L’arrêt soumis à l’analyse, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur l’interprétation de dispositions essentielles de la convention d’Aarhus relatives à l’accès à la justice en matière d’environnement. En l’espèce, une juridiction nationale a saisi la Cour de deux questions préjudicielles. La première visait à déterminer si le droit de l’Union s’opposait à ce qu’une législation nationale subordonne la qualité pour agir d’une entité juridique, qui n’est pas une organisation non gouvernementale de protection de l’environnement, à la justification d’un intérêt légitime privé ou d’un intérêt directement lié à son objet social. La seconde question portait sur les critères d’appréciation du caractère non prohibitif du coût d’une procédure juridictionnelle en matière environnementale, à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La problématique soumise à la Cour consistait donc à clarifier, d’une part, les conditions d’accès au prétoire pour les personnes morales autres que les associations spécialisées et, d’autre part, les modalités d’évaluation de l’obstacle financier à ce même accès. Dans sa décision, la Cour de justice juge que l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus ne fait pas obstacle à une réglementation nationale qui limite la qualité pour agir des entités juridiques non spécialisées. Elle précise ensuite que, pour garantir un coût non prohibitif, le juge national doit procéder à une appréciation globale tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, incluant l’intérêt de la partie qui succombe et l’intérêt général environnemental.
L’analyse de cette décision révèle ainsi une double clarification par la Cour, qui encadre l’accès à la justice environnementale en validant une conception restrictive de la qualité pour agir des entités non spécialisées (I), tout en promouvant une appréciation concrète de l’absence de coût prohibitif des procédures (II).
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I – Une conception restrictive de la qualité pour agir des entités non environnementales
La Cour de justice de l’Union européenne admet qu’une législation nationale puisse encadrer strictement la recevabilité des recours formés par des entités juridiques autres que les organisations de protection de l’environnement. Cette position confirme l’autonomie procédurale des États membres (A) et maintient par là même une distinction claire avec le statut privilégié reconnu aux organisations non gouvernementales (B).
A – La confirmation de l’autonomie procédurale nationale
La décision de la Cour reconnaît la faculté pour un État membre de définir les conditions de recevabilité d’une action en justice dans le domaine de l’environnement. En jugeant que l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus « ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle une entité juridique, autre qu’une organisation non gouvernementale de protection de l’environnement, ne se voit reconnaître la qualité pour agir […] que lorsqu’elle fait valoir la méconnaissance d’un intérêt légitime privé ou d’un intérêt lié à une situation juridique en rapport direct avec son objet social », la Cour valide une approche nationale limitative. Cette interprétation consacre le principe de l’autonomie procédurale des États membres, leur permettant d’aménager les voies de droit internes à condition de ne pas priver d’effectivité les droits conférés par le droit de l’Union. Le raisonnement de la Cour s’inscrit dans une logique de juste équilibre entre l’ouverture du prétoire et la nécessité d’éviter un engorgement des juridictions par des recours qui ne reposeraient pas sur un intérêt suffisamment caractérisé.
Cette approche pragmatique a pour conséquence de différencier le régime de la qualité pour agir selon la nature du requérant.
B – La distinction maintenue avec le statut privilégié des organisations non gouvernementales
En validant la condition d’un intérêt direct et personnel pour les entités juridiques ordinaires, la Cour souligne implicitement le régime dérogatoire dont bénéficient les organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant pour la protection de l’environnement. Celles-ci, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de la convention, disposent d’un accès élargi à la justice pour contester les décisions relatives à des activités spécifiques, sans avoir à prouver une atteinte à un intérêt personnel autre que celui de la protection de l’environnement qu’elles défendent statutairement. La solution retenue par la Cour a donc pour effet de consolider cette dualité. Elle prévient ainsi le risque d’une `actio popularis` généralisée, où toute personne morale pourrait se prévaloir de l’intérêt général environnemental pour agir en justice, tout en préservant le rôle de « gardien » de l’environnement spécifiquement dévolu aux ONG. La portée de cette partie de la décision est de circonscrire l’accès direct au juge environnemental aux acteurs les plus légitimes, soit ceux qui sont personnellement affectés, soit ceux dont l’objet social est spécifiquement dédié à cette cause.
Après avoir ainsi délimité le cercle des justiciables, la Cour se prononce sur les conditions financières de leur accès au juge.
II – Une appréciation concrète de l’absence de coût prohibitif des procédures
La Cour de justice de l’Union européenne ne se contente pas de définir qui peut agir, elle précise également comment garantir que le coût de l’action ne soit pas un obstacle dirimant. Pour ce faire, elle impose au juge national une obligation d’examen global des circonstances de l’espèce (A), ce qui a pour effet de renforcer la garantie d’un droit au recours effectif (B).
A – L’obligation d’un examen global des circonstances de l’espèce
La Cour interprète l’exigence d’un coût non prohibitif, posée par l’article 9, paragraphe 4, de la convention d’Aarhus, à la lumière du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. Elle en déduit que le juge national, lorsqu’il statue sur les dépens, ne peut s’en tenir à une application automatique de règles nationales. Il « doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris de l’intérêt de cette partie et de l’intérêt général lié à la protection de l’environnement ». Cette approche holistique oblige le juge à effectuer une pesée des intérêts en présence. Il doit ainsi considérer non seulement la situation financière de la partie qui a perdu le procès, mais également la nature du litige et sa contribution potentielle à la protection de l’environnement. Le sens de cette solution est clair : le simple fait de succomber ne doit pas entraîner automatiquement une condamnation à des frais qui rendraient, par leur montant, l’accès à la justice théorique plutôt que pratique pour de futurs requérants.
Cette méthode d’appréciation `in concreto` est une garantie essentielle pour l’effectivité du droit d’accès à la justice.
B – Le renforcement de la garantie d’un droit au recours effectif
En conférant au juge national le pouvoir et le devoir d’apprécier le caractère prohibitif du coût au cas par cas, la Cour donne toute sa portée à l’objectif de la convention d’Aarhus. La valeur de cette solution réside dans sa flexibilité. Elle permet d’éviter que des requérants, qu’il s’agisse de particuliers ou de petites structures, soient dissuadés d’engager des contentieux environnementaux légitimes par la crainte de devoir supporter une charge financière écrasante en cas d’échec. La décision a pour portée d’inciter les juridictions nationales à moduler les condamnations aux dépens dans les litiges environnementaux, en prenant en compte l’intérêt public qui s’attache à la cause défendue, même si le recours est finalement rejeté. Cette interprétation dynamique assure que l’accès à la justice ne soit pas un privilège réservé aux acteurs disposant de ressources financières importantes, mais un droit effectif pour tous ceux qui entendent contribuer à la mise en œuvre du droit de l’environnement.