Cour de justice de l’Union européenne, le 11 juillet 2008, n°C-195/08

Par un arrêt du 29 juillet 2008, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en procédure d’urgence, a rendu une décision préjudicielle essentielle à l’interprétation du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003. Cet arrêt intervient dans un contexte de déplacement illicite d’enfant entre États membres, une situation factuelle complexe qui met en lumière les tensions entre les juridictions nationales et les objectifs d’efficacité et de célérité du droit de l’Union. Les faits à l’origine du litige concernent un enfant, né d’un couple résidant habituellement en Allemagne, qui a été emmené et retenu en Lituanie par sa mère à la suite de la séparation parentale. Le père a alors engagé des procédures parallèles dans les deux États afin d’obtenir le retour de l’enfant.

La procédure a connu de multiples développements dans les deux pays. En Allemagne, l’Amtsgericht Oranienburg, par un jugement du 20 juin 2007, a confié la garde de l’enfant au père et a ordonné son retour, joignant à sa décision un certificat en vertu de l’article 42 du règlement. Cette décision fut confirmée en appel par le Brandenburgisches Oberlandesgericht le 20 février 2008. Parallèlement, en Lituanie, la mère a saisi les juridictions pour s’opposer au retour de l’enfant. Après plusieurs décisions contradictoires, le Lietuvos apeliacinis teismas a d’abord refusé le retour le 22 décembre 2006, avant de l’ordonner le 15 mars 2007. La mère a alors introduit une demande de non-reconnaissance du jugement allemand certifié devant les juridictions lituaniennes, ce qui a conduit le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas, la Cour suprême de Lituanie, à saisir la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles.

Les prétentions des parties cristallisent l’opposition entre deux logiques. D’une part, la mère de l’enfant entendait contester la force exécutoire du jugement allemand en invoquant les procédures nationales et en demandant sa non-reconnaissance. D’autre part, le père se prévalait du certificat délivré par la juridiction d’origine pour obtenir une exécution immédiate et inconditionnelle de la décision de retour. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si une décision de retour d’un enfant, certifiée par la juridiction de l’État membre d’origine conformément à l’article 42 du règlement, bénéficie d’une force exécutoire absolue dans l’État membre d’exécution, au point de paralyser toute procédure nationale d’opposition ou de non-reconnaissance.

À cette question, la Cour répond par l’affirmative en consacrant le caractère quasiment irréfragable de la décision certifiée. Elle juge qu’une fois le certificat délivré par la juridiction d’origine, après une première décision de non-retour, il n’appartient plus à la juridiction de l’État d’exécution de s’opposer à la reconnaissance de la décision de retour, mais uniquement de constater sa force exécutoire et d’assurer le retour immédiat de l’enfant. Cette solution érige la procédure de l’article 42 en un mécanisme dérogatoire et prioritaire, destiné à garantir l’effet utile du règlement contre les manœuvres dilatoires.

L’arrêt clarifie ainsi de manière décisive l’articulation entre les procédures nationales et le dispositif spécifique de retour de l’enfant, en affirmant la prééminence du mécanisme de certification (I). Dans le même temps, la Cour en profite pour délimiter plus précisément le champ d’application des voies de droit communes du règlement, telles que l’action en non-reconnaissance (II).

I. La consécration d’un mécanisme d’exécution privilégié pour le retour de l’enfant

La Cour de justice établit que la procédure de retour certifiée constitue une voie d’exécution autonome et prioritaire, dont le déclenchement est conditionné mais dont les effets sont ensuite absolus. Elle fait ainsi de la décision du juge de l’État d’origine le pivot du dispositif, à condition qu’elle intervienne après une décision de non-retour (A), tout en conférant au certificat délivré un effet dirimant sur les instances en cours dans l’État d’exécution (B).

A. La primauté de la décision du juge d’origine conditionnée par une décision de non-retour

L’interprétation de la Cour met en exergue une chronologie procédurale stricte. Le mécanisme exceptionnel des articles 11, paragraphe 8, et 42 du règlement n’est pas activable à tout moment. La Cour confirme que le juge de l’État d’origine ne peut délivrer de certificat qu’après qu’une juridiction de l’État d’exécution a rendu une décision de non-retour sur le fondement de l’article 13 de la Convention de La Haye de 1980. Elle énonce que « l’interprétation selon laquelle un certificat ne peut être délivré au titre de l’article 42 du règlement sans qu’une décision de non-retour ait été préalablement rendue doit être retenue ». Cette exigence d’une décision préalable de non-retour est fondamentale, car elle structure la répartition des compétences entre les juridictions des deux États membres.

Dans un premier temps, la juridiction de l’État de refuge est compétente pour statuer en urgence sur la demande de retour. Si elle ordonne le retour, la procédure s’achève. C’est seulement si elle refuse le retour que la compétence est, en quelque sorte, restituée à la juridiction de l’État d’origine, qui peut alors examiner l’affaire au fond, statuer sur la garde et, le cas échéant, rendre une décision de retour qui « remplacera » celle de la juridiction du refuge. Le règlement organise donc un dialogue entre les juges où le juge d’origine a le dernier mot, mais seulement après avoir entendu les motifs qui ont conduit au refus initial de retour. Cette architecture vise à concilier le respect de la procédure de la Convention de La Haye et l’objectif supérieur du règlement qui est d’assurer le retour de l’enfant.

