre des procédures polonaises, le juge de l’exécution doit simplement adopter des mesures techniques comme l’ordre d’incarcération ou l’émission d’un mandat d’arrêt. L’interprétation des règles relatives à l’indépendance des juges n’influence pas directement l’adoption de ces mesures d’exécution précises prévues par le code national. Dès lors, les questions posées visent à obtenir une opinion consultative sur une étape de la procédure pénale qui est déjà définitivement close.

B. La compétence limitée de l’autorité saisie au regard du droit interne

Le droit procédural national ne confère pas au juge de l’exécution le pouvoir d’apprécier la légalité des formations de jugement ayant rendu les décisions définitives. La Cour observe que la juridiction de renvoi ne fait état d’aucune disposition interne lui permettant de contrôler la conformité des arrêts de condamnation. Ses compétences sont strictement limitées à l’adoption des mesures prévues par le code d’exécution des peines sans possibilité de remise en cause du titre. Une réponse de la Cour sur l’indépendance des juges de fond serait donc sans utilité concrète pour l’exercice des missions de ce juge.

Le constat de cette incompétence fonctionnelle conduit naturellement à examiner comment la Cour protège l’équilibre entre le droit européen et la stabilité des décisions de justice.

II. La préservation nécessaire du principe de sécurité juridique

Le mécanisme de la coopération préjudicielle ne saurait être utilisé pour contourner l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions pénales devenues définitives. La Cour estime que les questions posées ont « intrinsèquement trait à une étape antérieure » aux procédures d’exécution qui a été définitivement terminée. Le respect de la sécurité juridique impose que les décisions de justice ne puissent plus être remises en cause une fois les voies de recours épuisées. Cette solution garantit la stabilité du système judiciaire en évitant une réouverture perpétuelle des débats sur la validité des nominations des magistrats.

A. La protection de l’autorité de la chose jugée en matière pénale

L’irrévocabilité des décisions définitives constitue un principe général du droit de l’Union qui limite les possibilités de contestation ultérieure devant le juge national. Les condamnations prononcées par le Tribunal régional de Varsovie et la Cour d’appel de Varsovie ont acquis un caractère définitif faute de contestation régulière. La Cour refuse de transformer le juge de l’exécution en une instance de contrôle de la validité constitutionnelle ou européenne des jugements de fond. Cette approche préserve la confiance des citoyens dans la force exécutoire des décisions judiciaires passées en force de chose jugée.

B. Les limites de la mission juridictionnelle de la Cour de justice

La Cour de justice doit veiller à ce que ses arrêts préjudiciels ne soient pas sollicités pour fournir des appréciations générales déconnectées des besoins réels. Les demandes introduites par le juge polonais excèdent le cadre de la mission confiée à la Cour par l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union. En déclarant ces demandes irrecevables, la Cour rappelle aux juridictions nationales qu’elles doivent démontrer l’utilité directe de la question pour le litige. Elle évite ainsi une immixtion injustifiée dans l’organisation de l’exécution des peines lorsque celle-ci ne permet plus de modifier la décision initiale.

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Hassan KOHEN
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