Par cet arrêt, la Cour de justice des Communautés européennes se prononce sur la compatibilité de mesures fiscales nationales avec le droit communautaire de la libre prestation des services. La Cour était saisie d’un recours en manquement à l’encontre d’un État membre. La Commission des Communautés européennes reprochait à cet État d’entraver la libre prestation des services de transports maritimes.
L’État membre mis en cause avait instauré une législation instaurant des droits portuaires à des taux différenciés. Les navires effectuant une liaison entre deux ports nationaux bénéficiaient de taxes plus faibles que ceux assurant une liaison internationale. Cette distinction tarifaire concernait tant les navires de passagers que les navires de marchandises dans plusieurs ports majeurs. Une disparité de traitement similaire s’appliquait aux véhicules embarquant à bord de ferries, soumis à des droits pour les liaisons internationales mais en étant exemptés pour les liaisons domestiques. Enfin, les municipalités portuaires étaient autorisées à percevoir des redevances sur ces mêmes véhicules uniquement lorsqu’ils étaient à destination de l’étranger.
Saisie par la Commission, la Cour de justice devait déterminer si une telle différenciation tarifaire, fondée sur la nature nationale ou internationale de la liaison maritime, constituait une restriction à la libre prestation de services. Plus précisément, il s’agissait de savoir si ces dispositions nationales violaient l’article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86. Ce règlement vise à appliquer le principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers.
La Cour de justice répond par l’affirmative à cette question. Elle juge que la législation nationale litigieuse est contraire au droit communautaire. Elle déclare ainsi qu’« en maintenant en vigueur » un ensemble de droits et redevances portuaires discriminatoires, l’État membre « a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86 ». La solution de la Cour, qui se fonde sur une interprétation stricte de la notion de restriction, vient condamner une discrimination fondée sur la destination du service (I). Cette décision réaffirme ainsi le champ d’application très large du principe de non-discrimination en matière de prestations de services (II).
I. La condamnation d’une discrimination fondée sur la destination du service
La Cour de justice constate que la législation nationale crée une rupture d’égalité de traitement en défaveur des services de transport maritime internationaux. Cette discrimination, qui résulte directement des critères d’application des taxes portuaires (A), est appréciée par la Cour indépendamment de la nature juridique des prélèvements en cause (B).
A. Le critère discriminatoire de la nature du transport
La Cour de justice relève que le seul critère justifiant une différence de traitement fiscal est la nature de la liaison maritime. Les services de transport entre deux ports du territoire national sont favorisés par rapport aux services à destination ou en provenance d’un autre État membre ou d’un pays tiers. Une telle distinction constitue l’archétype d’une restriction à la libre prestation de services. Elle a pour effet de rendre le transport maritime international plus onéreux et donc moins attractif que le transport purement national, aussi appelé cabotage.
La Cour souligne ce point dans son dispositif en visant spécifiquement « les droits portuaires applicables aux navires […] plus faibles lorsque le transport est effectué entre deux ports du territoire national que lorsque le transport est international ». Cette mesure a pour conséquence directe de désavantager les opérateurs économiques qui proposent des services de transport à l’échelle communautaire ou internationale. Elle contrevient donc frontalement à l’objectif du règlement n° 4055/86 qui est d’éliminer les restrictions à la libre prestation des services dans ce secteur économique stratégique.
B. L’indifférence de la qualification juridique des prélèvements
Le raisonnement de la Cour ne s’attache pas à la diversité des prélèvements litigieux. Elle examine de manière globale les effets concrets de trois types de charges distinctes. Il s’agit premièrement des droits portuaires généraux, deuxièmement des droits spécifiques perçus au profit d’organismes portuaires et troisièmement des redevances perçues par les municipalités. La Cour les regroupe dans son analyse car toutes produisent le même effet restrictif sur la libre circulation des services.
Cette approche démontre que la qualification d’une mesure en droit interne est sans pertinence au regard de son appréciation au titre du droit communautaire. Qu’il s’agisse de taxes, de droits ou de redevances, leur compatibilité avec les libertés de circulation est évaluée uniquement au prisme de leurs effets sur les échanges entre États membres. En l’espèce, chaque prélèvement rendait le service de transport international plus coûteux, entravant ainsi le marché unique. Le manquement est donc constitué par le résultat de la législation, non par la forme juridique qu’elle emploie.
II. La portée extensive du principe de non-discrimination
Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle la Cour de justice veille au respect des libertés fondamentales garanties par le traité. En sanctionnant une infraction manifeste au principe de non-discrimination (A), elle confirme la portée particulièrement large de la libre prestation des services dans le domaine des transports (B).
A. La sanction d’une infraction manifeste au droit communautaire
La décision commentée ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais bien l’application d’une solution constante. La discrimination opérée par la législation nationale était directe et ne laissait place à aucune ambiguïté. Le traitement fiscal plus favorable réservé aux opérations purement internes est une violation caractérisée de l’article 1er du règlement n° 4055/86. Ce dernier interdit toute discrimination fondée sur la nationalité ou le lieu d’établissement du prestataire de services.
La valeur de cet arrêt réside principalement dans sa fonction de rappel à l’ordre. Il confirme que les États membres ne peuvent se prévaloir de leur autonomie fiscale pour introduire des mesures, même d’apparence technique ou locale, qui auraient pour effet de cloisonner le marché intérieur. La Cour agit ici dans son rôle de gardienne des traités, en assurant l’effectivité des règles qui fondent l’Union européenne. Elle censure une mesure protectionniste qui avantage les opérateurs nationaux au détriment de la concurrence communautaire.
B. La confirmation d’un champ d’application matériel étendu
La portée de cette décision dépasse le seul cas de l’État membre condamné. Elle réaffirme avec force que le principe de libre prestation des services s’oppose à toute mesure nationale qui, sans être ouvertement protectionniste, rend plus difficile ou plus onéreuse la fourniture de services entre États membres. L’arrêt confirme que même des prélèvements fiscaux perçus à un échelon local, comme les redevances municipales, tombent dans le champ d’application du droit communautaire dès lors qu’ils affectent le commerce intracommunautaire.
Cette solution a une portée préventive importante. Elle avertit les États membres contre toute tentative d’introduire des obstacles déguisés à la libre circulation. En visant explicitement « le droit pour les municipalités […] de percevoir des redevances sur les véhicules embarquant à bord des ferries à destination de ports étrangers », la Cour envoie un signal clair. La réalisation d’un marché unique intégré suppose l’élimination de toutes les entraves, y compris celles qui pourraient sembler d’importance secondaire ou qui relèvent de la compétence d’autorités infra-étatiques.