B. L’effet dirimant du certificat sur les procédures de l’État d’exécution

Une fois la condition préalable d’une décision de non-retour remplie, l’émission du certificat par le juge d’origine produit des effets radicaux. La Cour de justice affirme qu’à compter de ce moment, les péripéties procédurales dans l’État d’exécution deviennent indifférentes. Elle juge qu’il est « sans incidence, aux fins de la délivrance du certificat […], que cette décision ait été suspendue, réformée, annulée ou, en tout état de cause, ne soit pas passée en force de chose jugée ou ait été remplacée par une décision de retour, pour autant que le retour de l’enfant n’a pas effectivement eu lieu ». Cette formule est d’une portée considérable, car elle neutralise toute tentative de faire obstruction au retour de l’enfant par l’utilisation des voies de recours internes de l’État d’exécution.

La valeur de cette solution réside dans sa contribution à l’effectivité du règlement. La Cour souligne que si l’efficacité du dispositif restait subordonnée à l’épuisement des voies de recours nationales, l’objectif de retour immédiat de l’enfant serait vidé de son sens. La portée de l’arrêt est donc majeure : il fait du certificat de l’article 42 une arme procédurale quasi absolue, fondée sur le principe de confiance mutuelle, qui interdit à la juridiction requise tout contrôle autre que celui de l’authenticité formelle du certificat. L’opposition à la reconnaissance est « interdite » et le juge requis n’a d’autre choix que de « constater la force exécutoire de la décision certifiée et de faire droit au retour immédiat de l’enfant ». Cette automaticité renforce la sécurité juridique et vise à dissuader les enlèvements parentaux au sein de l’Union.

II. La clarification des voies de droit communes face à la procédure spéciale de retour

En marge de sa position très ferme sur le mécanisme de retour certifié, la Cour saisit l’occasion de préciser le fonctionnement des procédures de droit commun du règlement. Elle reconnaît ainsi l’existence d’une action autonome en non-reconnaissance, tout en lui assignant une portée subsidiaire par rapport à la procédure spéciale (A). Elle procède également à un aménagement nécessaire du principe du contradictoire dans le cadre de cette action spécifique (B).

A. La reconnaissance d’une action autonome en non-reconnaissance à portée subsidiaire

La première question préjudicielle portait sur la possibilité pour une partie de demander la non-reconnaissance d’une décision avant même que la reconnaissance n’ait été sollicitée. La Cour y répond positivement, en s’appuyant sur le texte de l’article 21, paragraphe 3, du règlement. Elle admet que, « hormis les cas où la procédure vise une décision certifiée […], toute partie intéressée peut demander la non-reconnaissance d’une décision juridictionnelle, même si une demande de reconnaissance de la décision n’a pas été déposée préalablement ». Cette action préventive peut répondre à un besoin de sécurité juridique, en permettant de clarifier le statut d’une décision étrangère et d’anticiper des conflits futurs.

Cependant, la Cour encadre immédiatement cette faculté. Le droit d’agir en non-reconnaissance est expressément écarté lorsque la décision en cause est une décision de retour certifiée en vertu de l’article 42. L’incise « Sans préjudice de la section 4 » à l’article 21, paragraphe 3, prend ici tout son sens : la procédure spéciale de retour prime et exclut la procédure générale de non-reconnaissance. L’arrêt établit donc une hiérarchie claire entre les différentes procédures du règlement. L’action en non-reconnaissance demeure un outil procédural valable pour la majorité des décisions en matière de responsabilité parentale, mais elle est neutralisée face à la procédure d’exception conçue pour les situations d’enlèvement les plus conflictuelles.

B. L’aménagement du principe du contradictoire dans l’action en non-reconnaissance

La deuxième question portait sur l’applicabilité de l’article 31, paragraphe 1, du règlement, qui dispose que dans la procédure sur requête en vue de la déclaration de la force exécutoire, la partie contre laquelle l’exécution est demandée ne peut, à ce stade, présenter d’observations. La Cour juge cette disposition inapplicable à une procédure de non-reconnaissance. Son raisonnement repose sur la nature même de chaque action. La procédure en déclaration de force exécutoire est unilatérale et non contradictoire à son stade initial pour des raisons de célérité, les droits de la défense étant garantis par la possibilité d’un recours ultérieur.

En revanche, une action en non-reconnaissance est par nature contradictoire. Elle est engagée par la personne qui s’oppose à la décision étrangère, et priver l’autre partie — celle qui a intérêt à la reconnaissance — du droit de présenter ses arguments viderait la procédure de son sens. La Cour estime qu’une autre solution « tendrait à limiter l’efficacité de l’action du demandeur, dès lors que l’objet de la procédure de non-reconnaissance vise une appréciation négative qui réclame, par sa nature, le contradictoire ». Cette interprétation pragmatique assure le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire. Elle démontre la capacité de la Cour à adapter l’application des règles procédurales à la logique et à la finalité de chaque action prévue par le règlement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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