Cour de justice de l’Union européenne, le 11 juillet 2018, n°C-60/17

Par la décision soumise à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Tribunal Superior de Justicia de Galicia, a précisé les contours de l’application de la directive 2001/23/CE relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises. La Cour devait se prononcer sur l’applicabilité de ce texte à une situation spécifique de changement de prestataire de services.

En l’espèce, un donneur d’ordre avait mis fin au contrat le liant à une entreprise pour la surveillance de ses installations. Il avait ensuite conclu un nouveau contrat pour la même prestation avec un second prestataire. Ce dernier, en application d’une convention collective, avait repris une part essentielle, en termes de nombre et de compétences, du personnel que le prestataire initial affectait à ce service. La juridiction de renvoi cherchait à déterminer si une telle succession de prestataires, encadrée par une obligation conventionnelle de reprise de personnel, constituait un transfert d’entreprise au sens de la directive précitée, déclenchant ainsi l’obligation de maintenir les droits des travailleurs.

Le problème de droit posé à la Cour consistait donc à savoir si la directive 2001/23/CE s’applique lorsqu’un changement de prestataire pour un même service s’accompagne de la reprise d’une partie substantielle du personnel par le nouveau prestataire, non pas par un accord direct entre les deux entreprises, mais en vertu d’une convention collective.

La Cour de justice a répondu par l’affirmative, conditionnant toutefois l’application de la directive au fait que « l’opération s’accompagne du transfert d’une entité économique entre les deux entreprises concernées ». Elle a, par ailleurs, décliné sa compétence pour la seconde question qui lui était soumise.

Il convient donc d’analyser la confirmation d’une conception extensive du transfert d’entreprise (I), avant d’examiner la portée de la condition restrictive posée par la Cour (II).

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I. La confirmation d’une conception extensive du transfert d’entreprise

La Cour de justice, en appliquant la directive à une succession de prestataires (A), confirme sa jurisprudence antérieure visant à protéger les travailleurs, et ce, même lorsque la reprise du personnel est dictée par une source normative externe comme une convention collective (B).

A. L’application de la directive à la suite d’une simple succession de prestataires

La décision étend clairement le champ d’application de la directive au-delà des transferts de propriété classiques. En affirmant que la directive « s’applique à une situation dans laquelle un donneur d’ordre a résilié le contrat de prestation de services […] et a conclu, aux fins de l’exécution de cette prestation, un nouveau contrat avec une autre entreprise », la Cour rappelle que l’absence de lien contractuel direct entre l’ancien et le nouveau prestataire est sans incidence sur la qualification de transfert.

Cette approche téléologique est fidèle à l’objectif de la directive, qui est de garantir la continuité des relations de travail lorsque l’activité économique se poursuit. La Cour se concentre sur la réalité économique de l’opération plutôt que sur sa forme juridique. La perte d’un marché par une entreprise au profit d’une autre peut donc constituer un transfert, pourvu que les autres conditions soient remplies, ce qui assure une protection large et effective des droits des salariés concernés par le changement d’employeur.

B. La prise en compte d’une reprise de personnel imposée par convention collective

Le point central de l’espèce résidait dans le fait que la reprise des salariés était la conséquence d’une convention collective. La Cour intègre cet élément comme un indice majeur de la continuité de l’activité. Le fait que le nouvel employeur reprenne « une partie essentielle, en termes de nombre et de compétences, des effectifs que la première entreprise affectait à l’exécution de ladite prestation » est déterminant.

En considérant cette reprise conventionnelle comme un facteur pertinent, la Cour évite de créer une distinction artificielle entre les transferts de personnel volontaires et ceux qui sont imposés par des normes collectives. Elle reconnaît ainsi que, quelle que soit sa source, la reprise d’un effectif structuré et dédié à une tâche spécifique matérialise le maintien de l’identité de l’entité économique transférée. Cette solution renforce la sécurité juridique pour les travailleurs couverts par de telles conventions.

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II. La portée de la condition restrictive : le transfert d’une entité économique

Tout en adoptant une approche large, la Cour rappelle la condition essentielle du transfert d’une entité économique autonome (A), renvoyant l’appréciation finale de cette condition aux juridictions nationales (B).

A. Le maintien de l’exigence d’une entité économique autonome

La Cour ne se contente pas de la seule reprise du personnel pour qualifier automatiquement l’opération de transfert. Elle précise que la directive ne s’applique que « pour autant que l’opération s’accompagne du transfert d’une entité économique entre les deux entreprises concernées ». Cette condition est fondamentale et constitue le cœur de la définition jurisprudentielle du transfert.

Une entité économique s’entend comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique poursuivant un objectif propre. La simple succession dans l’exécution d’un service ne suffit donc pas. La Cour impose aux juges nationaux de vérifier si l’entité a conservé son identité, ce qui se déduit d’un faisceau d’indices, tels que la nature de l’activité, le transfert ou non d’éléments d’actifs corporels ou incorporels, et la reprise du personnel. La reprise des effectifs, bien qu’essentielle, n’est qu’un critère parmi d’autres, même si elle est prépondérante dans les secteurs où la main-d’œuvre constitue le principal atout.

B. Le renvoi de l’appréciation aux juridictions nationales et l’incompétence partielle déclarée

En posant ce cadre interprétatif, la Cour laisse à la juridiction de renvoi le soin de trancher le litige au fond. Il appartiendra au Tribunal Superior de Justicia de Galicia de déterminer si, dans les faits de l’espèce, le groupe de salariés repris formait une entité économique suffisamment structurée et autonome pour que son identité ait été maintenue après le changement de prestataire. Cette répartition des rôles est classique dans le cadre du renvoi préjudiciel.

Par ailleurs, en se déclarant incompétente pour la seconde question posée, la Cour rappelle les limites de sa propre saisine. Cette déclaration suggère que la question sortait du champ d’interprétation du droit de l’Union, relevant potentiellement d’une application de faits ou de l’interprétation du droit national. Cette retenue souligne la nature de la Cour comme interprète du droit de l’Union et non comme juge des faits de l’affaire principale.

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Hassan KOHEN
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