Par un arrêt en date du 11 avril 2024, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa neuvième chambre, a rendu une décision préjudicielle clarifiant les règles de compétence judiciaire en matière de contrats de consommation. En l’espèce, une banque établie en Pologne a engagé une action en paiement contre un consommateur, ressortissant d’un État tiers, au titre d’un contrat de crédit. La difficulté procédurale résultait de l’impossibilité de localiser ce défendeur, dont le dernier domicile connu se situait en Pologne, mais qui ne résidait plus à l’adresse indiquée lors de la conclusion du contrat. Les tentatives de signification de l’acte introductif d’instance s’étant révélées infructueuses, la juridiction polonaise a désigné un tuteur pour représenter le défendeur absent, conformément à son droit national. Saisie du litige, cette juridiction a exprimé des doutes quant à sa propre compétence internationale. Elle s’interrogeait sur la norme applicable pour déterminer le for compétent : devait-elle appliquer les règles de son droit interne, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1215/2012, au motif que le domicile actuel du défendeur était inconnu et potentiellement situé hors de l’Union, ou devait-elle au contraire se fonder sur les dispositions protectrices du même règlement ? Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si, en l’absence de certitude sur le domicile actuel d’un consommateur défendeur, mais dont le dernier domicile connu était dans un État membre, les règles de compétence spéciales du règlement n° 1215/2012 demeuraient applicables. La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que l’incertitude sur la localisation du défendeur ne suffit pas à écarter les règles de compétence de l’Union. Elle précise que, faute d’indices probants établissant que le consommateur est domicilié hors de l’Union, la compétence est régie par l’article 18, paragraphe 2, du règlement et attribuée à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le dernier domicile connu du défendeur.
I. L’extension de la compétence spéciale en faveur du consommateur au domicile inconnu
La décision de la Cour de justice confirme la prééminence des règles de compétence unifiées du règlement Bruxelles I bis, même dans des circonstances factuelles incertaines. Elle écarte ainsi l’application subsidiaire des lois nationales (A) en consacrant le critère du dernier domicile connu comme un point de rattachement effectif pour la protection du consommateur (B).
A. Le rejet de l’application du droit national en cas de doute sur la localisation du défendeur
La Cour rappelle que l’application des règles de compétence nationales, prévue à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012, constitue une exception au principe de la compétence du domicile du défendeur au sein de l’Union. Cette disposition n’est activée que « si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre ». La Cour interprète cette condition de manière stricte. Elle considère que la simple absence d’informations sur le domicile actuel d’un défendeur, ou les doutes quant à sa présence sur le territoire de l’Union, ne suffisent pas à établir qu’il est domicilié dans un État tiers. Pour que les règles de compétence nationales puissent s’appliquer, la juridiction saisie doit disposer d’« indices probants lui permettant de conclure que ce défendeur est effectivement domicilié en dehors du territoire de l’Union ». Cette approche s’avère particulièrement protectrice lorsque le défendeur est un consommateur, la Cour soulignant qu’« un tel consommateur puisse encourir le risque de perdre cette protection en cas d’application des règles de compétence du droit national ». En l’absence de tels indices, le juge doit continuer à appliquer les règles de compétence du règlement. La nationalité du consommateur, ressortissant d’un État tiers, est jugée sans pertinence, la Cour rappelant que le règlement se fonde sur la notion de domicile et non de nationalité, conformément à son article 4, paragraphe 1.
B. La consécration du dernier domicile connu comme critère de rattachement subsidiaire
Face à l’impossibilité d’identifier le domicile actuel du défendeur, la Cour de justice devait fournir une solution pragmatique pour éviter un déni de justice. Plutôt que de laisser le demandeur sans for compétent, elle étend la portée de l’article 18, paragraphe 2, du règlement, qui dispose que l’action contre un consommateur doit être portée devant les juridictions de l’État membre où il est domicilié. En s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Hypoteční banka* du 17 novembre 2011, la Cour juge que cette règle « vise également le dernier domicile connu dudit consommateur ». Ce faisant, elle érige le dernier domicile connu en un critère de rattachement subsidiaire, mais autonome, garantissant l’application du for protecteur du consommateur. Cette interprétation téléologique assure que la protection accordée par le règlement n’est pas rendue illusoire par la seule disparition du défendeur. La compétence est ainsi fixée dans l’environnement juridique qui était familier au consommateur au moment où il entretenait encore des liens stables avec un État membre. La solution offre une prévisibilité bienvenue tant pour le créancier, qui sait où agir, que pour le système judiciaire, qui dispose d’une règle claire pour traiter les situations de défendeur introuvable.
II. La consolidation d’un équilibre entre la protection de la partie faible et l’effectivité du droit
En apportant une réponse claire à une situation procédurale complexe, la Cour de justice renforce la cohérence du droit judiciaire européen. La solution retenue assure une garantie d’accès au juge pour le professionnel (A), tout en préservant les droits fondamentaux du consommateur absent (B).
A. La garantie d’un for compétent pour le créancier professionnel
L’arrêt commenté, bien que centré sur la protection du consommateur, prend également en considération la situation du demandeur professionnel. En l’absence de la solution dégagée par la Cour, le créancier se serait heurté à une impasse procédurale. L’impossibilité de localiser le débiteur aurait pu le priver de tout for compétent pour recouvrer sa créance, créant un vide juridique préjudiciable à la sécurité des transactions commerciales. En rattachant la compétence au dernier domicile connu, la Cour offre au professionnel une voie d’action claire et prévisible, conforme à l’objectif de bonne administration de la justice. Cette solution évite que le silence du règlement sur cette hypothèse précise ne paralyse l’action en justice. Elle permet ainsi de concilier la protection de la partie faible avec le droit du créancier à un recours effectif, tel que garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La prévisibilité des règles de compétence, rappelée par la Cour comme un objectif majeur du règlement, se trouve ainsi renforcée au profit de toutes les parties.
B. La préservation des garanties procédurales pour le consommateur
La portée principale de cet arrêt réside dans le renforcement de la protection accordée au consommateur, même lorsque celui-ci est défaillant ou introuvable. En maintenant le litige dans le champ d’application du règlement Bruxelles I bis, la Cour assure que le consommateur bénéficiera de l’ensemble des garanties qu’il prévoit. Le choix de la juridiction de son dernier domicile connu n’est pas anodin : il s’agit du lieu avec lequel il avait les liens les plus étroits et où il est le plus susceptible d’organiser sa défense s’il venait à réapparaître. Cette solution est plus favorable que l’application de règles de compétence nationales qui pourraient s’avérer moins protectrices. Par ailleurs, bien que la Cour n’ait pas eu à répondre à la seconde question relative au rôle du tuteur, la solution adoptée garantit que la procédure se déroule dans un cadre juridique qui protège intrinsèquement les droits de la défense. Le maintien de la compétence spéciale de l’article 18, paragraphe 2, assure que toute décision rendue sera soumise aux mécanismes de reconnaissance et d’exécution du règlement, lesquels incluent des garanties pour le défendeur défaillant, notamment celles prévues à l’article 28 sur la signification des actes. L’arrêt confirme ainsi que la protection du consommateur est un principe directeur qui doit guider l’interprétation du règlement, y compris face à des difficultés pratiques de localisation du défendeur.