Cour de justice de l’Union européenne, le 11 juillet 2018, n°C-356/15

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 11 juillet 2018, un arrêt fondamental relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale. Cette décision examine la conformité d’une législation nationale permettant de soustraire un travailleur à la protection sociale d’un autre État membre de l’Union. Un État membre avait adopté une loi-programme autorisant ses autorités à rejeter les certificats de détachement s’ils estimaient les conditions d’obtention non remplies. L’institution européenne chargée de veiller au respect des traités a introduit un recours en manquement contre ces dispositions législatives jugées contraires au droit européen. La question juridique consistait à savoir si un État membre peut unilatéralement écarter un certificat de sécurité sociale en cas de suspicion de fraude. La Cour a conclu au manquement des obligations européennes, réaffirmant le caractère impératif de la procédure de dialogue entre les institutions nationales compétentes. Ce raisonnement s’articule autour de la force probante du certificat A1 avant d’envisager l’encadrement strict de la lutte contre la fraude à la sécurité sociale.

I. La réaffirmation de la force probante du certificat de détachement

A. L’exclusivité du principe de la législation unique

Le règlement 883/2004 instaure une règle de conflit de lois unique afin d’éviter les complications résultant du cumul des législations nationales potentiellement applicables. L’article 11 prévoit que les personnes auxquelles ce règlement s’applique ne sont soumises qu’à la seule législation d’un unique État membre de l’Union. Cette disposition garantit la libre circulation des travailleurs en supprimant les obstacles juridiques liés à la multiplicité des affiliations et des cotisations sociales obligatoires. La Cour rappelle que « le système de coordination institué par le règlement n° 883/2004 repose sur le principe de l’unicité de la législation applicable ». Toute mesure nationale permettant une affiliation d’office contrevient à cet impératif de sécurité juridique pour le travailleur mobile circulant au sein de l’espace européen. L’État membre ne peut dès lors pas s’arroger le droit de déterminer seul la législation applicable sans respecter les certificats délivrés par ses homologues.

B. L’opposabilité obligatoire des attestations de sécurité sociale

Le certificat A1 crée une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur détaché auprès de l’institution compétente de son État membre d’origine. La Cour précise que ce document lie les institutions de l’État membre de destination tant qu’il n’est pas officiellement retiré ou déclaré invalide. « L’institution de l’État membre qui a délivré le certificat est seule compétente pour réexaminer la validité de celui-ci et, le cas échéant, le retirer ». En permettant à ses autorités de ne pas tenir compte de cette attestation, l’État membre a gravement méconnu la force probante attachée à cet acte. Cette force probante constitue le corollaire nécessaire du principe de coopération loyale entre les institutions nationales chargées de gérer la protection sociale des citoyens. Le respect de cette confiance mutuelle exige que les contestations relatives à la validité des documents officiels soient portées devant les instances de coopération administrative.

II. L’encadrement procédural de la lutte contre la fraude sociale

A. La primauté de la procédure de dialogue et de conciliation

La lutte contre la fraude ne saurait justifier qu’un État membre s’affranchisse des règles procédurales impératives fixées par le droit dérivé de l’Union européenne. Le règlement 987/2009 organise une procédure spécifique de dialogue pour résoudre les différends techniques entre les institutions nationales de sécurité sociale des États membres. « En cas de doute sur la validité d’un document ou sur l’exactitude des faits, l’institution de l’État membre d’accueil doit solliciter l’institution émettrice ». Cette étape constitue un préalable obligatoire avant tout refus de prise en compte du document attestant de la législation applicable au travailleur détaché concerné. La législation litigieuse permettait pourtant d’ignorer cette phase de concertation administrative pour imposer directement l’application de la loi sociale du lieu de travail. Le respect rigoureux de cette procédure garantit une application uniforme du droit tout en prévenant les risques majeurs de double imposition sociale des travailleurs.

B. La limitation de l’autonomie nationale face à la coordination européenne

Bien que les États membres conservent une compétence pour organiser leur système social, ils doivent impérativement exercer celle-ci dans le respect strict des traités. La Cour censure la prétention d’un État à sanctionner de manière autonome ce qu’il qualifie de fraude à la loi dans ce domaine d’activité. « Un État membre ne peut pas adopter de mesures législatives prévoyant la possibilité de soumettre d’office des travailleurs à sa propre législation sociale ». Une telle faculté reviendrait à vider de sa substance le mécanisme de coordination et à compromettre l’équilibre fragile entre les différentes protections sociales nationales. Cette décision limite l’autonomie de contrôle des États d’accueil afin de protéger la stabilité des situations juridiques acquises régulièrement dans d’autres États membres. La primauté du droit de l’Union impose ainsi que la fraude soit traitée par les voies de coopération administrative et non par des sanctions unilatérales.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture