Par un arrêt du 11 janvier 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a rejeté le pourvoi formé contre une décision du Tribunal de l’Union européenne, apportant ainsi une clarification substantielle sur l’étendue du droit d’accès aux documents des institutions européennes. En l’espèce, un citoyen, après avoir échoué à des épreuves de sélection internes organisées par la Commission européenne, avait sollicité l’accès à un ensemble d’informations relatives à ces tests, notamment les questions posées et les grilles de correction. La Commission avait opposé un refus partiel à cette demande. Le requérant avait alors saisi le Tribunal de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation de cette décision de refus. Par un arrêt du 2 juillet 2015, le Tribunal avait rejeté le recours, considérant que le Règlement (CE) n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents ne contraignait pas une institution à créer un document nouveau pour répondre à une demande. Or, selon le Tribunal, l’extraction d’informations spécifiques d’une base de données, par le biais d’une requête informatique, s’analysait précisément en la création d’un tel document non préexistant. Le requérant a donc formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait interprété de manière erronée et trop restrictive la notion de « document » telle que définie à l’article 3 du règlement précité. Il faisait valoir que toute information détenue dans une base de données constitue un document accessible, et que son extraction ne saurait être assimilée à la création d’un nouveau document. La question de droit soulevée était donc de savoir si le droit d’accès aux documents institué par le Règlement n° 1049/2001 s’étend à des informations qui, bien qu’existantes au sein d’une base de données, ne peuvent être communiquées qu’à la suite d’une opération d’extraction et de compilation. La Cour de justice a répondu par la négative, validant l’analyse du Tribunal. Elle juge qu’une demande d’accès peut être refusée si, pour y faire droit, l’institution est contrainte de procéder à un traitement de données qui excède une simple manipulation et s’apparente à la création d’un document qui n’existait pas préalablement sous cette forme.
La solution retenue par la Cour de justice consacre une conception restrictive de l’obligation de transparence à l’ère numérique (I), ce qui conduit à interroger la portée effective du droit d’accès garanti aux citoyens européens (II).
***
I. La consécration d’une définition restrictive du document accessible
La Cour de justice valide une interprétation qui établit une distinction fondamentale entre le document existant et celui qui résulterait d’une création intellectuelle nouvelle (A), tout en introduisant le critère de la charge administrative comme un tempérament implicite (B).
A. La distinction entre document existant et création documentaire
La Cour confirme le raisonnement du Tribunal selon lequel le droit d’accès, tel qu’envisagé par le Règlement n° 1049/2001, ne porte que sur des documents existants et détenus par l’institution. Elle entérine ainsi une dissociation juridique entre une base de données, qui constitue en elle-même un document, et les informations spécifiques qui peuvent en être extraites. Le pourvoi est rejeté au motif principal que « le droit d’accès aux documents, […] ne saurait impliquer l’obligation pour l’institution concernée d’établir un nouveau document en réponse à la demande de l’intéressé ». En considérant qu’une requête visant à extraire et compiler des données précises constitue une opération intellectuelle de sélection et d’agencement, la Cour l’assimile à la création d’un document *ex novo*. Cette approche réaffirme que le règlement offre un droit d’accès à ce qui existe, et non un droit général à l’information qui obligerait l’administration à effectuer des traitements de données sur mesure pour satisfaire chaque demande particulière. La logique est celle de la consultation d’archives, et non celle d’un service de renseignement.
B. Le critère subsidiaire de la charge de travail administrative
Au-delà de la distinction de principe, la décision laisse transparaître un critère plus pragmatique, celui de la charge de travail que représenterait l’extraction pour l’institution. La Cour admet que toute extraction de données n’équivaut pas nécessairement à la création d’un nouveau document. Elle précise que le droit d’accès ne saurait être interprété de manière à imposer à l’institution une charge de travail « qui s’avérerait manifestement disproportionnée par rapport à l’intérêt du demandeur d’obtenir l’accès aux documents concernés ». Ce faisant, elle introduit une appréciation au cas par cas, fondée sur la complexité de l’opération requise. Une extraction simple et directe, ne nécessitant qu’une manipulation mineure, pourrait être admise. À l’inverse, une requête exigeant le croisement de multiples variables ou une consolidation importante de données éparses tomberait hors du champ de l’obligation de communication. Cette modulation pragmatique, si elle semble raisonnable, déplace le débat d’une définition purement juridique de la notion de document vers une évaluation de l’effort administratif, ce qui peut être source d’insécurité juridique pour le demandeur.
II. Une portée du droit d’accès limitée au détriment de la transparence
Cette solution, si elle est juridiquement fondée sur une lecture littérale du règlement, apparaît favorable aux prérogatives de l’administration (A) et soulève des questions quant à ses implications pour le principe de transparence à l’avenir (B).
A. Une solution favorable aux prérogatives de l’administration
En validant l’approche du Tribunal, la Cour de justice accorde un poids prépondérant à la maîtrise par les institutions de leurs systèmes d’information et à la gestion de leur charge de travail. La décision peut être perçue comme un recul par rapport à l’objectif de la plus large accessibilité possible, qui anime pourtant l’esprit du Règlement n° 1049/2001. En effet, elle offre aux institutions la possibilité de se retrancher derrière la complexité technique de leurs bases de données pour refuser la communication d’informations d’intérêt public. Le risque est que cette jurisprudence incite les administrations à privilégier des modes de stockage de l’information brute qui, par leur architecture même, rendraient toute extraction significative suffisamment complexe pour justifier un refus. La solution protège ainsi l’administration contre des demandes potentiellement abusives, mais elle le fait au prix d’un affaiblissement potentiel du contrôle citoyen.
B. Les implications pour le principe de transparence de l’Union
La portée de cet arrêt est considérable à une époque où la quasi-totalité de l’information publique est nativement numérique et conservée au sein de vastes bases de données. En restreignant l’accès aux seules informations qui peuvent être extraites sans effort substantiel, la Cour limite de fait l’exercice pratique du droit à l’information sur une part croissante du patrimoine informationnel des institutions. La décision crée un décalage entre le droit et la réalité technologique. Alors que les traités européens promeuvent un rapprochement de l’Union avec ses citoyens, notamment par le biais de la transparence, cette jurisprudence pourrait avoir pour effet de rendre plus opaques les processus décisionnels internes qui reposent sur des données complexes. Si l’arrêt peut être considéré comme une décision d’espèce, sa confirmation au plus haut niveau de la juridiction européenne lui confère une autorité de principe qui pourrait durablement modeler les contours du droit d’accès, le rendant moins effectif à mesure que la gestion des données se complexifie.