Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion de « communication au public » au sens du droit d’auteur. En l’espèce, l’exploitant d’un établissement hôtelier mettait à disposition de ses clients des postes de télévision dans les chambres ainsi que dans une salle de sport. Les programmes de chaînes de télévision publiques étaient captés puis retransmis à ces postes au moyen d’un réseau de distribution par câble propre à l’hôtel. Une société de gestion collective des droits d’auteur a engagé une action en justice contre cet exploitant, estimant que cette pratique constituait une communication au public non autorisée.
Le litige a d’abord été porté devant le tribunal régional de Munich I, qui a fait droit à la demande de la société de gestion collective en interdisant à l’exploitant de poursuivre cette diffusion. L’exploitant a fait appel de ce jugement devant le tribunal régional supérieur de Munich. Devant cette juridiction, l’exploitant soutenait être en droit de procéder à cette diffusion, arguant détenir les licences nécessaires pour la retransmission par câble, acquises auprès d’autres organismes de gestion. La société de gestion collective adverse rétorquait que la détention de telles licences était sans pertinence, l’acte de diffusion constituant en soi une communication au public distincte et soumise à autorisation. Face à cette opposition, la juridiction d’appel a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle.
Il s’agissait de déterminer si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE devait être interprété en ce sens que la fourniture de postes de télévision dans un hôtel, accompagnée d’une retransmission du signal par un réseau de câbles interne, constitue une communication au public, alors même que cette retransmission par câble serait en elle-même autorisée par une licence. La Cour de justice de l’Union européenne a répondu par l’affirmative. Elle juge que cette pratique constitue bien une « communication au public » au sens de la directive.
La solution de la Cour s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence, consolidant une interprétation extensive de la notion de communication au public (I), tout en clarifiant utilement la portée des autorisations partielles détenues par les intermédiaires (II).
***
**I. La consolidation d’une interprétation extensive de la communication au public**
La Cour de justice rappelle avec constance les critères permettant de qualifier une communication au public. Elle confirme ainsi que l’intervention délibérée de l’hôtelier constitue un acte de communication (A) à destination d’un public spécifique (B).
**A. L’intervention délibérée de l’hôtelier constitutive d’un acte de communication**
Pour qu’il y ait « communication au public », il faut avant tout un « acte de communication ». La Cour de justice rappelle que l’utilisateur « réalise un “acte de communication” lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée ». En l’espèce, l’exploitant de l’établissement hôtelier ne se contente pas de fournir des installations physiques. Il distribue délibérément un signal à travers son propre réseau, permettant à sa clientèle de visionner les œuvres diffusées.
Cette intervention est essentielle car, sans elle, les clients ne pourraient pas jouir de l’œuvre dans les chambres ou la salle de sport. La Cour écarte donc l’argument selon lequel il s’agirait d’une « simple fourniture d’installations », au sens du considérant 27 de la directive 2001/29. En effet, dès lors que l’établissement « distribue le signal à ses clients logés dans les chambres de celui-ci, il s’agit d’une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, sans qu’il importe de savoir quelle est la technique de transmission du signal utilisée ». Le rôle actif de l’hôtelier est donc déterminant pour qualifier l’opération.
**B. La clientèle de l’hôtel qualifiée de public nouveau**
Le second critère cumulatif de la communication au public réside dans la présence d’un « public ». La Cour confirme que les clients d’un établissement hôtelier remplissent cette condition. Ils constituent un « nombre indéterminé de destinataires potentiels » et représentent un « nombre de personnes assez important ». Leur accès aux œuvres est une conséquence directe du service offert par l’établissement, lequel poursuit un but lucratif.
Plus encore, ce public est qualifié de « public nouveau ». Il s’agit d’un public qui n’avait pas été pris en compte par le titulaire du droit d’auteur lors de l’autorisation initiale de la radiodiffusion. En effet, sans l’intervention de l’hôtelier, ces clients, « tout en se trouvant à l’intérieur de la zone de couverture de cette émission, ne pourraient, en principe, jouir de cette œuvre » dans le cadre privé de leur chambre. L’acte de l’hôtelier rend l’œuvre accessible à un cercle de personnes supplémentaire, ce qui justifie la nécessité d’une nouvelle autorisation de la part des titulaires de droits.
***
**II. La clarification de la portée des autorisations de retransmission**
La Cour de justice apporte une précision essentielle quant à l’articulation entre la qualification de l’acte et son éventuelle autorisation. Elle juge que l’existence d’une licence de retransmission est sans effet sur la qualification de communication au public (A), ce qui emporte des conséquences pratiques importantes pour les exploitants (B).
**A. L’inefficacité de la licence sur la qualification juridique de l’acte**
Le cœur de la question préjudicielle portait sur l’effet d’une licence de retransmission par câble détenue par l’exploitant. La Cour de justice tranche ce point de manière catégorique. Elle énonce que la circonstance qu’un contrat de licence ait été conclu « est sans pertinence sur le point de savoir si les retransmissions en cause constituent une communication au public ». L’existence d’une autorisation ne concerne pas la qualification juridique de l’acte, mais la légalité de sa mise en œuvre.
Autrement dit, l’analyse doit s’opérer en deux temps. Il faut d’abord déterminer si l’acte, par sa nature, constitue une communication au public. Si la réponse est affirmative, il convient ensuite de vérifier si l’opérateur a obtenu l’autorisation nécessaire des titulaires de droits pour cet acte spécifique. La licence de retransmission par câble ne saurait donc couvrir l’acte global de communication au public qui en résulte. Cette distinction met fin à toute confusion entre la qualification d’un acte et la question de son autorisation préalable.
**B. La portée de la solution pour les distributeurs d’œuvres**
Cette décision renforce la protection des auteurs et des titulaires de droits voisins, conformément à l’objectif d’un « niveau élevé de protection » visé par la directive 2001/29. Elle confirme que toute entité qui intervient dans la chaîne de diffusion pour donner accès à une œuvre à un public nouveau doit s’assurer de détenir les autorisations correspondantes pour l’ensemble de l’opération. Un exploitant hôtelier ne peut se prévaloir d’une licence technique partielle pour se soustraire à son obligation d’obtenir une licence pour l’acte de communication au public lui-même.
La solution a une portée générale pour tous les établissements qui offrent un service similaire, tels que les hôpitaux, les bars ou les transports publics. Ils doivent s’acquitter des redevances dues pour cette forme d’exploitation secondaire des œuvres. En définitive, l’arrêt garantit que les auteurs perçoivent une rémunération appropriée pour chaque utilisation de leurs œuvres, consolidant ainsi le droit exclusif qui leur est reconnu d’autoriser ou d’interdire toute communication au public.