Par une décision intervenue dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’étendue des obligations qui incombent à un État membre en matière de protection des zones spécialement désignées pour la conservation des oiseaux sauvages.
En l’espèce, la Commission européenne avait engagé une procédure à l’encontre d’un État membre au motif que celui-ci n’avait pas correctement transposé ni appliqué les exigences découlant de la directive concernant la conservation des oiseaux sauvages. Après avoir désigné des zones de protection spéciale sur son territoire, cet État n’aurait pas adopté le cadre réglementaire et administratif nécessaire pour garantir une protection efficace et une gestion durable de ces sites, conformément aux objectifs fixés par le droit de l’Union. La procédure précontentieuse n’ayant pas abouti à une mise en conformité de la part de l’État concerné, la Commission a saisi la Cour de justice d’un recours en manquement, lui demandant de constater la violation par cet État de ses obligations.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si la simple désignation formelle de zones de protection spéciale suffit à satisfaire aux obligations de conservation imposées par le droit de l’Union, ou si les États membres sont également tenus de mettre en place un ensemble de mesures juridiques actives et spécifiques visant à la protection effective de ces zones.
À cette question, la Cour de justice répond clairement que la seule désignation des sites ne saurait suffire. Elle constate que l’État membre a manqué à ses obligations en n’adoptant pas un régime juridique adéquat pour la gestion et la protection de ces zones. La Cour souligne que les États doivent prendre des mesures concrètes et positives pour atteindre les objectifs de conservation définis par les directives environnementales.
Cette décision précise ainsi le contenu des obligations pesant sur les États membres en matière de protection de la biodiversité, en insistant sur la nécessité d’une action normative concrète (I), tout en renforçant le contrôle juridictionnel exercé sur la mise en œuvre effective du droit de l’Union (II).
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I. La consécration d’une obligation de protection substantielle
La Cour de justice ne se limite pas à un contrôle formel des actes de transposition, mais examine si les mesures nationales garantissent une protection matérielle des sites désignés. Elle constate ainsi un manquement caractérisé par l’absence d’un cadre juridique efficace (A), ce qui confirme que la simple classification d’un territoire ne constitue qu’une étape préliminaire et insuffisante (B).
A. La caractérisation d’un manquement aux obligations environnementales
L’arrêt sanctionne l’inaction de l’État membre, considérant que celui-ci n’a pas respecté les exigences de la législation européenne. La Cour estime en effet qu’« en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour instaurer et mettre en œuvre un régime juridique cohérent, spécifique et complet susceptible d’assurer la gestion durable et la protection efficace des zones de protection spéciale désignées », l’État a violé ses obligations. Ce faisant, elle adopte une approche exigeante de la notion de manquement, qui ne résulte pas uniquement d’une transposition incorrecte, mais aussi d’une carence dans l’application pratique du droit de l’Union. La condamnation repose sur l’absence d’un dispositif normatif complet, démontrant que les obligations des directives ne sont pas de simples déclarations d’intention mais des impératifs d’action. L’État ne peut se contenter d’actes administratifs parcellaires ou de dispositions générales existantes ; il doit créer un arsenal juridique dédié.
B. L’insuffisance d’une simple désignation formelle des zones protégées
La décision met en lumière la distinction fondamentale entre l’obligation de classification des sites et celle de leur protection active. La désignation d’une zone de protection spéciale n’est que le point de départ du processus de conservation imposé par la directive « Oiseaux ». La Cour rappelle que cette désignation déclenche une série d’obligations positives, notamment l’adoption de mesures de conservation et de prévention contre les dégradations. En jugeant que l’absence d’un régime juridique complet constitue un manquement, la Cour transforme une obligation de moyens, qui consisterait à tendre vers la protection, en une obligation de résultat tangible, à savoir la mise en place effective d’un cadre normatif assurant cette protection. La valeur de cette décision réside dans son pragmatisme, en liant directement la validité de l’action étatique à son efficacité écologique potentielle.
II. La portée de l’exigence d’un cadre juridique spécifique
En définissant les contours du régime attendu, la Cour renforce la portée pratique des directives environnementales. Elle insiste sur la nécessité d’un cadre normatif qui soit non seulement complet mais aussi adapté (A), ce qui a des implications directes sur la manière dont la Commission et la Cour contrôlent désormais les politiques environnementales nationales (B).
A. L’impératif d’un régime juridique cohérent et complet
Les adjectifs utilisés par la Cour – « cohérent, spécifique et complet » – ne sont pas neutres et dessinent les contours du standard juridique requis. Un régime « complet » implique que tous les aspects de la gestion et de la protection des sites doivent être couverts, incluant les activités humaines, la prévention des perturbations et la restauration des habitats. Le caractère « spécifique » signifie que les mesures doivent être adaptées aux objectifs de conservation propres à chaque zone et aux espèces qu’elles abritent, excluant le recours à une législation environnementale trop générale. Enfin, la « cohérence » exige que les différentes normes adoptées s’articulent sans contradiction et poursuivent un objectif commun de protection durable. Cette triple exigence établit un cahier des charges précis pour les législateurs nationaux, les contraignant à une planification juridique rigoureuse et ciblée.
B. Les implications quant au contrôle des politiques environnementales des États membres
Cette décision illustre le rôle de la Cour comme garante de l’effectivité du droit de l’Union. En statuant sur l’absence d’un cadre juridique, elle ne se contente pas de vérifier l’existence d’une transposition littérale, mais s’aventure dans une appréciation qualitative de l’action administrative et législative de l’État. Cette approche renforce le pouvoir de contrôle de la Commission européenne, qui peut plus facilement identifier et poursuivre les manquements liés à une mise en œuvre déficiente. Par ailleurs, le fait que le recours soit « rejeté pour le surplus » montre que la Cour procède à un examen détaillé des griefs, n’accordant raison à la Commission que sur les points solidement établis. Cela confirme que son contrôle, bien que strict, reste fondé sur une analyse juridique précise et ne constitue pas une sanction automatique de l’État membre. La portée de l’arrêt est donc double : elle pousse les États à une action plus diligente tout en consolidant la légitimité du contrôle juridictionnel européen en matière environnementale.